SCÈNE VIII

DON RODRIGUE, DOÑA SEPT-ÉPÉES.

Le bateau de Don Rodrigue.

Doña Sept-Épées est assise devant la table, la tête dans ses mains.

DON RODRIGUE, s’approchant doucement par derrière et posant sa joue sur la tête de Sept-Épées.

À quoi pense mon petit agneau ?

(Sept-Épées ne répond rien et ne change pas de position, mais elle passe son bras autour du corps de son père.)

Eh bien ! on a du chagrin ? On ne veut rien dire à son pauvre papa ?

SEPT-ÉPÉES

Si je vous dis ce que je pense, je suis sûre que vous ne me répondrez pas comme je veux.

DON RODRIGUE

Et qu’est-ce que tu veux ?

SEPT-ÉPÉES

Je ne veux pas que vous fréquentiez cette femme que vous appelez la Reine d’Angleterre.

DON RODRIGUE

Sa Majesté la Reine d’Angleterre. N’est-elle pas Marie, la Reine d’Angleterre ? N’as-tu pas vu notre propre Sire, le Roi d’Espagne, la traiter comme telle ?

Elle est venue se jeter à mes pieds. Pouvais-je la repousser ? Suis-je libre de refuser cette tâche où personne ne pourrait me remplacer ?

Ma conscience m’imposait de l’écouter.

Pour moi seul elle veut être une élève docile. Tout ce que nos armées ont conquis, elle le met à ma disposition.

Il y a en elle je ne sais quoi d’attentif et de soumis qui m’a touché le cœur.

C’est intéressant d’écrire royalement son nom au travers de cette page toute blanche.

SEPT-ÉPÉES

Je ne suis plus rien et c’est elle qui fait de vous ce qu’elle veut.

DON RODRIGUE

Petite fille, êtes-vous jalouse ?

SEPT-ÉPÉES

C’est une autre qui est jalouse.

DON RODRIGUE

Oui, je sais celle dont tu veux parler et je la regarde dans tes yeux.

SEPT-ÉPÉES

Ma mère qui m’a donnée à vous afin que vous ne cessiez pas d’être à elle.

DON RODRIGUE

Oui, je sais que tu n’as pas cessé d’être à elle et d’en faire partie.

SEPT-ÉPÉES

Si elle n’était avec moi je ne vous sentirais pas autant

DON RODRIGUE

Ainsi il n’y a pas moyen de s’en aller sans aucun bruit et sur la pointe du pied ?

SEPT-ÉPÉES

Je ne suis pas elle seulement, je suis de vous aussi, il y a quelque chose dans mon âme qui est vous et qui épie vos mouvements.

Vous n’échapperez pas à votre petite Sept-Épées.

DON RODRIGUE

Ta mère, quand elle n’était pas là, c’est alors que j’avais l’habitude de lui parler.

Quand elle n’était pas là, c’est alors que je lui disais le meilleur.

SEPT-ÉPÉES

Parlez, père chéri. Elle est morte, elle n’est pas là.

DON RODRIGUE

Mais son Ange gardien peut-être est là qui nous écoute ?

SEPT-ÉPÉES

Il s’est trop fatigué à vous suivre. Il dort, il ne vous entend pas. Il est là qui dort amèrement comme un piéton désespéré à l’auberge qui s’endort parce qu’il ne peut plus bouger.

DON RODRIGUE

Je suis seul avec mon enfant chérie ?

SEPT-ÉPÉES

Oui, père !

Il remue les lèvres sans faire entendre aucune parole. Elle le regarde tendrement et attentivement, puis détourne le visage en lui mettant la main sur les yeux.

DON RODRIGUE, à voix basse et posant sa main sur son autre main.

Les larmes que contient mon cœur, la mer ne serait pas assez grande…

SEPT-ÉPÉES

Eh quoi, vous n’êtes pas consolé ?

DON RODRIGUE

Mon âme est vide. À cause de celle qui n’est pas là, de lourdes larmes, mes larmes pourraient nourrir la mer.

SEPT-ÉPÉES

Mais elle va être là tout à l’heure. Bientôt. Celle que vous aimiez, bientôt, celle que vous aimiez, vous allez la retrouver bientôt.

