Note

Il ne faut pourtant pas confondre les fautes d'orthographe et de langue, dans les manuscrits de la première partie du XVIIIe siècle, avec l'orthographe et les langues de cette époque, qui n'étaient pas fixées et variaient encore dans chaque pays, selon les provinces. (N.d.A.)

Cromwell s'éleva principalement en adoptant un parti : il se plaça à la tête des indépendants, secte sortie du sein des puritains, et dont l'exagération fit la force. Les membres indépendants du parlement devinrent les tribuns de la république : les généraux et les officiers de l'armée furent remplacés par des généraux et des officiers indépendants. On établit auprès de chaque corps des commissaires qui contrecarraient les mesures des capitaines modérés ; l'esprit des troupes s'exalta jusqu'au plus haut degré du fanatisme.

En vain Charles, auquel il restait encore une ombre de puissance, voulut traiter à Huxbridge : la négociation fut rompue et la guerre renouvelée. Montross obtint quelques succès inutiles en Ecosse. « Le comte de Montross, Ecossais et chef de la maison de Graham, dit le cardinal de Retz, est le seul homme du monde qui m'ait jamais rappelé l'idée de certains héros que l'on ne voit plus que dans les Vies de Plutarque ; il avait soutenu le parti du roi d'Angleterre dans son pays, avec une grandeur d'âme qui n'en avait point de pareille en ce siècle. »

Montross n'était point un homme de Plutarque : c'était un de ces hommes qui restent d'un siècle qui finit dans un siècle qui commence : leurs anciennes vertus sont aussi belles que les vertus nouvelles, mais elles sont stériles ; plantées dans un sol usé, les moeurs nationales ne les fécondent plus.

Tandis qu'on s'égorgeait dans les champs de l'Angleterre, les membres des communes livraient des batailles à Londres, abattaient des têtes sans exposer les leurs. L'archevêque Laud, prisonnier depuis plus de trois ans, fut tiré de son cachot par la vengeance de Prynne, pour aller au supplice (10 janvier 1645). Ce prélat inflexible avait fait beaucoup de mal à Charles, en l'entêtant de la suprématie épiscopale, en persuadant au roi d'entreprendre ce qu'il n'avait pas la force d'accomplir. Laud, courbé sur son bâton pastoral, était naturellement si près du terme de sa course, qu'on aurait pu se dispenser de hâter le pas du vieux voyageur. « Agé de soixante-seize ans, vénérable par ses vertus, il regarda la mort sans tomber dans la pusillanimité des vieillards qui, du bord de leur tombeau, font des voeux au ciel pour en obtenir quelques malheureux moments qu'ils veulent attacher au grand nombre de leurs années . »

Battu de toutes parts, défait complètement à Naseby (juin 1645), Charles crut trouver un asile parmi ses véritables compatriotes : il quitta Oxford, où il s'était réfugié, et s'alla rendre à l'armée écossaise, avec les chefs de laquelle il avait secrètement traité. On le conduisit à Newcastle, où s'ouvrirent de nouvelles négociations. Des commissaires du gouvernement anglais arrivèrent : tout le monde pressait Charles d'accepter les conditions proposées : les Ecossais ou les saints (c'est ainsi qu'ils se nommaient), les presbytériens effrayés des indépendants, l'ambassadeur de France, Bellièvre, la reine même absente, mais se faisant entendre par l'intermédiaire de Montreuil. Charles refusa l'arrangement, parce qu'il blessait les principes de sa croyance. A cette époque la foi était partout, excepté chez un petit nombre de libertins et de philosophes ; elle imprimait aux fautes et quelquefois aux crimes des divers partis quelque chose de grave, de moral même, si l'on ose dire, en donnant à la victime de la politique la conscience du martyr, et à l'erreur la conviction de la vérité.

Un ministre écossais prêchant devant Charles commença le psaume 51 : Pourquoi, tyran, te vantes-tu de ton iniquité ? Charles se leva, et entonna le psaume 56 : Seigneur, prends pitié de moi, car les hommes me veulent dévorer . Le peuple, attendri, continua le cantique avec le souverain tombé : l'un et l'autre ne s'entendaient plus qu'à travers la religion.

Ces marques de pitié s'évanouirent ; les saints d'Ecosse en vinrent à un marché avec les justes d'Angleterre, et l'armée covenantaire livra Charles au parlement anglais, pour la somme de 800 000 livres sterling. « Les gardes fidèles de nos rois, dit Bossuet, trahirent le leur. » Lorsque Charles fut instruit de la convention, il prononça ces belles et dédaigneuses paroles : « J'aime mieux être au pouvoir de ceux qui m'ont acheté chèrement que de ceux qui m'ont lâchement vendu. »

Prisonnier des hommes qui allaient bientôt l'immoler, Charles fut conduit au château de Holmby (9 février 1647). Il reçut partout des témoignages de respect : la foule accourait sur son passage ; on lui amenait des malades afin qu'il les touchât pour les rendre à la santé ; vertu qu'il était censé posséder comme roi de France, comme héritier de Saint Louis. Plus Charles était malheureux, plus on le croyait doué de cette vertu bienfaisante : étrange mélange de puissance et d'impuissance ! On supposait au royal captif une force surnaturelle, et il n'avait pas celle de briser ses chaînes ; il pouvait fermer toutes les plaies, excepté les siennes. Ce n'était pas sa main, c'était son sang qui devait guérir cette maladie de liberté dont l'Angleterre était travaillée.

Les presbytériens, libres de craintes du côté du roi, essayèrent de licencier l'armée où dominaient les indépendants ; les indépendants l'emportèrent : ils formèrent entre eux dans leurs camps une espèce de parlement militaire aux ordres de Cromwell. Les officiers composaient la chambre haute, les soldats, qu'on nommait agitateurs, la chambre basse : c'est ainsi que la constitution républicaine de Rome passa aux légions de l'empire. Soixante-deux membres indépendants du vrai parlement, ayant à leur tête les orateurs, allèrent rejoindre l'armée militante, prêchante et délibérante, laquelle vint à Londres, et chassa qui bon lui plut de Westminster. En même temps, le cornette Joyce, qui, jadis tailleur, avait quitté l'aiguille pour l'épée, enleva le roi du château d'Holmby, le conduisit prisonnier de l'armée à New-Market, et de là à Hamptoncourt.

Les hommes qui se jettent les premiers dans les révolutions sont partis d'un point de repos ; ils ont été formés par une éducation et par une société qui ne sont point celles que les révolutions produisent. Dans les plus violentes actions de ces hommes, il y a quelque chose du passé, quelque chose qui n'est pas d'accord avec leurs actions, c'est-à-dire des impressions, des souvenirs, des habitudes qui appartiennent à un autre ordre de temps. Ces athlètes expirent successivement dans la lice à des distances inégales, selon le degré de leurs forces, ou, s'arrêtant tout à coup, refusent d'avancer. Mais auprès d'eux sont nés d'autres hommes, factieux engendrés par les factions, aucune impression, aucun souvenir, aucune habitude ne contrarie ceux-ci dans les faits du présent ; ils accomplissent par nature ce que leurs devanciers avaient entrepris par passion : aussi vont-ils beaucoup au delà de ces premiers révolutionnaires, qu'ils immolent et remplacent.

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