Note

Vie de Henriette de France. (N.d.A.)

Près d'une moitié de la propriété anglaise avait été séquestrée par le parlement, sous le prétexte de l'attachement que les propriétaires conservaient aux opinions royalistes. Le clergé anglican était errant dans les bois ; des victimes entassées dans les pontons, sur la Tamise, périssaient de maladie, et quelquefois de faim. On avait établi des comités investis du droit de vie et de mort, lesquels, sans forme de procès, dépouillaient les citoyens. Ces comités exerçaient des vengeances, vendaient la justice et protégeaient le crime.

Tous ces maux rendirent l'entreprise de l'armée contre le parlement extrêmement populaire, car, dans le mouvement des ambitions et dans le ressentiment des misères publiques, on n'examina pas jusqu'à quel point le succès de la révolution n'avait pas tenu à des rigueurs que l'humanité, l'équité et la morale ne pouvaient d'ailleurs justifier.

Après avoir chassé les presbytériens du parlement, l'armée entama, à l'exemple de ce même parlement, des négociations avec le roi.

Cromwell pensa-t-il d'abord à se réunir à Charles ? On l'a cru. John Cromwell, un de ses cousins, lui avait entendu dire à Hamptoncourt : « Le roi est injustement traité, mais voici ce qui lui fera rendre justice ; » il montrait son épée. Il est certain qu'Ireton et Cromwell eurent des pourparlers fréquents à Hamptoncourt avec les agents du roi. Charles offrait dit-on, à Cromwell l'ordre de la Jarretière et le titre de comte d'Essex ; mais Cromwell prévit tant d'opposition de la part des agitateurs et des niveleurs, qu'il se décida à les suivre. L'esprit républicain, en forçant un simple citoyen à refuser un cordon, lui donna une couronne : Cromwell fût redevenu sujet obscur, mais vertueux ; la liberté lui imposa le crime, le despotisme et la gloire.

Cromwell jouait vraisemblablement un double jeu ; si les négociations avec Charles réussissaient, elles le menaient à la fortune ; si elles échouaient, il trouvait, en abandonnant le roi, d'autres honneurs : d'un côté la prudence et l'intérêt lui conseillaient de se rapprocher de Charles ; de l'autre, sa haine plébéienne et son ambition démesurée l'en écartaient. Ainsi s'expliquerait mieux l'ambiguïté de la conduite de Cromwell que par la profonde hypocrisie d'une trahison non interrompue et inébranlablement décidée d'avance à se porter aux derniers excès.

Dans ces négociations tant de fois reprises et rompues avec les divers partis, Charles lui-même fut généralement accusé de fausseté. Il avait le tort de trop écrire et de trop parler : ses billets, ses lettres, ses déclarations, ses propos, finissaient par être connus de ses ennemis, qui à cet effet se servaient souvent de moyens peu honorables. Après la bataille de Naseby (14 juin 1645), on trouva dans une cassette perdue des lettres et des papiers importants : ils furent lus dans une assemblée populaire à Guildhall, et publiés ensuite avec des notes, par ordre du parlement, sous ce titre : Le portefeuille du roi ouvert, etc . Ces papiers et ces lettres (du roi et de la reine) prouvaient trop que Charles ne regardait pas sa parole comme engagée, qu'il songeait à appeler des armées étrangères, et qu'il était toujours entêté des maximes du pouvoir absolu .

C'est encore ainsi qu'avant de quitter Oxford pour se livrer aux Ecossais, il avait écrit à Digby que si les presbytériens ou les indépendants ne se joignaient à lui, ils s'égorgeraient les uns les autres, et qu'alors il deviendrait roi.

Lorsque, saisi à Holmby par l'armée, Charles fut conduit à Hamptoncourt, il adressa à la reine une lettre dans laquelle, après s'être expliqué sur sa position, il ajoutait : « En temps et lieu je saurai agir comme il le faudra avec ces coquins-là. Je leur donnerai un cordon de chanvre d'une jarretière de soie. Ireton et Cromwell, qui traitaient avec le roi, retirèrent cette lettre des panneaux d'une selle où elle avait été renfermée. Comme homme, Charles était naturellement sincère ; comme roi, l'orgueil du sang et du pouvoir le rendait méprisant et trompeur. Montross, allant au supplice, employa plus noblement cette image des cordons. « Le feu roi, dit-il, m'a fait l'honneur de me gratifier de l'ordre de la Jarretière ; mais la corde rend ma position plus illustre. »

Les niveleurs, à la politique desquels Cromwell dut sa puissance, étaient une autre faction engendrée par les indépendants, et poussant les principes de ceux-ci à leur dernière conséquence.

