Les présents du Premier Ministre. – Visites
Comme je rentrais chez moi, je vis arriver une jeune esclave qui était chargée de m’apporter, de la part du Premier Ministre, des présents consistant, comme d’habitude, en volaille, œufs et miel. L’esclave elle-même faisait partie de l’envoi. Elle appartenait à la race sakalave et était vraiment gentille, pour une Malgache s’entend. – Ses cheveux longs et brillants étaient tressés avec un art infini et des boucles soyeuses encadraient sa figure, moins brune que la plupart de celles que j’avais vues. Son regard langoureux n’était pas sans charme, et sa bouche qui s’ouvrait en un perpétuel sourire laissait entrevoir des dents superbes. Son lamba de fine étoffe aux couleurs éclatantes, frangé du bas, était drapé avec beaucoup d’art, et un collier en verroterie de toutes couleurs, séparé par-ci par-là par des pièces de monnaie de différentes nations, pendait sur la poitrine.
Elle déposa les cadeaux qu’elle apportait sur un des coffres de mon bagage et se tint timidement devant moi, dans une pose un peu embarrassée.
Je savais ce que cela signifiait ; mais, si j’avais eu à faire le plus léger effort de vertu pour repousser ces avances muettes, je n’en eus pas le temps, car un envoyé de la reine survint aussitôt. Il prononça en malgache quelques paroles que je ne compris pas, naturellement, mais dont je devinai le sens, car la jeune esclave rougit ; je vis une flamme de colère passer dans ses yeux, puis sa bouche se crispa comme sous l’impression d’un violent chagrin et elle finit par se mettre à pleurer.
Peut-être aurais-je essayé de la consoler, car je n’ai jamais pu voir pleurer une femme ; mais je n’en eus pas davantage le loisir ; l’envoyé de la reine l’emmena brusquement, me laissant faire toutes les suppositions possibles quant au motif qui avait porté la reine à envoyer chercher cette jeune fille, dont son mari m’avait si généreusement fait cadeau.
Par malheur ce petit événement s’ébruita, car on aime les cancans à Tananarive, tout aussi bien qu’ailleurs, et il vint à la connaissance des rigides Anglais, qui ne manquèrent pas de porter à ce sujet les jugements les plus téméraires ; mais si ce leur fut un prétexte pour attaquer la réputation de la reine, au moins ne put-elle, il me semble, leur fournir le moindre argument contre ma propre vertu.
Le bruit de la confiance que me témoignait la reine s’étant répandu dans Tananarive, je reçus la visite de presque tous les hauts fonctionnaires malgaches, et entre autres celle de l’évêque de Tananarive qui venait, lui aussi, me féliciter des succès que j’avais obtenus, succès, ajouta-t-il, dont nous ressentirons bientôt les bons effets. « Les Malgaches sont très spontanés dans la manifestation de leurs sentiments et, sachant les bonnes dispositions de la reine à votre égard, ils ne tarderont pas à recommencer d’envoyer leurs enfants à nos écoles, qu’ils avaient désertées quand ils croyaient que la reine et le Premier Ministre penchaient en faveur des Anglais.
– Maintenant, ajouta-t-il, j’ai appris que vous avez beaucoup à vous plaindre de la nourriture, principalement en ce qui concerne le vin et surtout le pain. En effet, la boulangerie malgache n’est pas même encore dans l’enfance, et l’art de pétrir la farine est complètement inconnu des sujets de la reine Ranavalo. Voulez-vous bien me permettre de mettre à votre disposition, pour tout le temps de votre séjour ici, tout le vin et tout le pain dont vous pouvez avoir besoin ? Nous faisons fabriquer ce dernier au couvent pour notre usage. »
J’acceptai avec reconnaissance, quant au pain, refusant pour le vin, dont M. Le Myre de Vilers avait eu l’extrême obligeance de me pourvoir.
Du reste, à dater de ce jour, j’eus l’honneur d’être admis, deux et même trois fois par semaine, à la table de notre Résident, qui, ma foi ! je dois le dire en passant, était excellente, attendu que M. Le Myre de Vilers avait amené de France un parfait cuisinier avec deux aides, plus des cargaisons de conserves de premier choix, ce qui est fort utile dans un pays où les ressources culinaires sont très bornées. J’avoue que je n’étais pas fâché de me refaire un peu ainsi des longues privations que m’avait fait éprouver la mauvaise cuisine à laquelle j’avais été réduit depuis mon arrivée à Tamatave.
Je dirai tout de suite que, avant de quitter Tananarive, j’allai prendre congé de l’évêque. Cet excellent homme, qui était de l’Ariège, me remit alors sa carte, sur laquelle il avait écrit quelques lignes, contenant les attestations les plus flatteuses au sujet des services que j’avais rendus, là-bas, aux représentants de la religion catholique, pour que je la fisse passer au cardinal Deprez, archevêque de Toulouse. J’avoue que je n’ai jamais remis cette carte et que je l’ai toujours en ma possession.
Après cette visite de l’évêque, je me rendis chez M. Le Myre de Vilers et je le mis au courant de mon entrevue du matin, le priant de vouloir bien me tracer la ligne de conduite que je devrais suivre dans les entretiens que je pouvais encore avoir avec la reine et avec le Premier Ministre, et de m’indiquer les points principaux sur lesquels je devais insister pour ne pas m’écarter de ses vues. Ce que je désirais, ce n’étaient pas des pouvoirs écrits, mais une parole – je savais que je pouvais compter sur celle de M. Le Myre de Vilers – qui me permît de croire que je ne serais pas désavoué dans le rôle que je me trouvais appelé à jouer. M. Le Myre de Vilers me la donna, et nous convînmes, à mon instigation, que je laisserais croire à la reine et au Premier Ministre que la politique de notre Résident n’était pas la mienne, et que même il n’y avait que des considérations de convenance qui m’obligeassent à paraître bien avec lui. J’avais jugé prudent d’agir ainsi, sachant en quelle défiance le Premier Ministre tenait M. Le Myre de Vilers.
Celui-ci approuva ma manière de voir. II fut arrêté entre nous qu’il me donnerait toutes les instructions qu’il jugerait convenables à l’accomplissement de ses projets, et que, du reste, il recevait lui-même du Ministère des Affaires étrangères de France. Cela me permettrait de mieux m’y reconnaître dans ce labyrinthe politique où les plus habiles, les Talleyrand-Périgord eux-mêmes, se sont égarés.