SCÈNE XI

LA NÉGRESSE, PUIS LE CHINOIS.

Près de l’auberge. Une région de rochers fantastiques et de sable blanc.

La Négresse nue danse et tourne dans le clair de lune.

LA NÉGRESSE

Vive Maman jolie qui m’a faite si noire et si polie !

C’est moi le petit poisson de la nuit, c’est moi le petit toton qui tourne, c’est moi le chaudron qui ballotte et qui bondit dans l’eau froide qui bouge et qui bout.

(Se dressant violemment sur la pointe des pieds.)

Hi pour toi, papa maman codile ! – hi pour toi papa cheval potame !

Pendant que tout le fleuve tourne vers moi, pendant que la forêt tourne vers moi, pendant que tous les villages tournent, tournent, tournent vers moi, pendant que tous les bateaux tournent vers moi,

À cause du trou que je fais, à cause du bouillon que je fais,

À cause du nœud que je fais dans cette eau qui mousse et qui remue !

J’ai de l’eau pour me rincer, j’ai de l’huile pour me graisser, j’ai de l’herbe pour me frotter !

Je ne suis pas noire, je brille comme un miroir, je bondis comme un cochon, je claque comme un poisson, je tourne comme un petit canon !

Hi ! hi ! hi ! je suis ici ! je suis ici !

Viens ! viens ! viens ! viens ! mon petit Monsiou Italien !

Oui ! oui ! oui ! oui ! mon petit canari jaune !

J’ai mis un sou dans ta poche.

Tout ce qui t’empêchait de m’aimer, je l’ai tué, je l’ai cassé avec le sang d’une poule coupée !

Je n’ai qu’à tourner, tourner ! viens vers moi, tu ne peux me résister !

(Entre le Chinois.)

Tous les fils qui me rattachent à toi, je les enroule en tournant sur moi comme sur une bobine, tu viens, je te rapproche, je te raccourcis en tournant sur moi comme un petit canon, en tournant comme la corde sur le treuil qui arrache l’ancre d’entre les racines ;

Hi ! hi ! hi ! hi ! ici ! ici ! ici ! ici !

Elle tombe pâmée entre les bras du Chinois qui l’a saisie par derrière. Elle regarde d’un œil blanc, puis poussant un cri, elle bondit et se roule dans ses vêtements.

LE CHINOIS

Imberbe créature, tu as beau ajouter à ta couenne noire ce tégument varié, je te perce jusqu’à l’âme.

LA NÉGRESSE

Hé !

LE CHINOIS

Je vois le cœur tout étouffé par le téton comme une pelote sombre, jetant un rayon maléfique.

LA NÉGRESSE

Hi !

LE CHINOIS

Je vois le foie comme une enclume où les démons viennent forger le mensonge et les deux poumons au-dessus comme d’affreux soufflets.

LA NÉGRESSE

Ho !

LE CHINOIS

Je vois les entrailles comme un paquet de reptiles d’où s’échappe une vapeur infecte et balsamique !

LA NÉGRESSE

Et que vois-tu encore ?

LE CHINOIS, grinçant des dents.

Je vois mon argent tout empilé de chaque côté de la colonne vertébrale, comme les grains dans un épi de maïs !

Je m’en vais le reprendre sur-le-champ !

Il tire son couteau.

LA NÉGRESSE, poussant un cri aigu.

Arrête, mon amour chéri ! si tu me tues, je ne pourrai pas te faire voir le diable !

LE CHINOIS

Tu me l’avais déjà promis et c’est ainsi que tu m’as extorqué cet argent.

LA NÉGRESSE

Et jamais plus ton maître ne remettra les yeux sur Doña Prouhèze.

LE CHINOIS

Impur alligator ! enfant musqué de la boue et gros ver de marée basse !

Nous reprendrons adultérieurement cette conversation, je te tiens !

LA NÉGRESSE

Doña Merveille est dans cette forteresse et Don Balthazar la défend et Don Pélage revient demain ou après-demain et il enlève Doña Merveille en Afrique et Don Rodrigue ne la reverra plus, tu tu tu ! Il ne la reverra pas, tralala !

LE CHINOIS

Écoute ! le Seigneur Rodrigue a été navré et jeté par terre cependant que l’épée au poing il s’efforçait de défendre Jacques contre les brigands.

LA NÉGRESSE

Quel Jacques ?

LE CHINOIS

Saint Jacques en argent. Nous l’avons transporté ici (Rodrigue je dis) dans le château de Madame sa mère qui est à quatre lieues de cette auberge.

LA NÉGRESSE

Madone !

LE CHINOIS

Dis-lui qu’il va crever, dis-lui qu’il veut la voir, dis-lui qu’elle aille le rejoindre aussitôt, foulant aux pieds le bon usage.

Quant à moi, puisque mes exhortations accompagnées de profonds soupirs n’ont pu le réincorporer,

Il ne me reste plus qu’à me retirer en silence, après l’avoir installé au sein de son vomissement, donnant libre cours à la pudeur.

Quant à toi je ne te lâcherai pas jusqu’à ce que tu m’aies montré le diable.

LA NÉGRESSE

Et pourquoi tiens-tu tellement à voir le maudit ?

LE CHINOIS

Plus j’aurai de belles relations de ce côté et plus mon âme aura de prix aux yeux de ceux qui veulent m’arroser.

LA NÉGRESSE

Mais comment veux-tu que Doña Prouhèze quitte cette auberge qui est de toutes parts gardée ?

LE CHINOIS

Écoute, j’ai rencontré ce matin une bande de cavaliers. Ils cherchent une demoiselle appelée Musique qu’un certain sacripant de Naples a enlevée.

LA NÉGRESSE

Musique ? Ciel !

LE CHINOIS

Tu la connais ?

LA NÉGRESSE

Poursuis.

LE CHINOIS

Aussitôt par force et par menace ils m’ont arraché l’aveu que ladite Musique se trouve dans cette auberge au bord de la mer qu’occupent d’affreux pirates.

LA NÉGRESSE

Mais ce n’est pas vrai !

LE CHINOIS

Je le sais, qu’importe !

Demain soir on attaque Balthazar et ses troupes.

LA NÉGRESSE

Mais ils ne trouveront rien.

LE CHINOIS

Ils trouveront du moins une certaine sorcière que j’ai dépeinte

Qui est la plus dangereuse complice du voleur aux yeux de velours.

LA NÉGRESSE

Je ne rentre pas à l’auberge !

LE CHINOIS

Alors, je te tue sur la place.

LA NÉGRESSE

Doña Prouhèze est là qui saura tout arranger.

LE CHINOIS

Dis-lui que, profitant du tumulte, elle fuie, avec toi.

LA NÉGRESSE

Comment ?

LE CHINOIS

À cent pas de l’auberge là-bas derrière les figuiers de Barbarie, je l’attends avec mon valet et des chevaux pour elle et pour toi.

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