Effrayé par des menaces, ne pouvant s'entendre avec l'armée et le parlement, qui traitaient séparément avec lui, le roi eut la faiblesse de s'échapper de Hamptoncourt, laissant sur sa table une déclaration adressée aux deux chambres, et divers papiers. Huntingdon prétend que Cromwell avait écrit une lettre au gouverneur de Hamptoncourt pour l'avertir du danger de Charles.

Ce prince croyait sa cause bien abandonnée, puisqu'il n'essaya pas de s'enfoncer dans l'Angleterre et d'y retrouver son parti, quoiqu'il eut un moment la pensée de se retirer à Berwick. Après avoir marché toute la nuit, accompagné seulement du valet de chambre Legg et de deux gentilshommes, Ashburnham et Berckley, il arriva sur la côte ; il ne vit qu'une mer déserte. Celui qui commande à l'abîme, et qui le mit à sec pour laisser passer son peuple, n'avait pas même permis qu'une barque de pêcheur se présentât pour ouvrir un chemin sur les flots au monarque fugitif. Charles alla frapper à la porte du château de Tichfield, où la comtesse douairière de Southampton lui donna l'hospitalité ; il prit ensuite le parti désespéré de solliciter la protection du gouverneur de l'île de Wight, le colonel Hammond, créature de Cromwell.

Prévenu par Jacques Ashburnham et par Berckley, Hammond refusa de promettre sa protection à Charles, et demanda à être conduit vers lui. Le roi, apprenant l'arrivée inattendue du gouverneur, se crut encore une fois victime d'une de ces trahisons dont il avait l'habitude. Il s'écria : « Jacques, tu m'as perdu ! » Ashburnham, fondant en larmes, proposa à Charles de poignarder Hammond, qui attendait à la porte. Charles refusa de consentir à l'assassinat d'Hammond, assassinat qui l'eût peut-être sauvé.

Le roi devint une seconde fois prisonnier de la faction militaire, au château de Carisbrook. Cromwell, qui par ses tergiversations était devenu suspect au parlement et aux soldats, assembla les officiers : dans un conseil secret il fut résolu, quand l'armée aurait achevé de s'emparer de tous les pouvoirs, de mettre le roi en jugement pour crime de tyrannie ; crime que cette indépendante armée employait à son profit, le regardant sans doute comme un de ses privilèges ou l'une de ses libertés.

Or, le parlement, tout mutilé qu'il était déjà, essayait de résister encore ; il continuait de traiter avec le roi. Lorsque les commissaires de cette assemblée devenue impuissante furent introduits au château de Carisbrook, ils demeurèrent frappés de respect à la vue de cette tête blanchie et découronnée, comme l'appelle Charles dans quelques vers qui nous restent de lui. Les débats entre les commissaires et le roi s'ouvrirent sur des points de discipline religieuse, et l'on ne s'entendit point ; tel était le génie de l'époque : on sacrifiait tout à l'entêtement d'une controverse. Cependant les libertés publiques, et notamment la liberté de la presse, pour lesquelles on prétendait tout faire, étaient sacrifiées aux partis tour à tour triomphants. Des brochures intitulées Cause de l'armée, Accord du peuple, étaient déclarées par les parlementaires attentatoires à l'autorité du gouvernement ; la force militaire, de son côté, obtenait, sur la demande du général Fairfax, que tout écrit serait soumis à la censure et que le censeur serait désigné par le général. Les factions, même les factions républicaines, n'ont jamais voulu la liberté de la presse : c'est le plus grand éloge que l'on puisse faire de cette liberté.

Cependant les niveleurs poussèrent si loin leur politique de théorie, qu'ils donnèrent des craintes sérieuses à Cromwell. Il se présente tout à coup à l'un de leurs rassemblements avec le régiment rouge qu'il commandait, et dont les soldats étaient surnommés côtes de fer. Il tue deux démagogues de sa main, en fait pendre quelques autres, dissipe le reste. Que disaient les lois de ces homicides arbitraires, dans ce temps de liberté légale ? Rien.