DON RODRIGUE

Et moi, je pense que ce sera jamais ! Cette absence essentielle, oui, ma chérie, et même quand vous étiez vivante et que je vous

Possédais entre mes bras en cette

Étreinte qui tarit l’espoir,

Qui sait si elle était autre chose qu’un

Commencement et apprentissage de ce

Besoin sans fond et sans espoir à quoi je suis

Prédestiné, pur et sans contrepartie ?

SEPT-ÉPÉES

Mais c’est l’enfer que vous dites ! Ce sont là des pensées coupables nées de ne rien faire.

Tant qu’on aime il y a quelque chose à faire.

Au lieu de penser à vous, pourquoi ne pas penser à elle ?

Elle-même, qui sait si elle n’a pas besoin de vous ? Qui sait si elle ne dit pas Rodrigue ! Qui sait si elle n’est pas en un lieu que nous ignorons attachée de liens que vous êtes capable de défaire ?

DON RODRIGUE

Plus audacieux que Colomb pour arriver jusqu’à elle

Suis-je puissant à franchir le seuil entre ce monde et l’autre ?

SEPT-ÉPÉES

Il y a ce qu’on doit faire et non pas à s’inquiéter si l’on est puissant ou pas puissant, rien n’est plus simple.

Pourquoi parlez-vous de seuil comme s’il y avait une séparation ? Il n’y a pas de séparation lorsque les choses sont unies comme le sang avec les veines.

L’âme des morts comme une respiration pénètre notre cœur et notre cervelle.

J’entends ma mère la nuit qui me parle, si doucement, si tendrement ! Si substantiellement. Il n’y a pas besoin de paroles entre nous pour nous comprendre.

DON RODRIGUE

Dis-moi ce qu’elle dit, Sept-Épées.

SEPT-ÉPÉES

Pas un mot qui soit capable de résonner dans cet air extérieur que nous respirons.

DON RODRIGUE

Comment faire en ce cas pour la comprendre ?

SEPT-ÉPÉES

Que peut demander un captif ? Cela déchire le cœur !

DON RODRIGUE

Avec quelles mains jusqu’à elle faire passer la libération ?

SEPT-ÉPÉES

Où le corps ne passe pas, la charité peut passer qui est plus forte que tout.

DON RODRIGUE

Quel pain et quelle eau qui aille jusqu’à sa bouche dans la tombe ?

SEPT-ÉPÉES

Elle n’a pas de mains ni de bouche, mais il ne manque pas de gens à sa place en Afrique qui ont tout ce qu’il faut jour et nuit pour hurler de désespoir vers l’Espagne qui les oublie !

Est-ce que tout ne tient pas ensemble ? est-ce que ce n’est pas la même privation et la même gêne ?

Cependant que les dames et les cavaliers dansent au son du flageolet et du luth, cependant que les seigneurs dans les tournois se piquent avec de grands bâtons…

DON RODRIGUE

Cependant que certain vieux fou s’amuse à dessiner des images avec le moignon qui lui reste de son esprit…

SEPT-ÉPÉES

Cependant que nos marchands vont jusqu’au bout de la terre pour en rapporter une poignée de perles, quelques tonneaux d’huile, quelques sacs d’épices,

On oublie une huile plus grasse,

Un vin plus généreux, cette eau, la vraie, qui nous régénère,

Les larmes sur nos mains des captifs que nous avons délivrés et que nous ramenons à leurs femmes et à leurs mères.

DON RODRIGUE

Vive Dieu, Sept-Épées, tu as raison, en avant ! Que faisons-nous ici ? Que ne sommes-nous déjà en route vers la Barbarie ?

Pourquoi chercher une autre Afrique que celle-là même

À qui j’ai été habitué depuis si longtemps à demander l’impossible ?

SEPT-ÉPÉES

C’est vrai ? vous voulez que nous partions ? Et moi j’ai déjà un petit soldat avec moi, une bouchère que j’ai rapportée de Majorque.

DON RODRIGUE

Ça fait trois ! Laisse-moi encore trouver quarante gaillards du même poil !

