DON CAMILLE, DOÑA PROUHÈZE.
L’intérieur d’une batterie dans la forteresse de Mogador.
DON CAMILLE
J’ai achevé de vous montrer ma petite installation. Ceci est une batterie que j’ai construite et qui commande la barre. Armée de quelques bons gros pères que je me suis permis d’emprunter à un bâtiment de Monsieur le Roi,
Malheureusement perdu à la côte. Il s’était mépris sur la signification de mes feux
Par un hasard funeste changés depuis deux jours sans qu’il en fût averti.
DOÑA PROUHÈZE
Je vous ai écouté avec intérêt. J’aime mon nouveau ménage. Mais je dois dire que j’ai déjà tout vu.
DON CAMILLE
Et qui s’est permis de vous montrer la maison avant moi ?
DOÑA PROUHÈZE
Votre lieutenant, Don Sébastien, sur mon ordre.
DON CAMILLE
Fort bien. Excellente discipline que de s’adresser au lieutenant par-dessus la tête du capitaine.
DOÑA PROUHÈZE
De par le Roi il n’y a céans d’autre capitaine et gouverneur que moi.
DON CAMILLE
Cela me chatouille de vous entendre parler ainsi, Monsieur le Gouverneur,
Quand je pense que vous êtes dans le creux de ma main.
DOÑA PROUHÈZE
M’y suis-je pas mise moi-même ? Ai-je montré que j’avais peur de vous ? ai-je amené avec moi un seul mousquet, un seul homme d’armes ? rien que ma camériste.
DON CAMILLE
C’est vrai, vous avez été fidèle à notre rendez-vous.
DOÑA PROUHÈZE
Don Pélage et Sa Majesté ont bien montré que pour venir à bout de Don Camille il n’y avait besoin que d’une femme.
DON CAMILLE
Toutefois je refermerai ma main quand je voudrai.
DOÑA PROUHÈZE
Vous ne voudrez pas avant que je ne veuille.
DON CAMILLE
Je puis vous rembarquer sur votre petit bateau.
DOÑA PROUHÈZE
Et montrer que vous avez peur de moi ?
Vous déclarer contre votre souverain ? Montrer vos cartes et vous priver de tout atout dans les petits trafics et négociations que je connais ?
Me livrer à Don Rodrigue là-bas en mer qui m’attend ?
DON CAMILLE
Je puis vous mettre en prison.
DOÑA PROUHÈZE
Vous ne pouvez pas.
DON CAMILLE, violemment.
N’êtes-vous pas en mon pouvoir ?
DOÑA PROUHÈZE
C’est vous qui êtes dans le mien.
DON CAMILLE
Quelle est cette plaisanterie ?
DOÑA PROUHÈZE
Je dis qu’il ne tient qu’à moi de vous faire passer la nuit au fond de votre plus profonde citerne.
DON CAMILLE
Vous avez acquis ce pouvoir en deux jours ?
DOÑA PROUHÈZE
Deux jours sont beaucoup pour une femme au milieu de tous ces hommes simples.
DON CAMILLE
Je vous livrerai à eux.
DOÑA PROUHÈZE
Chacun d’eux me défend contre tous les autres.
DON CAMILLE
J’ai des amis hors de cette forteresse.
DOÑA PROUHÈZE
En me livrant c’est vous que vous livreriez.
DON CAMILLE
Où est ma citerne ?
DOÑA PROUHÈZE
Patientez. J’ai besoin de vous pour l’instant. Et cela m’amuse de faire de vous ce que je veux.
DON CAMILLE, regardant par une ouverture.
Cela m’amuse aussi. Et pour compléter mon bonheur, je n’ai qu’à regarder le fidèle Rodrigue qui monte sa faction au milieu de la mer.
DOÑA PROUHÈZE, regardant aussi.
Comme son bateau paraît petit ! Un tout petit point blanc.
DON CAMILLE, la tirant en arrière.
Venez. On ne peut regarder longtemps sans danger ce gouffre de feu.
DOÑA PROUHÈZE
Un tout petit point blanc !