Les Ecossais, honteux d'avoir livré leur maître, courent aux armes ; Cromwell les bat et fait prisonnier leur général, le duc d'Hamilton ; des royalistes, obligés de capituler dans la ville de Colchester, sont exposés au marché comme un troupeau de nègres, et encaqués pour la Nouvelle-Angleterre : Charles II, rendu à sa puissance, oublia de les racheter : l'ingratitude des rois fit de la postérité de ces infortunés prisonniers des hommes libres, sur le même sol où ils avaient été vendus comme esclaves des rois.

L'armée victorieuse demanda, d'abord en termes couverts, et ensuite patemment, le jugement du roi. Diverses garnisons du royaume appuyèrent cette demande. Louis XVI fut victime de la violence d'un corps politique. Charles Ier ne succomba qu'à l'animosité de la faction militaire : ses accusateurs, une partie de ses juges, et jusqu'à ses bourreaux, furent des officiers.

Epouvanté de tant de démarches audacieuses, le parlement presse les négociations avec l'auguste prisonnier, afin d'opposer le pouvoir de la couronne au pouvoir de la soldatesque : pour toute réponse Cromwell marche sur Londres.

En même temps l'ordre est expédié au colonel Hammond, dans l'île de Wight, d'aller rejoindre le général Fairfax et de remettre la garde de la personne du roi au colonel Ewers.

Le parlement défend à Hammond d'obéir : Hammond se serait soumis aux ordres de l'autorité civile ; mais trouvant les soldats de la garnison disposés à la révolte, il partit pour le camp, où on l'arrêta. Le roi fut saisi, conduit de l'île de Wight au château de Hurst, et bientôt à Windsor. Charles avait envoyé son ultimatum aux communes, et avait promis à Hammond d'attendre vingt jours dans l'île de Wight la réponse définitive du parlement ; il ne tenta donc point de s'échapper, ce qu'il aurait pu faire aisément : sa fidélité à sa parole le conduisit à l'échafaud ; l'honneur du prince fit le crime de la nation.

Les indépendants avaient précédemment expulsé de la chambre élective les presbytériens les plus probes ; ils en allaient être chassés à leur tour. Ce fut la seule circonstance où ces fameuses communes montrèrent du courage : à la face de l'armée, qui assiégeait les portes de Westminster, elles déclarèrent que les conditions venues de l'île de Wight étaient suffisantes et qu'on pouvait conclure un traité avec le roi. Les grandes résolutions tardives ne réussissent presque jamais, parce que, n'appartenant ni à l'inspiration de la vertu ni à l'impulsion du caractère, elles ne sont que le résultat d'une position désespérée qui fait un moment surmonter la peur ; alors, l'on manque du courage suffisant pour soutenir ces résolutions, ou des moyens nécessaires pour les exécuter.

L'équitable histoire doit remarquer que ce vote des communes fut principalement l'ouvrage de Prynne, de ce presbytérien si persécuté par le parti de la couronne et de l'épiscopat, de cet homme qui pour l'indépendance de ses opinions avait subi deux fois la mutilation, trois fois l'exposition au pilori, huit années de prison et des amendes considérables.

Le lendemain de la résolution parlementaire, le colonel Pride, charretier par état, arrêta quarante-sept membres des communes lorsqu'ils se présentèrent aux portes de Westminster. Le jour suivant, l'entrée de la chambre fut refusée à quatre-vingt-dix-huit autres. Prynne déclara qu'il ne se retirerait jamais volontairement, et l'on fut obligé de l'entraîner de force. Après diverses épurations, le long parlement se trouva réduit à soixante-dix-huit membres, et bientôt à cinquante-trois par des retraites volontaires : trois cent quarante votants avaient été présents à la délibération relative aux négociations avec le roi. La poignée de séditieux conservée par la dérision des soldats retint le nom de parlement : le mépris populaire y ajouta le surnom de rump, qui lui est resté.

