SCÈNE XIII

L’OMBRE DOUBLE.

L’Ombre Double d’un homme avec une femme, debout, que l’on voit projetée sur un écran au fond de la scène.

Je porte accusation contre cet homme et cette femme qui dans le pays des Ombres ont fait de moi une ombre sans maître.

Car de toutes ces effigies qui défilent sur la paroi qu’illumine le soleil du jour ou celui de la nuit,

Il n’en est pas une qui ne connaisse son auteur et ne retrace fidèlement son contour.

Mais moi, de qui dira-t-on que je suis l’ombre ? non pas de cet homme ou de cette femme séparés,

Mais de tous les deux à la fois qui l’un dans l’autre en moi se sont submergés

En cet être nouveau fait de noirceur informe.

Car comme ce support et racine de moi-même, le long de ce mur violemment frappé par la lune,

Comme cet homme passait sur le chemin de garde, se rendant à la demeure qu’on lui avait assignée,

L’autre partie de moi-même et son étroit vêtement,

Cette femme, tout à coup commença à le précéder sans qu’il s’en aperçût.

Et la reconnaissance de lui avec elle ne fut pas plus prompte que le choc et la soudure aussitôt de leurs âmes et de leurs corps sans une parole et que mon existence sur le mur.

Maintenant je porte accusation contre cet homme et cette femme par qui j’ai existé une seconde seule pour ne plus finir et par qui j’ai été imprimée sur la page de l’éternité !

Car ce qui a existé une fois fait partie pour toujours des archives indestructibles.

Et maintenant pourquoi ont-ils inscrit sur le mur, à leurs risques et périls, ce signe que Dieu leur avait défendu ?

Et pourquoi m’ayant créée, m’ont-ils ainsi cruellement séparée, moi qui ne suis qu’un ? pourquoi ont-ils porté aux extrémités de ce monde mes deux moitiés palpitantes,

Comme si en moi par un côté d’eux-mêmes ils n’avaient pas cessé de connaître leurs limites ?

Comme si ce n’était pas moi seule qui existe et ce mot un instant hors de la terre lisible parmi ce battement d’ailes éperdues.

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