SEPT-ÉPÉES

Ce n’est pas quarante que nous trouverons, c’est dix mille si vous le voulez !

On peut tout demander à des chrétiens ; si on n’obtient rien d’eux, c’est qu’on n’ose pas, c’est qu’on ne leur demande pas assez !

Si on essayait un peu de leur demander quelque chose ?

Croyez-vous qu’ils s’amusent tant que ça en Espagne au milieu de leurs petites occupations ?

Dites-leur que c’est fini.

Dites-leur que vous allez en Afrique et qu’ils viennent avec vous, et qu’ils mourront tous, il n’en reviendra pas un seul !

Ce n’est pas dix mille que nous trouverons, c’est cent mille, nous n’aurons jamais assez de bateaux ! Mais nous n’accepterons pas tout le monde !

Le Roi d’Espagne lui-même, avec ça que ça doit être drôle d’être le Roi d’Espagne !

Quand il nous verra partir, bravo ! je suis sûre qu’il voudra venir aussi et se battre avec nous pour une si noble cause comme un bon petit homme !

DON RODRIGUE

Et c’est Don Rodrigue le premier qui pilonnera en avant à la tête de toute cette armée !

SEPT-ÉPÉES

Vous vous moquez de moi !

DON RODRIGUE

Que mon pilon prenne racine si je me moque de toi, et que le greffage d’un vieux sacripant sur ce pied de ronce l’aide à produire assez de cubleds tout rouges chaque hiver pour pourvoir à l’existence de deux pinsons !

SEPT-ÉPÉES

Alors quand est-ce que nous commençons ?

DON RODRIGUE

C’est les larmes sur mes mains qui m’embêtent. Je n’aime pas qu’on me pleure dessus.

Comme ce serait plus amusant si on pouvait faire le bien sans que personne s’en aperçoive,

En silence, comme Dieu, et sans aucune espèce de chance d’être remercié ou reconnu et enduit des pieds à la tête de gratitude !

Au lieu de démolir les portes à coups de hache,

Comme ce serait plus drôle d’arriver par derrière en tapinois, comme un poisson, et de faire aux prisonniers et à leurs gardiens la blague d’ouvrir tout sans qu’ils s’en aperçoivent !

Et de donner naissance quelque part à une liberté irrésistible comme le soleil peu à peu qui triomphe de tous les voiles sans qu’on ait l’idée de dire merci !

SEPT-ÉPÉES

Pourquoi refuser tout ce qu’un pauvre homme peut donner et les larmes d’un cœur naïf ?

Et puis, ce n’est pas ce qui vous paraît drôle et amusant, cher père, qui est le point principal, mais de délivrer les captifs à la gloire de Dieu.

DON RODRIGUE

Quand j’aurai délivré les captifs (allons, je veux bien, ils me pleureront sur les pieds !)

Il en restera encore d’autres.

SEPT-ÉPÉES

Mais nous, nous resterons aussi, ou alors nous serons morts, ce qui nous délivrera de notre devoir.

DON RODRIGUE

Sept-Épées, mon enfant, est-ce que tu me mépriseras beaucoup si je te dis ce que je pense ?

SEPT-ÉPÉES

Parlez, mon père.

DON RODRIGUE

C’est curieux comme l’idée du bon monsieur Alonzo Lopez dans les fers et de reverser Alonzo Lopez à la désolée madame Lopez et à tous les petits Lopez,

De prendre désormais Alonzo Lopez dans cet épisode africain de son existence temporelle pour mon étoile polaire,

Fait remuer peu de chose en moi.

SEPT-ÉPÉES

Mon père, je ne croirai jamais que vous soyez si cruel et si léger.

DON RODRIGUE

Je ne le suis pas non plus, le diable m’emporte ! mais je sors ma pensée par le bout que je peux, je voudrais tâcher de me faire comprendre !

Dis-moi un peu, mon enfant, qui a rendu le plus de services aux pauvres fiévreux,

Le médecin dévoué qui ne bouge pas de leur chevet et qui leur tire du sang et qui leur ôte la vie pour les guérir au péril de la sienne,

Ou cette espèce de propre-à-rien qui, ayant eu un jour comme ça

Envie de l’autre côté de la terre,

A découvert le quinquina ?