Le rump rejeta tout projet d'accommodement avec Charles ; il parla aussi de forger un de ces plans de république qui ébaudissent les dupes et dont les fripons profitent. Le bill pour mettre Charles en jugement et pour ériger à cet effet une cour de justice fut proposé et voté dans la prétendue chambre des communes. La chambre haute, dont il n'existait plus que l'ombre, et qui ne comptait que seize pairs dans son sein, rejeta à l'unanimité le double bill. Le rump rendit aussitôt cet arrêt : « Attendu que les membres des communes sont les véritables représentants du peuple, de qui après Dieu émane tout pouvoir, la loi naît des communes et n'a besoin pour être obligatoire ni du concours des pairs ni de celui du roi. »

Un acte fut passé, autorisant cent quarante-cinq juges nommés dans cet acte, ou trente seulement parmi eux, à se former en haute cour, afin de faire le procès à Charles Stuart, roi d'Angleterre. Coke fut l'avocat général et Bradshaw eut la présidence de cette cour, dont Cromwell faisait partie. Il ne se trouva à l'ouverture de la procédure que soixante-six membres, et soixante seulement au prononcé de la sentence.

Le roi fut conduit de Windsor au palais de Saint-James, et de là à la barre de la cour, qui siégeait au bout de la grande salle de Westminster. Le président Bradshaw était assis dans un fauteuil de velours cramoisi, et les soixante-six commissaires, rangés des deux côtés du président, sur des banquettes recouvertes d'écarlate : un autre fauteuil, en face du président, avait été préparé pour l' accusé . Lorsqu'on annonça l'arrivée du roi, Cromwell se précipita à une fenêtre pour le voir, et s'en retira tout aussi vite, pâle comme la mort.

Charles entra d'un pas ferme, le chapeau sur la tête, une canne à la main ; il s'assit d'abord, puis se leva et promena sur ses juges un regard assuré ; c'était le 20 janvier 1649, jour qui devait avoir son anniversaire : le 20 janvier 1793 fut lue à Louis XVI, prisonnier au Temple, la sentence de mort.

Amené quatre fois devant ses meurtriers, Charles montra une noblesse, une patience, un sang-froid, un courage qui effacèrent le souvenir de ses faiblesses. Il déclina la compétence de la cour, et, la tête couverte, parla en roi.

Bradshaw opposa à Charles la souveraineté du peuple ; il accusa le prince d'avoir violé la loi, opprimé les libertés publiques et versé le sang anglais. Cette controverse politique n'était qu'une plaidoirie dérisoire devant la mort séant au tribunal. On entendit des témoins qui prouvèrent que le roi avait commandé ses troupes dans diverses affaires : en France on n'aurait pas tué un roi pour s'être battu.

Lady Fairfax montra la généreuse audace particulière aux femmes : de la tribune où elle assistait au procès, elle osa contredire les commissaires. On la menaça de faire tirer les soldats sur les tribunes.

Les juges, se reconnaissant bourreaux, avaient déposé une épée sur la table à laquelle étaient assis les deux secrétaires du tribunal. Charles, passant devant cette table, toucha le glaive du bout de la canne qu'il tenait à la main, et dit : « Il ne me fait pas peur. » Il disait vrai.

Il avait pareillement touché avec cette canne l'épaule de l'avocat général Coke, en lui adressant le cri parlementaire Hear ! hear ! (Ecoutez ! écoutez !) lorsque Coke commença la plaidoirie. La pomme d'argent de la canne tomba. Amis et ennemis en conclurent que le roi serait décapité.

Charles, entendant autour de lui les exclamations : « Justice ! justice ! Exécution ! exécution ! » sourit de pitié.

Un misérable, peut-être un des juges, lui crache au visage : il s'essuie tranquillement. « Les pauvres soldats, dit-il ensuite à Herbert (le Cléry du devancier de Louis XVI), les pauvres soldats ne m'en veulent pas ; ils sont excités à ces insultes par leurs chefs, qu'ils traiteraient de la même manière pour un peu d'argent. » Un de ces soldats, qui lui témoignait quelque commisération, fut rudement frappé par un officier. « La punition me semble passer l'offense » dit Charles.

La religion soutenait le monarque : il pensait partager ces ignominies avec le Roi des rois, et cette comparaison élevait son âme au-dessus des misères de la vie. Il ne s'attendrit qu'en entendant le peuple s'écrier derrière les gardes : « Que Dieu préserve Votre Majesté ! » Ce ne sont pas les outrages, ce sont les marques de bonté qui brisent le coeur des malheureux.

