XXXI

Mon ordonnance

La question politique ainsi réglée, je me mis à réfléchir sur le mode de traitement que je devais suivre avec la reine quant à sa santé. Son état, ainsi que je l’ai dit, n’avait rien de bien grave ; il était causé par la privation d’air et d’exercice et par le manque de distractions. Le Premier Ministre la tenait enfermée dans son palais comme une carmélite ; elle éprouvait ce que pourrait éprouver toute jeune femme, française ou autre, mariée à un homme de soixante ans, qui ne cherche ni à lui être agréable ni à satisfaire ses goûts. En un mot, elle s’ennuyait.

À Paris, quand une femme est prise de ce genre de maladie, le médecin qui la soigne a toutes sortes de distractions à lui prescrire. Ce sont les visites, les théâtres, la promenade ; les courses dans les magasins, les musées, que sais-je ? Elle peut même faire enrager son mari. La pauvre Ranavalo n’avait pas cette ressource et tous les divertissements qui lui étaient permis consistaient en d’interminables parties de loto, qui ne fournissaient pas un aliment suffisant à son intelligence, ouverte et avide de s’instruire. Le rôle qu’elle jouait en politique était absolument négatif et ne pouvait être d’aucune ressource pour son esprit : c’était le Premier Ministre qui faisait tout. Quelquefois, pour les questions extérieures et pour la forme, il avait l’air de soumettre les projets à son approbation, mais elle devait toujours dire : Oui, sans pour ainsi dire savoir ce dont il s’agissait.

Partant de là, mon ordonnance fut vite conçue. Je la soumis au docteur Baissade et je fus heureux de voir qu’il approuvait complètement le traitement que je comptais faire suivre à la reine. On comprend que, retenu par le secret professionnel, je ne puisse publier ici le texte complet de l’ordonnance que je formulai ; je puis pourtant, sans m’écarter des devoirs qui sont imposés à un médecin, en donner quelques fragments. J’y insistais surtout pour que la reine pût prendre des distractions, celles que lui offrait la société de ses deux dames d’honneur étant insuffisantes. Un séjour à la campagne, aux environs de Tananarive pouvait lui faire grand bien. Je lui ordonnai aussi de boire du vin de Bordeaux à tous ses repas et de les terminer par du vin de Champagne.

Je savais que, si la reine n’avait pas ces vins, M. Le Myre de Vilers, dont la cave était fort bien garnie, mettrait avec plaisir à sa disposition, en attendant que Sa Majesté pût les faire venir de France, par l’entremise des frères Bontemps de Tamatave dont j’ai déjà parlé, tout ce qui lui serait nécessaire.

C’est ce que je fis savoir le lendemain à Sa Majesté, dans une seconde consultation à laquelle j’avais été appelé par le billet suivant de Marc Rabibisoa qui, en même temps qu’il était notre interprète, servait de secrétaire à la Reine.

Privée et confidentielle

« Mon cher Monsieur Cazeneuve,

« Son Excellence le Premier Ministre me charge de vous inviter à venir pour la consultation. Je vous attends à la porte du palais. Venez seul. Il ne m’est pas nécessaire de vous recommander la discrétion la plus complète.

« Sincèrement à vous

« Signé : Marc Rabibisoa. »

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