SCÈNE VIII

LA NÉGRESSE JOBARBARA, LE SERGENT NAPOLITAIN.

L’auberge de X… au bord de la mer.

LA NÉGRESSE, se jetant sur le sergent.

Traître, oh ! il faut que je te tue ! fi ! fi ! fi ! dis-moi qu’as-tu féfi de mon joli zizouilli que tu m’as pris ?

LE SERGENT

Bonjour, Madame !

LA NÉGRESSE

Méchant, je te reconnais bien !

LE SERGENT

Et moi, je ne veux pas vous écouter.

Il se prend le nez avec deux doigts de la main droite, en imitant avec le bras gauche le bâton de Polichinelle.

LA NÉGRESSE, retrouvant haleine.

… en or que je t’ai donné, mon joli bracelet tout en or que je t’ai donné, il valait plus de deux cents pistoles !

Où il y avait accrochés une main, une guitare, une clef, une goyave, un sou, un petit poisson et vingt autres jolies choses qui font bonheur ensemble !

Prends garde, j’ai prié dessus, oui, j’ai chanté dessus, j’ai dansé dessus et je l’ai arrosé avec le sang d’une poule noire !

De sorte que c’est joliment bon pour moi, mais celui qui me l’aura pris, ça le rend malade, il crève !

LE SERGENT

Je suis content d’en être débarrassé.

LA NÉGRESSE

Quoi, c’est vrai, tu l’as vendu, mauvais chien ?

LE SERGENT

Ne me l’aviez-vous pas donné ?

LA NÉGRESSE

Je te l’avais prêté, tu disais que ça te porterait bonheur, méchant,

Pour une certaine affaire que tu avais à faire en enfer !

Après quoi tu es parti d’ici par une fente de la muraille, retirant ta jambe,

Comme les lézards, les scorpions, les Cheval-bon-Dieu et les autres animaux secs.

LE SERGENT

Dis-moi, le capitaine qui part pour l’Inde, la première chose qu’il fait, ce n’est pas d’aller chez le banquier, qui lui procure des armes et des vivres,

De l’argent pour la paye de ses soldats et de ses marins ?

Il revient l’année prochaine avec dix sacs d’or.

LA NÉGRESSE

Mais tu ne reviens pas avec un sac !

LE SERGENT

Je ne reviens pas avec un sac ? et ce ne sera pas joli si je te donne un grand morceau de soie verte et rouge de quoi faire quinze mouchoirs, et un collier en or qui te fera quatre fois le tour du cou ?

Et un bracelet en or ? et encore un bracelet en or ? et item un autre bracelet en or ? et derechef un autre troisième, quatrième et cinquième bracelet en or ?

LA NÉGRESSE, le regardant partout.

Où c’est que tu as mis tout cela ?

LE SERGENT

Où c’est que j’ai mis tout cela ? et où c’est qu’il l’avait mise, ta maman,

Après que s’étant caché derrière une touffe de bananiers il l’eut prise avec toutes les femmes de son village pendant qu’elles pilaient du mil au clair de lune,

Ce brave Portugais de Portugal, quand il l’amena au Brésil pour lui apprendre les bonnes manières et le goût de la canne à sucre il n’y a rien de meilleur ?

S’il n’avait eu cette inspiration, au lieu d’être aujourd’hui cette matrone respectée, oracle de la maison du Juge,

Les cheveux accommodés avec de l’huile de palme et vêtue d’un morceau de papier,

Tu serais encore à danser comme une niaise sur les bords du fleuve Zaïre, essayant d’attraper la lune avec tes dents.

LA NÉGRESSE, éperdue.

La matrone… le clair de lune… l’huile de canne… tu me tournes la tête, je ne sais plus où j’en suis. (Avec un cri :) J’en étais à mon argent que tu m’as pris, voleur !

LE SERGENT

Cet argent que je t’ai pris ? et ce n’est pas beaucoup plus que de l’argent cette étoile que j’ai été cueillir dans la montagne avec les doigts,

Cette mouche à feu que j’ai attrapée avec la main et placée dans une petite cage,

Au moment qu’avec le dessous de son cœur elle essayait d’embraser une fleur de jasmin ?