Dans les intervalles des séances, les commissaires se retiraient pour délibérer entre eux dans la chambre peinte . C'est ce qui arriva surtout le troisième jour du jugement, lorsque le roi proposa de s'expliquer devant un comité composé de lords et de membres des communes, ayant à faire, disait-il, une proposition propre à rendre la paix à son peuple. Bradshaw repoussa la demande du roi : le colonel Downes, un des juges, réclama ; la cour alla délibérer dans la chambre voisine ; Cromwell l'emporta sur le colonel : il fut décidé qu'on n'admettrait point la proposition du roi. Charles avait dessein, du moins on l'a cru, de déclarer qu'il abdiquait la couronne en faveur du prince de Galles.

Avant et pendant l'instruction du procès, on essaya, par toutes sortes de jongleries, d'échauffer l'esprit du peuple.

Un prédicateur annonça en chaire « qu'il venait d'avoir une révélation ; que pour assurer le bonheur du peuple il était urgent d'abolir la monarchie ; que le roi était visiblement Barabbas, et l'armée le Christ ; qu'il ne fallait pas imiter les Juifs, délivrer le voleur au lieu du juste ; que plus de cinq mille saints étaient dans l'armée, et des saints tels qu'il n'y en avait pas de plus grands dans le paradis ; qu'ainsi justice devait être faite du grand Barabbas de Windsor. » Ce prédicant, venu de la Nouvelle-Angleterre, s'appelait Peters ; singulière ressemblance de nom avec cet autre Peters qui contribua à la perte de Jacques second.

On vit dans ce moment critique ce que l'on a vu trop souvent : la probité commune, suffisante dans le temps de calme, insuffisante au moment du péril. Cette espèce d'honnêtes gens qui avaient voulu la révolution de bonne foi manquèrent d'énergie pour la retenir dans de justes bornes. Whitelocke, de ce troupeau des faibles, déclare qu'on rejetait la sale besogne du procès fait au roi sur l'armée ; chose naturelle, selon lui, puisque l'armée avait demandé l'accusation. Whitelocke avait raison ; mais l'armée n'entendait pas la chose comme cela : elle prétendait rendre les parlementaires exécuteurs de ses hautes oeuvres. Whitelocke, commissaire du sceau, s'alla cacher à la campagne avec son collègue Weddrington ; Elsing, clerc du parlement, résigna sa charge.

John Cromwell, alors au service de Hollande, vint en Angleterre de la part du prince de Galles et du prince d'Orange pour tâcher de sauver le roi. Introduit, avec beaucoup de peine, auprès d'Olivier, son cousin, il chercha à l'effrayer de l'énormité du crime prêt à se commettre ; il lui représenta, à lui Olivier Cromwell, qu'il l'avait vu jadis à Hamptoncourt dans des opinions plus loyales. Olivier répliqua que les temps étaient changés, qu'il avait jeûné et prié pour Charles, mais que le ciel n'avait point encore donné de réponse. John s'emporta, et alla fermer la porte ; Olivier crut que son cousin le voulait poignarder : « Retournez à votre auberge, lui dit-il, et ne vous couchez qu'après avoir entendu parler de moi. » A une heure du matin, un messager d'Olivier vint dire à John que le conseil des officiers avait cherché le Seigneur, et que le Seigneur voulait que le roi mourut. Dans une autre occasion on avait entendu Cromwell s'écrier : « Il s'agit de ma tête ou de celle du roi ; mon choix est fait. »

L'ordre pour l'exécution de l'arrêt de mort fut signé dans la salle peinte, par une soixantaine de membres, qui le scellèrent de leurs sceaux ; l'original de cet ordre existe : plusieurs noms des signataires sont écrits de manière à ce qu'on ne les puisse lire ; d'autres sont effacés et remplacés par des noms en interligne. La lâcheté du présent et la crainte de l'avenir avaient commandé ces viles précautions d'une conscience épouvantée.

Cromwell apposa son nom à l'ordre d'exécution avec ces bouffonneries qu'il avait coutume de mêler aux actions les plus sérieuses ; soit qu'il fût ou qu'il voulût avoir l'air d'être au-dessus de ces actions, soit que son caractère se composât du burlesque et du grand, l'un servant de délassement à l'autre.

