SCÈNE IX

DON CAMILLE, DOÑA PROUHÈZE.

L’intérieur d’une batterie dans la forteresse de Mogador.

DON CAMILLE

J’ai achevé de vous montrer ma petite installation. Ceci est une batterie que j’ai construite et qui commande la barre. Armée de quelques bons gros pères que je me suis permis d’emprunter à un bâtiment de Monsieur le Roi,

Malheureusement perdu à la côte. Il s’était mépris sur la signification de mes feux

Par un hasard funeste changés depuis deux jours sans qu’il en fût averti.

DOÑA PROUHÈZE

Je vous ai écouté avec intérêt. J’aime mon nouveau ménage. Mais je dois dire que j’ai déjà tout vu.

DON CAMILLE

Et qui s’est permis de vous montrer la maison avant moi ?

DOÑA PROUHÈZE

Votre lieutenant, Don Sébastien, sur mon ordre.

DON CAMILLE

Fort bien. Excellente discipline que de s’adresser au lieutenant par-dessus la tête du capitaine.

DOÑA PROUHÈZE

De par le Roi il n’y a céans d’autre capitaine et gouverneur que moi.

DON CAMILLE

Cela me chatouille de vous entendre parler ainsi, Monsieur le Gouverneur,

Quand je pense que vous êtes dans le creux de ma main.

DOÑA PROUHÈZE

M’y suis-je pas mise moi-même ? Ai-je montré que j’avais peur de vous ? ai-je amené avec moi un seul mousquet, un seul homme d’armes ? rien que ma camériste.

DON CAMILLE

C’est vrai, vous avez été fidèle à notre rendez-vous.

DOÑA PROUHÈZE

Don Pélage et Sa Majesté ont bien montré que pour venir à bout de Don Camille il n’y avait besoin que d’une femme.

DON CAMILLE

Toutefois je refermerai ma main quand je voudrai.

DOÑA PROUHÈZE

Vous ne voudrez pas avant que je ne veuille.

DON CAMILLE

Je puis vous rembarquer sur votre petit bateau.

DOÑA PROUHÈZE

Et montrer que vous avez peur de moi ?

Vous déclarer contre votre souverain ? Montrer vos cartes et vous priver de tout atout dans les petits trafics et négociations que je connais ?

Me livrer à Don Rodrigue là-bas en mer qui m’attend ?

DON CAMILLE

Je puis vous mettre en prison.

DOÑA PROUHÈZE

Vous ne pouvez pas.

DON CAMILLE, violemment.

N’êtes-vous pas en mon pouvoir ?

DOÑA PROUHÈZE

C’est vous qui êtes dans le mien.

DON CAMILLE

Quelle est cette plaisanterie ?

DOÑA PROUHÈZE

Je dis qu’il ne tient qu’à moi de vous faire passer la nuit au fond de votre plus profonde citerne.

DON CAMILLE

Vous avez acquis ce pouvoir en deux jours ?

DOÑA PROUHÈZE

Deux jours sont beaucoup pour une femme au milieu de tous ces hommes simples.

DON CAMILLE

Je vous livrerai à eux.

DOÑA PROUHÈZE

Chacun d’eux me défend contre tous les autres.

DON CAMILLE

J’ai des amis hors de cette forteresse.

DOÑA PROUHÈZE

En me livrant c’est vous que vous livreriez.

DON CAMILLE

Où est ma citerne ?

DOÑA PROUHÈZE

Patientez. J’ai besoin de vous pour l’instant. Et cela m’amuse de faire de vous ce que je veux.

DON CAMILLE, regardant par une ouverture.

Cela m’amuse aussi. Et pour compléter mon bonheur, je n’ai qu’à regarder le fidèle Rodrigue qui monte sa faction au milieu de la mer.

DOÑA PROUHÈZE, regardant aussi.

Comme son bateau paraît petit ! Un tout petit point blanc.

DON CAMILLE, la tirant en arrière.

Venez. On ne peut regarder longtemps sans danger ce gouffre de feu.

DOÑA PROUHÈZE

Un tout petit point blanc !

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