LA NÉGRESSE

Tu parles de cette pauvre jeune fille avec laquelle tu nous es arrivé l’autre jour,

Tous deux cachés dans le fond de cette charrette chargée de roseaux ?

LE SERGENT

Maintenant la barque est prête. Ce soir, si le vent l’est aussi,

Nous faisons route vers le rivage latin.

LA NÉGRESSE

Et le bracelet que tu m’as pris ? et la chaîne que tu dois me donner à la place ?

LE SERGENT

Suis-les ! Attache-toi fort à moi ! qui t’empêche de nous accompagner ?

LA NÉGRESSE

Que veux-tu faire de cette pauvre jeune fille ?

LE SERGENT

J’ai promis de lui donner le Roi de Naples, pourquoi pas ? C’est une idée qui m’est venue tout à coup, je suis sûr qu’il y a un Roi à Naples !

Je lui ai dit que le Roi de Naples l’avait vue en songe, ah ! quel délicieux jeune homme j’ai fabriqué aussitôt ! il m’envoie fouiller le monde pour la trouver.

Je la reconnaîtrai à ce signe d’une tache en forme de colombe qu’elle a au-dessous de l’épaule.

LA NÉGRESSE

Et elle avait ce signe en effet ?

LE SERGENT, frappant dans ses mains.

Voilà qui est étrange, elle l’avait ! elle me l’a dit. Jamais elle n’a voulu me le montrer.

LA NÉGRESSE

Comment l’appelle-t-on ?

LE SERGENT

On l’appelle Doña Musique à cause d’une guitare dont heureusement elle ne joue jamais. Son vrai nom est Doña Délices.

LA NÉGRESSE

Et personne ne s’est aperçu de son départ ?

LE SERGENT

On voulait la marier de force à une espèce de grand vilain toucheur de bœufs vêtu de cuir, une mâchoire solennelle qui vous descend des Goths !

Le pauvre petit cœur a dit qu’elle voulait aller dans un couvent du voisinage pour demander lumière et conseil, et nous sommes partis pour demander lumière et conseil, tous les deux sur le même cheval.

LA NÉGRESSE

On vous poursuit ?

LE SERGENT

On ne nous aura pas (Il mouille son doigt et le lève en l’air.) Et déjà je sens les premières bouffées de ce béni vent de Castille qui tout à l’heure va entraîner notre léger esquif !

LA NÉGRESSE

Que vas-tu faire de cette pauvre jeune fille ?

LE SERGENT

Crois-tu donc que je vais l’endommager ? ce serait comme un pâtissier qui consommerait ses flans.

Je m’évapore à ses pieds dans le respect et l’attendrissement !

Je souffle dessus pour enlever la poussière ! J’y jette un peu d’eau avec le bout des doigts ! Je l’époussète chaque matin avec un petit plumeau fait de duvet de colibri !

Garde l’œil, commère, sur le chemin qui s’en va tournillant là-bas,

Jusqu’à cette montagne qui a forme d’un lion couché,

Jusqu’à ce qu’y apparaisse cette chose qui d’avance me fait mal au ventre,

Certain nuage de poussière où brille l’éclat des armes et des étriers !

— Ah ! quel beau métier que le mien ! il ne me rapporterait nuls gages que je n’en voudrais point d’autre !

LA NÉGRESSE

C’est la corde qui sera ton salaire, ô grand vilain méchant !

LE SERGENT

Jamais de corde pour moi ! Je fais retraite dans le décor ! Je ferme les yeux et aussitôt il n’y a plus moyen de me distinguer d’un pied de grenadier.

Rassurez-vous, touchantes jeunes filles ! votre ami, le Sergent doré, est encore là pour aller vous chercher au fond des trous où vous moisissez avec une canne à pêche !

Quand se gonfle votre petit cœur innocent, quand votre âme délicatement frémit au son de l’ami inconnu là-bas,

Quand vous sentez que vous êtes comme ces graines que la nature a pourvues de plumes et de duvets afin qu’elles s’envolent au gré d’avril,

Alors j’apparais sur le rebord de votre fenêtre, battant des ailes et peint en jaune !

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