On avait vu Cromwell dans sa première jeunesse si mauvais sujet, que les maîtres des tavernes fermaient leur porte lorsqu'il passait dans les rues d'Huntingdon. Une fois, chez un de ses oncles, il obligea les assistants à fuir d'un bal par le choix d'un parfum dont il avait frotté ses gants et ses habits. Plus tard, s'occupant d'une constitution pour l'Angleterre, il jeta un coussin à la tête de Ludlow, qui lui lança un autre coussin dans les jambes comme il s'enfuyait. Des saints le surprirent un jour occupé à boire. « Ils croient, dit-il à ses joyeux amis, que nous cherchons le Seigneur, et nous cherchons un tire-bouchon. » Le tire-bouchon était tombé.

Cromwell donc, en signant l'ordre de l'exécution de Charles Ier, barbouilla d'encre le visage de Henry Martyn, qui signait après lui ; le régicide Martyn rendit jeu pour jeu à son camarade de forfait : cette encre était du sang ; elle leur laissa la marque qu'on voyait au front de Caïn.

Le colonel Ingoldsby, parent d'Olivier, nommé commissaire à la haute cour, où il ne siégea pas, entra par hasard dans la chambre peinte au moment de la signature ; Cromwell le presse de joindre son nom aux noms déjà inscrits ; le colonel s'y refuse. Les commissaires se saisissent d'Ingoldsby ; Cromwell lui met de force la plume entre les doigts avec de grands éclats de rire, et, lui conduisant la main, le contraint de tracer le mot Ingoldsby.

Au surplus, cette nargue abominable se retrouve souvent dans l'histoire. Les plus grands révolutionnaires de France étaient bavards, indiscrets, et affectaient de verser le sang avec la même indifférence que l'eau. Une conscience paralysée et une conscience vertueuse produisent la même paix ; elles portent légèrement la vie, avec cette différence : l'une ne sent pas le fardeau du remords, l'autre le poids de l'adversité.

Cromwell joua auprès de Fairfax une autre comédie : celui-ci voulait, avec son régiment, tenter de délivrer le roi. Cromwell, secondé d'Ireton, s'efforça de persuader à Fairfax que le Seigneur avait rejeté Charles. Ils l'engagèrent à implorer le ciel pour en obtenir un oracle, cachant toutefois à leur honorable dupe qu'ils avaient déjà signé l'ordre de l'exécution.

Le colonel Harrison, aussi simple que Fairfax, mais dans d'autres idées que lui, fut laissé par le gendre et le beau-père auprès de Fairfax : il fit durer les prières jusqu'au moment où la nouvelle arriva que la tête du roi était tombée.

Les lords Richmond, Lindsay, Southampton, Herforth, jadis ministres de Charles, demandèrent à subir la mort pour leur maître, comme seuls responsables, selon l'esprit de la constitution, des actes de la couronne. Les factions ne reconnurent point cette noble responsabilité : le crime donna un bill d'indemnité aux ministres. L'Ecosse menaça ; la France et l'Espagne firent des représentations, assez froides à la vérité ; la Hollande agit plus vivement en vain.

Charles avait écouté sa sentence sans donner d'autre signe d'émotion qu'une contraction dédaigneuse des lèvres lorsqu'il s'entendit déclarer tyran, traître, meurtrier, ennemi de la république, et condamné comme tel à avoir la tête tranchée. Les soixante-treize commissaires restant des cent quarante-quatre nommés se levèrent tous en signe d'adhésion à l'arrêt, qui fut lu à haute voix. Charles témoigna le désir de parler après la lecture ; on lui interdit la parole : il n'était plus vivant aux yeux de la loi.

Pendant les trois jours accordés au prisonnier pour se préparer à la mort, le seul bruit de la terre qui lui parvint dans sa solitude fut celui des ouvriers qui dressaient l'échafaud. Deux enfants de Charles restaient entre les mains des républicains, la princesse Elisabeth et le duc de Glocester, âgé de trois ans ; on les lui amena. Il prit ce dernier sur ses genoux, et lui dit : « Ils vont couper la tête à ton père ; peut-être te voudront-ils faire roi ; mais tu ne peux pas être roi tant que tes frères aînés, Charles et Jacques, seront vivants. » L'enfant répondit : « Je me laisserai plutôt mettre en pièces. » Le père embrassa bientôt l'orphelin, en répandant des larmes de tendresse. Cromwell, qui se réservait la couronne, voulait faire du duc de Glocester un marchand de boutons. Le jeune roi Louis XVII et sa sainte et noble soeur reçurent depuis, dans le Temple, les bénédictions de Louis XVI.

