XI.

Mais ces censeurs qui savent tout sans doute, puisqu’ils jugent l’auteur de si haut, ont-ils réellement cru que cette manière de défendre la religion, en la rendant douce et touchante pour le cœur, en la parant même des charmes de la poésie, fût une chose si inouïe, si extraordinaire ? " Qui oserait dire, s’écrie saint Augustin, que la vérité doit demeurer désarmée contre le mensonge, et qu’il sera permis aux ennemis de la foi d’effrayer les fidèles par des paroles fortes, et de les réjouir par des rencontres d’esprit agréables, mais que les catholiques ne doivent écrire qu’avec une froideur de style qui endorme les lecteurs ? " C’est un sévère disciple de Port-Royal qui traduit ce passage de saint Augustin ; c’est Pascal lui-même, et il ajoute à l’endroit cité " qu’il y a deux choses dans les vérités de notre religion, une beauté divine, qui les rend aimables, et une sainte majesté, qui les rend vénérables. " Pour démontrer que les preuves rigoureuses ne sont pas toujours celles qu’on doit employer en matière de religion, il dit ailleurs (dans ses Pensées) que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. Le grand Arnauld, chef de cette école austère du christianisme, combat à son tour l’académicien Du Bois, qui prétendait aussi qu’on ne doit pas faire servir l’éloquence humaine à prouver les vérités de la religion. Ramsay, dans sa Vie de Fénelon, parlant du Traité de l’Existence de Dieu par cet illustre prélat, observe que M. de Cambray savait que la plaie de la plupart de ceux qui doutent vient, non de leur esprit, mais de leur cœur, et qu’il faut donc répandre partout des sentiments pour toucher, pour intéresser, pour saisir le cœur. " Raymond de Sébonde a laissé un ouvrage écrit à peu près dans les mêmes vues que le Génie du Christianisme ; Montaigne a pris la défense de cet auteur contre ceux qui avancent que les chrestiens se font tort de vouloir appuyer leur créance par des raisons humaines. " C’est la foy seule qui embrasse vivement et certainement les hauts mystères de notre religion. Mais ce n’est pas à dire que ce ne soit une très belle et très louable entreprise d’accommoder encore au service de notre foy les outils naturels et humains que Dieu nous a donnez… Il n’est occupation ni desseins plus dignes d’un homme chrétien que de viser par tous ses estudes et pensemens à embellir, estendre et amplifier la vérité de sa créance. "

L’auteur ne finirait point s’il voulait citer tous les écrivains qui ont été de son opinion sur la nécessité de rendre la religion aimable, et tous les livres où l’imagination, les beaux-arts et la poésie ont été employés comme un moyen d’arriver à ce but. Un ordre tout entier de religieux connus par leur piété, leur aménité et leur science du monde, s’est occupé pendant plusieurs siècles de cette unique idée. Ah ! sans doute aucun genre d’éloquence ne peut être interdit à cette sagesse qui ouvre la bouche des muets et qui rend diserte la langue des petits enfants. Il nous reste une lettre de saint Jérôme où ce Père se justifie d’avoir employé l’érudition païenne à la défense de la doctrine des chrétiens. Saint Ambroise eût-il donné saint Augustin à l’Église, s’il n’eût fait usage de tous les charmes de l’élocution ? " Augustin, encore tout enchanté de l’éloquence profane, dit Rollin, ne cherchait dans les prédications de saint Ambroise que les agréments du discours et non la solidité des choses, mais il n’était pas en son pouvoir de faire cette séparation. " Et n’est-ce pas sur les ailes de l’imagination que saint Augustin s’est élevé à son tour jusqu’à la Cité de Dieu ? Ce Père ne fait point de difficulté de dire qu’on doit ravir aux païens leur éloquence, en leur laissant leurs mensonges, afin de l’appliquer à la prédication de l’Evangile, comme Israël emporta l’or des Egyptiens sans toucher à leurs idoles, pour embellir l’arche sainte. C’était une vérité si unanimement reconnue des Pères, qu’il est bon d’appeler l’imagination au secours des idées religieuses, que ces saints hommes ont été jusqu’à penser que Dieu s’était servi de la poétique philosophie de Platon pour amener l’esprit humain à la croyance des dogmes du christianisme.

Share on Twitter Share on Facebook