Depuis vingt et un jours déjà que j’étais à bord de ce cargo qui bourlinguait au large des côtes d’Afrique avant de piquer vers l’Amérique du Sud, j’avais mes habitudes à bord, des habitudes de phoque.
Tout le long du jour je m’ébattais dans la piscine, plongeant, replongeant, allant m’étendre sur une bâche pour fumer une cigarette ; selon l’heure, les cheveux plaqués ou la tête enturbannée d’une serviette éponge ; du matin au soir, le corps mordu par le soleil, le coin des lèvres, des yeux piquant de sel, allant dix, cent fois de suite me remettre à l’eau, ne pensant à rien, me laissant porter par une grosse chambre à air qui flottait à la surface de la piscine débordante dès que le navire mollement bercé par la longue houle de l’Atlantique s’inclinait, ou me laissant couler à fond pour remonter comme un cétacé, soufflant, m’ébrouant, heureux de vivre, m’ébahissant moi-même de ma simplicité et de la plénitude de ce bonheur animal dont je jouissais en toute innocence et que je ne demandais qu’à voir durer le plus longtemps possible.