Un comité nommé par la haute cour avait choisi le lieu de l'exécution ; l'échafaud fut bâti devant le palais de Whitehall et élevé au niveau de la salle des banquets . En conséquence de cette disposition, Charles se devait trouver de plain-pied avec son trône nouveau, lorsqu'il sortirait par les fenêtres. La main de Dieu avait écrit sur la muraille de cette salle des festins la ruine de l'empire des Stuarts .

Le roi avait demandé l'assistance de l'évêque Juxon, vertueux défenseur de Strafford ; elle lui fut accordée à la sollicitation de Peters, ce prédicant fanatique qui ressemblait assez aux curés de Paris sous la Ligue. Herbert, qui ne quittait point son maître, couchait sur un grabat auprès de son lit.

Dans la nuit du 29 au 30 janvier, le roi dormit profondément jusqu'à quatre heures du matin. Alors il réveilla Herbert, et lui dit : « Le jour de mon second mariage est arrivé ; il me faut des vêtements dignes de la pompe. » Il indiqua les habits qu'il voulait porter ; il mit deux chemises, à cause de la rigueur de la saison : « Si je tremblais, dit-il, mes ennemis l'attribueraient à la peur. »

Charles s'était aperçu qu'Herbert avait eu un sommeil agité ; il lui en demanda la cause : « J'ai rêvé, dit le serviteur, que je voyais entrer l'archevêque Laud dans votre chambre, vous lui avez ordonné de s'approcher de vous, et vous lui avez parlé d'un air triste. L'archevêque a poussé un profond soupir, et s'est retiré en se prosternant. » Charles, frappé de ce songe, répliqua : « L'archevêque est mort ; s'il était vivant, je lui aurais dit quelque chose qui l'aurait fait soupirer. »

Le monarque passa quelques heures en prières avec l'évêque, et reçut la communion de la main de ce véritable ami de Dieu. Le républicain Ludlow travestit cette scène pathétique : il raconte que Juxon, appelé par Charles, mit en hâte son attirail épiscopal, et que le prélat, n'ayant rien de préparé sur la matière, lut à son pénitent un de ses vieux sermons. Les Mémoires de Cléry falsifiés par ordre des intéressés altèrent les paroles du roi martyr, et tournent en moquerie les actions de la vertu et du malheur.

Herbert rentra dans la chambre du roi, et bientôt le colonel Hacker vint annoncer qu'il était temps de partir pour Whitehall.

Charles, vêtu de deuil, le collier de Saint-Georges sur la poitrine, un chapeau orné d'un panache noir sur la tête (ainsi Falkland s'était paré pour mourir), sortit à pied du palais de Saint-James, le 30 janvier 1649 (vieux style), vers les huit heures du matin. Il traversa le parc entre deux détachements de soldats : ses serviteurs et ses geôliers, le colonel Thomlinson lui-même, chef de sa garde funèbre l'accompagnaient tête nue ; le respect était égal à la grandeur de la victime.

Le roi entra dans son palais de Whitehall : on lui avait préparé un dîner ; il ne prit qu'un peu de pain et de vin, encore par le conseil de Juxon. Deux heures s'écoulèrent avant qu'il fût appelé au supplice : on n'a pu que former des conjectures sur ce délai mystérieux.

Les ambassadeurs de Hollande n'étaient arrivés à Londres que le 25 janvier ; ils n'eurent audience des communes que le 29 au soir, la veille même de la catastrophe.

Seymour était avec eux ; il apportait deux lettres du prince de Galles, l'une adressée au roi, l'autre à Fairfax, et de plus un blanc seing du prince : Seymour avait ordre de déclarer que les parlementaires pouvaient écrire sur ce blanc seing toutes les conditions qu'ils jugeraient à propos d'imposer pour le rachat de la vie du prisonnier ; le nom de l'héritier de la couronne qui se trouverait au bas de ces conditions deviendrait le garant de leur acceptation pleine et entière. Cet incident put jeter de l'incertitude dans les esprits ; et s'il fût arrivé quelques jours plus tôt, il aurait peut-être sauvé le roi. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'on délibéra au pied de l'échafaud ; le sacrifice fut suspendu deux heures par une raison qu'on ignore. On trouve une preuve singulière de l'hésitation des conjurés jusqu'au dernier moment.

