La dématérialisation. – Fin de la séance
On n’aura pas beaucoup de peine à comprendre que, après les expériences que je viens de raconter, ma fatigue fût extrême. J’en ressentais d’autant plus les effets, qu’il régnait dans la salle, où plus de cent spectateurs étaient réunis, une chaleur intense ; toutefois quelques minutes me suffirent pour me remettre et pour permettre à M. Pappasogly de préparer la troisième et dernière partie de la séance. Tout étant disposé, je m’approchai de la reine qui était restée assise sur son trône et grignotait des macarons, car elle aime fort les friandises.
– Je suis prêt, Majesté, lui dis-je, à exécuter devant vous une expérience que l’on appelle la « dématérialisation ».
On avait apporté devant la reine une grande malle tout ouverte.
– Je vais rendre mon corps tellement fluide, continuai-je, tellement « immatériel », que je pourrai le faire passer d’un lieu dans un autre, de ce sac dans cette malle, avec la plus grande facilité. Comme Votre Majesté peut s’en assurer, continuai-je, en faisant basculer la malle pour que la reine pût en voir l’intérieur, ce coffre est vide, et, comme elle peut aussi s’en rendre compte, il est en bois, entouré de bandes de fer, recouvert par-dessus d’une plaque de tôle. Les encoignures sont également en fer.
Sur ma demande, la malle fut examinée à fond par deux officiers qui la tournèrent et retournèrent dans tous les sens ; frappèrent dessus, dessous, à droite, à gauche, avec un marteau, afin de s’assurer de sa solidité et firent jouer les clefs dans les trois serrures.
Des bandes de papier furent alors collées sur toutes les rainures par divers spectateurs, entre autres par M. Pickersgill, qui y appliquèrent chacun une marque et les cachetèrent avec de la cire ; les trois serrures furent fermées et les trois clefs déposées entre les mains de la reine. Puis la malle, soigneusement ficelée, fut enveloppée dans un grand filet qu’on avait étendu par terre, et dont les quatre coins, ramenés par-dessus, furent dûment ficelés, cachetés, etc. ; enfin elle fut tirée au pied de la colonne où j’avais été attaché pendant l’expérience précédente.
Je me glissai alors dans un grand sac de toile, préalablement examiné, cela va sans dire, par tous ceux à qui cela fit plaisir de se livrer à cet exercice. J’avais recommandé qu’on fermât ce sac, une fois que j’y serais entré, à l’aide d’autant de cordes, de bandes, de cachets qu’on voudrait, et c’est ce qu’on s’empressa de faire.
À peine le rideau était-il fermé qu’un coup de feu donnait à mon secrétaire l’ordre de le rouvrir.
Quand il m’eut obéi, on put voir le sac gisant à terre, avec toutes ses fermetures intactes, mais il était vide.
Quant à la malle, elle était toujours dans son état primitif, enveloppée dans son filet, et ceux mêmes qui y avaient placé les cachets furent invités à les enlever ; puis comme cela eût été trop long de délier les cordes, on se hâta de les couper.
La reine, qui tenait les clefs, daigna descendre de son trône pour venir les faire jouer dans les trois serrures, et, le couvercle de la malle ayant été soulevé, on put me voir m’en élancer, non dans le costume que je portais quand j’y étais entré, mais en uniforme d’officier français, tenant d’une main un drapeau tricolore et de l’autre un drapeau hova que je faisais flotter en les enlaçant.
Je ne saurais décrire l’effet que produisit cette apparition avec l’union de ces deux drapeaux. Les assistants y voyaient l’annonce d’une paix que, à ce moment, on pouvait encore croire durable. La joie et l’enthousiasme se manifestèrent par des applaudissements, des cris de joie, des trarantitra (vivats) répétés, et si je tenais à produire de l’impression sur mes spectateurs, je crois que j’eus lieu d’être satisfait.
Cette expérience, pas plus que celles qui l’avaient précédée, n’avait rien de surnaturel, et plusieurs de mes lecteurs les ont vu exécuter, à Paris ou ailleurs, avec plus ou moins d’habileté ; quelques-uns même se sont peut-être expliqué les moyens que j’employais pour les produire ; mais on comprend qu’aucun de ceux qui venaient d’en être témoins n’était dans ce cas. Toutefois, après la séance, tous vinrent me féliciter et me serrer les mains, à l’exception de quelques vieux Malgaches, encore imbus des vieilles croyances aux sorciers, qui étaient disposés à ne voir en moi que le fils du diable ou peut-être le diable lui-même. M. Le Myre de Vilers eut beaucoup de peine à les rassurer et à leur faire entendre que j’étais simplement un savant, qui mettait à profit les connaissances qu’il avait acquises. Je doute qu’il ait réussi à les convaincre.
La séance terminée, la reine m’invita à prendre encore un verre de champagne avec elle et avec le Premier Ministre. Elle invita de même le Résident de France. Ayant fait remplir un verre, elle le lui offrit et m’en offrit un autre, et nous bûmes tous quatre à la santé de Sa Majesté la Reine et à celle du Président de la République française. On devine la satisfaction malicieuse que j’éprouvais à voir les missionnaires anglais, ayant à leur tête M. Pickersgill, lancer des regards de dépit de notre côté et manifester ainsi leur mécontentement de voir que, le Résident de France et moi, nous semblions être dans la plus grande intimité avec la reine et le Premier Ministre, et en nous entendant porter un toast où le nom de la reine de Madagascar et celui du Président de la République française étaient confondus, alors que, à peine quatre jours auparavant, M. Le Myre de Vilers, las et froissé dans sa dignité de plénipotentiaire, était sur le point d’amener pavillon et de se retirer à Tamatave.
En quatre jours les choses avaient complètement changé de face, l’influence anglaise était battue en brèche, et par qui ? par quoi ? Par un prestidigitateur français et par ses expériences. Les bons Anglais sentaient que le coup que je venais de porter avait produit son effet, non seulement sur l’esprit de la reine et du Premier Ministre, mais aussi sur toute la noblesse hova, que leur prestige avait considérablement baissé, et qu’il leur serait difficile de le relever.
Aussi ne fus-je point surpris, le lendemain, d’apprendre que, après cette première soirée, qui pourtant s’était terminée à une heure assez avancée, un conciliabule avait eu lieu pendant la nuit à la Missionary Society, dans lequel on discuta par quels moyens on pourrait combattre le grand ascendant que je menaçais de prendre dans l’esprit des Hovas.
On voyait bien que mon dessein était d’user de cet ascendant, non pas à la satisfaction de mon amour-propre personnel, mais à l’avantage de l’influence française ; et c’est pourquoi il fut décidé que, désormais, on négligerait un peu de prêcher l’Évangile, pour se mettre à l’étude de la prestidigitation, puisque c’était par ce moyen qu’on avait chance de réussir auprès de la Reine.