SEPT-ÉPÉES

Hélas, c’est le trouveur de quinquina.

DON RODRIGUE

Et qui a délivré le plus d’esclaves,

Celui qui ayant vendu son patrimoine les rachetait un par un,

Ou le capitaliste qui a trouvé le moyen de faire marcher un moulin avec de l’eau ?

SEPT-ÉPÉES

Chacun sa manière ! Ce n’est pas tant de faire du bien patiemment à nos frères et sœurs qui nous est recommandé

Que de faire ce que nous pouvons, d’aimer les captifs et les souffrants qui sont les images de Jésus-Christ et de poser notre vie pour eux.

DON RODRIGUE

Allons, une fois encore je suis repoussé avec perte, et cependant je suis convaincu qu’il doit y avoir quelque moyen de t’expliquer

Pourquoi quand je suis appelé au nord j’ai le sentiment aussitôt que c’est du côté de l’ouest ou du sud que mon devoir est de regarder.

SEPT-ÉPÉES

Mais ici ce n’est ni nord ni sud, mais vous flottez au hasard sur une eau sans courant,

Livrant aux vents tout ce qui sort de votre imagination.

DON RODRIGUE

Et pourquoi n’aurais-je pas le droit de produire mes papiers volants, comme le cerisier ses fruits, ou si c’est trop d’honneur que de me comparer à cet arbre sucré,

Le genévrier les siens ?

SEPT-ÉPÉES

Parce que j’ai besoin de vous. Ma mère a besoin de vous et tous ces captifs à Alger ont besoin de vous.

Nous avons profondément besoin de vous et non pas de vos fruits, mais de votre bois.

DON RODRIGUE

Mais c’est-il avoir besoin de moi que de me demander ce que tout autre à ma place pourrait fournir encore mieux ?

Ainsi si tu as besoin d’une table, certainement tu peux t’adresser à un serrurier et peut-être qu’il te fera quelque chose qui y ressemble,

Mais à ta place je penserais à un ébéniste.

SEPT-ÉPÉES

Ainsi votre spécialité n’est pas de vous occuper de vos frères souffrants ?

DON RODRIGUE

Ma spécialité n’est pas de leur faire du bien un par un. Je ne suis pas l’homme du particulier.

Ma spécialité n’est pas de sauver Antonio Lopez des bagnes turcs et Marie Garcia de la petite vérole.

SEPT-ÉPÉES

Mais ne dites pas, mon cher père, que vous ne servez à rien !

Ne me faites pas cette peine ! Ne dites pas qu’en ce monde misérable vous ne voulez servir à rien et à personne !

DON RODRIGUE

Si fait, Sept-Épées ! Oui, je crois que je ne suis pas venu au monde pour rien et qu’il y a en moi quelque chose de nécessaire et dont on ne pouvait se passer.

SEPT-ÉPÉES

Qu’êtes-vous venu faire parmi nous ?

DON RODRIGUE

Je suis venu pour élargir la terre.

SEPT-ÉPÉES

Qu’est-ce que c’est qu’élargir la terre ?

DON RODRIGUE

Le Français qui habite en France par exemple, c’est trop petit, on étouffe ! il a l’Espagne sous les pieds et l’Angleterre sur la tête et dans ses côtes l’Allemagne et la Suisse et l’Italie, essayez de remuer avec ça !

Et derrière ces pays d’autres pays et d’autres pays encore et finalement l’inconnu. Personne, il y a cinquante ans, ne savait ce qu’il y a. Un mur.

SEPT-ÉPÉES

Est-ce que vous pensez faire disparaître l’inconnu ?

DON RODRIGUE

Quand tu me parles de délivrer les captifs, mais est-ce les délivrer que de les faire passer d’une prison dans une autre prison ? changer de compartiment ? L’Espagne jadis pour moi n’était pas un cachot moins insupportable qu’Alger.

SEPT-ÉPÉES

Il y a toujours quelque part un mur qui nous empêche de passer.

DON RODRIGUE

Le Ciel, ça n’est pas un mur !