Fairfax était à Whitehall pendant l'exécution ; il avait refusé d'être du nombre des juges ; il s'était opposé à l'arrêt, et lady Fairfax encore plus que lui ; il avait menacé de soulever les soldats de son régiment ; il ne fut trompé, comme nous l'avons vu, que par les jongleries de Cromwell. Herbert le rencontra entouré de quelques officiers dans un corridor de Whitehall ; Fairfax l'apercevant lui dit aussitôt : « Comment se porte le roi ? » La question parut étonnante à Herbert. Fairfax croyait donc qu'on négociait ? il ignorait donc où en étaient les choses ? La droiture sans les lumières a les résultats de la méchanceté : si elle n'accomplit pas les faits, elle les laisse accomplir, et sa conscience même lui est un piège.

Peut-être aussi le retard provint-il de la difficulté de trouver des bourreaux et de les habiller pour la scène. Le jugement des régicides fait voir qu'on ne se servit pas de l'exécuteur ordinaire, que tous les soldats d'un régiment, appelés sous serment secret à cette oeuvre, dénièrent leurs bras, et que Hulet (officier accusé au procès d'avoir été le bourreau) soutint, dans sa défense, qu'on l'avait retenu prisonnier à Whitehall pour avoir refusé la hache d'honneur des régicides. Le colonel Thomlinson eut l'humanité de permettre à Seymour de donner à Charles la lettre de son fils. Seymour reçut les dernières instructions du roi pour le prince de Galles. A peine s'était-il retiré que le colonel Hacker entra : il venait annoncer au monarque le dernier moment.

Charles suivit sans hésiter le colonel. Il traversa, accompagné de Juxon, une longue galerie bordée de soldats : ceux-ci étaient bien changés ; leur contenance annonçait la part qu'ils prenaient enfin à une si haute infortune. Le roi sortit par l'extrémité de la galerie, et se trouva soudain sur l'échafaud : dix heures et demie sonnaient.

L'échafaud était tapissé de noir. Deux bourreaux masqués, mystérieux fantômes qui augmentaient la terreur de la catastrophe, se tenaient debout auprès du billot sur lequel on voyait briller la hache : tous les deux étaient uniformément vêtus d'un habit de boucher, espèce de sarrau étroit de laine blanche ; l'un, à cheveux et à barbe noirs, portait un chapeau retroussé ; l'autre avait une longue barbe grise ; sa tête était couverte d'une perruque également grise, dont les poils épars pendaient sur son masque. Quatre anneaux de fer étaient scellés dans l'échafaud ; on y devait passer des cordes pour forcer le roi à poser la tête sur le billot, en cas qu'il eût fait résistance , comme les anciens sacrificateurs attachaient le taureau à l'autel. Des régiments de cavalerie et d'infanterie, en casaques rouges, environnaient l'échafaud ; un peuple innombrable, placé hors de la portée de la voix de son souverain, se pressait en silence au delà des troupes.

Charles, du haut du monument funèbre, dominait ce formidable spectacle : il y avait dans ses regards quelque chose d'intrépide et de serein. Ne se pouvant faire entendre de la foule, il parla de toutes sortes d'affaires aux personnes qui l'environnaient. Il ne se montrait ni effrayé ni pressé de mourir ; on l'eût pris pour un homme occupé dans sa chambre de l'action la plus commune tandis que ses serviteurs préparent le lit de son repos.

On vendit, le soir, dans les rues de Londres, une relation populaire des derniers moments du roi : elle abonde en ces petits détails où se plaisent les Anglais. Dans ces portraits faits sur le modèle vivant, il y a une naïveté, une nature que toutes les copies du monde ne peuvent reproduire. Voici cette relation : on y remarquera la liberté d'esprit de Charles, les discours de ce prince mêlés de controverse religieuse et politique : le royal orateur semblait oublier qu'il était là pour mourir ; seulement ses parenthèses relatives à la hache montraient qu'il se souvenait de tout. On sera encore frappé, dans ce récit, de la douleur des assistants et du respect même du bourreau : Hulet, le masque à la barbe grise, ne porta le coup que par l'ordre de celui qui seul avait le droit de le commander.

Nous nous servons de la traduction française de cette pièce, faite en 1649, et qui est aussi naïve que l'original.

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