XXXII

Seconde consultation

Nous fûmes introduits dans le petit salon où j’avais été reçu la première fois, avec la même absence de cérémonial, et par les mêmes officiers de service. Comme la première fois aussi, le Premier Ministre était là, et la reine étendue sur le canapé. Elle portait un peignoir rose pâle, d’étoffe transparente, sur une chemise de fine batiste, suivant l’usage adopté par les femmes dans les pays tropicaux de se vêtir très légèrement. Sa figure me parut plus fatiguée que dans l’entrevue précédente. À mes questions, elle me répondit qu’elle avait de grandes palpitations, et, me montrant avec son doigt long et mince la place du cœur, elle me dit :

– C’est là que ça me fait mal.

Puis, prenant ma main, elle la posa au même endroit pour que je sentisse les battements.

Je fis quelques frictions à la place indiquée, je prescrivis des insufflations et, me faisant apporter un carré de flanelle, je montrai à son mari et à la dame de compagnie qui se trouvait là comment on devait les faire en posant le morceau de flanelle sur la partie malade, en y appliquant hermétiquement ses lèvres, et en y soufflant de l’air chaud, pris à grandes inspirations. Je lui indiquai aussi la manière de s’y prendre pour des frictions et pour des massages.

La reine parut se trouver assez bien des quelques soins que je venais de lui donner, et après que je lui eus fait prendre un léger cordial, nous nous mîmes, comme après la consultation précédente, à causer sur différents sujets. Je remarquai l’insistance du Premier Ministre à amener toujours l’entretien sur les affaires politiques, ce à quoi je ne me refusais pas, bien au contraire, espérant toujours en profiter pour agir sur son esprit ; toutefois, dans ces premières entrevues, voulant prendre le temps d’étudier mes réponses et surtout de pénétrer, autant qu’il se pourrait, sa pensée intime, j’évitais le plus possible de répliquer catégoriquement à ses questions. Bientôt pourtant, croyant m’apercevoir qu’il devinait mon jeu, je changeai de tactique et j’eus l’air de m’ouvrir complètement à lui. Il put supposer que, au premier moment, ma réserve avait été motivée par un certain sentiment de défiance, mais que la cordialité avec laquelle il me parlait, l’insistance qu’il mettait à me rappeler que, quelques jours auparavant, je lui avais promis de lui présenter mes observations chaque fois qu’il me le demanderait, m’avaient enlevé tout soupçon et engagé à causer avec lui à cœur ouvert.

C’est ainsi que je devins le médecin particulier de Ranavalo III, et bientôt après celui du Premier Ministre, aussi bien que des principaux personnages de leur entourage. Quant à la reine qui, je l’ai dit, n’était pas positivement malade, mais seulement un peu languissante, j’eus la satisfaction de voir que, au bout de quinze jours, elle était absolument métamorphosée ; son teint avait repris de la fraîcheur, ses yeux de l’éclat, son regard de la vivacité ; elle était redevenue gaie et souriante, et montrait beaucoup d’animation dans les entretiens qui suivaient les consultations. Quand le Premier Ministre était absent surtout, ce qui arrivait quelquefois, et que nous nous trouvions seuls, sans autre témoin que sa dame d’honneur et Marc Rabibisoa qui lui était dévoué, elle me parlait avec beaucoup d’abandon.

Lorsque ces conversations avaient lieu en présence du Premier Ministre, la reine s’exprimait toujours en malgache, Marc Rabibisoa traduisait ses paroles aussi bien que les miennes, car l’étiquette de la cour défend qu’il en soit autrement : la reine étant censée ne pas connaître d’autre langue que celle de son peuple ; mais quand nous étions seuls, elle s’exprimait en français. J’employais alors le tu selon l’usage de l’Orient où l’on tutoie tout le monde, même le sultan, et où ce mot n’implique aucune idée de familiarité. Nos entretiens roulaient alors le plus souvent, de même que lorsque le Premier Ministre était là, sur la politique, sur les affaires de l’État, sur l’avenir de Madagascar qui la préoccupait beaucoup ; elle me faisait part de ses désirs, de ses espérances ; elle me soumettait ses projets. Je les discutais avec elle ; je lui présentais mes observations, je lui suggérais de nouvelles idées. Elle m’avouait sa sympathie pour la France, dont elle accepterait bien plus volontiers le protectorat que celui de l’Angleterre, si elle était libre d’agir selon ses sentiments. Quoiqu’elle eût embrassé la religion de nos ennemis, – peut-être lui avait-il été impossible de faire autrement, – leurs sourdes menées, leur hypocrisie lui étaient odieuses et répugnaient à sa nature. Je l’entretenais dans ses bonnes dispositions pour nous ; je tâchais de l’encourager à user de son pouvoir pour qu’elles amenassent de bons résultats, et elle me promettait de ne rien signer sans me consulter.

C’est ainsi que mon titre officiel de médecin de la reine se trouva doublé du titre occulte de conseiller intime.

Le Premier Ministre me témoignait une confiance égale et causait avec moi, chaque fois que l’occasion s’en présentait, avec une cordialité apparente ; cependant je savais à quoi m’en tenir sur ses sentiments à mon égard et je soupçonne qu’il était beaucoup plus désireux de deviner ma pensée que de me faire connaître la sienne ; aussi me disais-je :

– Tu es Malgache, mais je suis Gascon, et tu ne me rouleras pas !

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