XXVII

Anti-spiritisme

Je continuai la série de ces expériences au milieu des marques d’admiration des spectateurs, étonnés surtout de la rapidité avec laquelle je les exécutais. En effet, à peine le rideau était-il tiré devant moi que j’ordonnais qu’on l’ouvrît, et pendant les quelques secondes qui s’étaient écoulées entre ces deux moments, sans qu’aucun des liens qui m’entouraient eût été relâché, il s’était passé les choses les plus extraordinaires.

C’est ainsi qu’une bague, celle de la reine, m’ayant été jetée, elle se trouva d’abord entre mes lèvres, puis à mon petit doigt où elle avait eu quelque peine à entrer, la main de la reine étant des plus mignonnes, puis passée dans la corde qui m’entourait le cou et qui était nouée, renouée et cachetée.

Je dirai tout de suite, au sujet de cette bague, que lorsque, quelques instants plus tard, je voulus la rendre à la reine, elle me pria gracieusement de la garder en souvenir de cette soirée.

On peut croire que je l’ai toujours conservée précieusement.

La position que j’occupais à mon poteau n’était pas des plus confortables, et mon cou pris dans un étau, mes poignets serrés outre mesure, demandaient à être débarrassés de leurs entraves.

Pour en finir donc, je priai le Premier Ministre de vouloir bien désigner, parmi les assistants, une personne à qui on banderait les yeux, qui s’enfermerait avec moi derrière le rideau et qui s’assurerait ainsi que je ne faisais aucun mouvement. Ce fut Marc Rabibisoa qui fut désigné. On lui attacha un mouchoir sur les yeux ; il se plaça à côté de moi, posa une de ses mains sur ma tête et l’autre sur ma poitrine.

À peine le rideau avait-il glissé sur la corde servant de tringle que Marc Rabibisoa se mit à pousser des cris épouvantables, pendant que des chants d’oiseaux, des aboiements de chiens, des miaulements de chats, des sifflements de serpents, des hurlements de loups se faisaient entendre, mêlés à des coups de revolver, à des glapissements d’enfant en colère contre sa nourrice, qui ne se rend pas assez vite à ses exigences. Quand, au bout de quelques secondes, le rideau fut ouvert, on put voir Marc Rabibisoa par terre où il avait été jeté violemment, ses vêtements lui avaient été arrachés, et sa montre enlevée ; un bonnet de coton lui couvrait le chef et un gros poupon – mécanique, cela va sans dire – qui criait encore à tue-tête, reposait entre ses bras. Toute la salle éclata en applaudissements frénétiques et en rires inextinguibles, tant l’aspect de Marc Rabibisoa, transformé en nourrice, était comique. Celui-ci auquel, à sa grande joie, on avait enlevé son bandeau, faisait comme tout le monde, répétant, tantôt en malgache, tantôt en français comme avait fait le Premier Ministre :

– Mais c’est le diable !

Quand on lui demanda ses impressions, il répondit qu’elles avaient été des moins agréables, qu’il avait senti des mains froides et cadavériques se promener sur son visage, et qu’il lui avait semblé être soulevé de terre à plusieurs reprises avant d’y être jeté brutalement ; qu’enfin il n’était pas fâché d’avoir subi l’expérience, mais encore moins fâché qu’elle fût terminée.

Les nœuds et les cachets ayant été comme précédemment encore vérifiés, le rideau fut fermé une dernière fois ; quand il se rouvrit, au bout de soixante secondes, comptées tout haut, nouvelle stupéfaction des spectateurs en voyant celui qui, quelques instants auparavant, portait un correct habit noir, leur apparaître en riche costume François Ier, aux couleurs de Sa Majesté, c’est-à-dire en velours rouge brodé d’or. On pense s’il y avait encore là de quoi étonner les spectateurs. Du reste il n’est pas besoin d’être Hova pour que cette expérience émerveille, et j’ai vu bien des Européens, des habitants de Paris, de Vienne, de Londres, être dans la stupéfaction, quand je l’exécutai devant eux, et ne pas plus se rendre compte des moyens employés pour le réaliser que les sujets de la reine Ranavalo Manjaka.

C’en était fini pour cette partie de la séance ; je fus enfin débarrassé de mes liens, et l’on conserve encore à Tananarive, paraît-il, une partie des bandes qui avaient servi à me ligoter.

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