XII.

Mais il y a un fait historique qui prouve invinciblement la méprise étrange où les critiques sont tombés lorsqu’ils ont cru l’auteur coupable d’innovation dans la manière dont il a défendu le christianisme. Lorsque Julien, entouré de ses sophistes, attaqua la religion avec les armes de la plaisanterie, comme on l’a fait de nos jours ; quand il défendit aux Galiléens d’enseigner et même d’apprendre les belles lettres ; quand il dépouilla les autels du Christ, dans l’espoir d’ébranler la fidélité des prêtres ou de les réduire à l’avilissement de la pauvreté, plusieurs fidèles élevèrent la voix pour repousser les sarcasmes de l’impiété et pour défendre la beauté de la religion chrétienne, Apollinaire le père, selon l’historien Socrate, mit en vers héroïques tous les livres de Moïse, et composa des tragédies et des comédies sur les autres livres de l’Ecriture. Apollinaire le fils écrivit des dialogues à l’imitation de Platon, et il renferma dans ces dialogues la morale de l’Evangile et les préceptes des Apôtres [NOTE 41]. Enfin, ce Père de l’Église surnommé par excellence le Théologien, Grégoire de Nazianze, combattit aussi les sophistes avec les armes du poète. Il fit une tragédie de la mort de Jésus-Christ, que nous avons encore. Il mit en vers la morale, les dogmes et les mystères mêmes de la religion chrétienne. L’historien de sa vie affirme positivement que ce saint illustre ne se livra à son talent poétique que pour défendre le christianisme contre la dérision de l’impiété ; c’est aussi l’opinion du sage Fleury. " Saint Grégoire, dit-il, voulait donner à ceux qui aiment la poésie et la musique des sujets utiles pour se divertir, et ne pas laisser aux païens l’avantage de croire qu’ils fussent les seuls qui pussent réussir dans les belles-lettres [NOTE 42]. "

Cette espèce d’apologie poétique de la religion a été continuée, presque sans interruption, depuis Julien jusqu’à nos jours. Elle prit une nouvelle force à la renaissance des lettres : Sannazar écrivit son poème de Partu Virginis, et Vida son poèmede la vie de Jésus-Christ (Christiade) ; Buchanan donna ses tragédies de Jephté et de Saint Jean-Baptiste. La Jérusalem délivrée, le Paradis perdu. Polyeucte, Esther, Athalie, sont devenus depuis de véritables apologies en faveur de la beauté de la religion. Enfin Bossuet, dans le second chapitre de sa préface intitulée De Grandiloquentia et suavitate Psalmorum ; Fleury, dans son traité Des Poésies sacrées ; Rollin, dans son chapitre De l’Eloquence de l’Ecriture ; Lowth, dans son excellent livre De sacra Poesi Hebraeorum ; tous se sont complu à faire admirer la grâce et la magnificence de la religion. Quel besoin d’ailleurs y a-t-il d’appuyer de tant d’exemples ce que le seul bon sens suffit pour enseigner ? Dès lors que l’on a voulu rendre la religion ridicule, il est tout simple de montrer qu’elle est belle. Eh quoi ! Dieu lui-même nous aurait fait annoncer son Église par des poètes inspirés ; il se serait servi pour nous peindre les grâces de l’Epouse des plus beaux accords de la harpe du roi-prophète, et nous, nous ne pourrions dire les charmes de celle qui vient du Liban, qui regarde des montagnes de Sanir et d’Hermon, qui se montre comme l’aurore, qui est belle comme la lune, et dont la taille est semblable à un palmier ! La Jérusalem nouvelle que saint Jean vit s’élever du désert était toute brillante de clarté.

Peuples de la terre, chantez,

Jérusalem renaît plus charmante et plus belle !

Oui, chantons-la sans crainte, cette religion sublime ; défendons-la contre la dérision, faisons valoir toutes ses beautés, comme au temps de Julien ; et puisque des siècles semblables ont ramené à nos autels des insultes pareilles, employons contre les modernes sophistes le même genre d’apologie que les Grégoire et les Apollinaire employaient contre les Maxime et les Libanius.

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