Il n’y a pas d’autre mur et barrière pour l’homme que le Ciel ! Tout ce qui est de la terre en terre lui appartient pour marcher dessus et il est inadmissible qu’il en soit d’aucune parcelle forclos.

Là où son pied le porte il a le droit d’aller.

Je dis que Tout lui est indispensable. Il ne peut pas s’en passer. Il n’est pas fait pour marcher avec une seule jambe et pour respirer avec la moitié d’un poumon. Il faut l’ensemble, tout le corps.

C’est autre chose que d’être limité par Dieu ou par des choses qui sont de la même nature que nous et qui ne sont pas faites pour nous contenir.

Je veux la belle pomme parfaite.

SEPT-ÉPÉES

Quelle pomme ?

DON RODRIGUE

Le Globe ! Une pomme qu’on peut tenir dans la main.

SEPT-ÉPÉES

Celle-là qui poussait autrefois dans le Paradis ?

DON RODRIGUE

Elle y est toujours ! Où il y a l’ordre là est le Paradis. Regarde le Ciel et les astronomes te diront si l’ordre y fait défaut.

Maintenant, grâce à Colomb, grâce à moi,

Nous faisons partie par le poids de cette chose astronomique,

Bienheureusement détachés de toute autre chose que Dieu.

Nous ne tenons plus à rien que par la Loi et par le Nombre qui nous rejoignent au reste de l’Univers. Que d’étoiles ! que Dieu est riche ! Et nous aussi nous ajoutons notre sou d’or à l’inépuisable richesse de Dieu !

SEPT-ÉPÉES

Et pendant que vous regardez le Ciel, vous ne voyez pas le trou à vos pieds, vous n’entendez pas le cri de ces malheureux qui sont tombés dans la citerne sous vous !

DON RODRIGUE

C’est pour qu’il n’y ait pas de trou que j’ai essayé d’élargir la terre. Le mal se fait toujours dans un trou.

On fait le mal dans un trou, on ne le fait pas dans une cathédrale.

Tous les murs qui s’écartent, c’est comme la conscience qui s’élargit. Il y a plus d’yeux qui nous regardent. Il y a plus de choses que vient déranger le désordre que nous causons.

Et nous-mêmes, quand les parois se sont ouvertes, nous nous apercevons qu’il y a des occupations plus intéressantes que de nous manger le ventre réciproquement comme des insectes dans un pot.

SEPT-ÉPÉES

Je me demande comment vous vous êtes aperçu autrefois de cette femme qui était ma mère.

DON RODRIGUE

Je ne m’en suis pas aperçu. J’ai été livré entre ses mains.

SEPT-ÉPÉES

Et maintenant sa mort vous a rendu libre de nouveau, quel bonheur !

DON RODRIGUE

Mon enfant, ne parle pas de choses qu’elle et moi nous sommes seuls à savoir.

SEPT-ÉPÉES

Le lien avec elle, un peu de mort a suffi à le casser. Quand je vous demande de venir à son secours vous ne voulez pas.

DON RODRIGUE

Une autre tâche m’appelle.

(Sept-Épées ne répond pas et fait des raies sur la table avec son doigt.)

Mon petit docteur a quelque chose à dire.

SEPT-ÉPÉES

Père, je vous aime tellement ! mais quand vous me parlez d’élargir la terre et toutes ces grandes choses,

Je ne peux plus vous suivre, c’est trop grand, je ne sais plus où vous êtes, et je me sens toute seule, et j’ai envie de pleurer !

Ce n’est pas la peine d’avoir un père si on n’est pas sûr de lui et s’il n’est pas tout simple et tout petit comme nous.

DON RODRIGUE

Alors je n’ai pas le droit de vivre pour autre chose que pour toi ?

SEPT-ÉPÉES

Vous venez de dire que vous avez été livré entre ses mains, alors pourquoi est-ce que vous essayez de lui échapper ? ce n’est pas honnête.

Il ne fallait pas permettre une fois à une femme de prendre l’avantage sur vous. Maintenant ce que vous lui avez promis, vous n’avez plus le droit de le retirer et je suis là pour le réclamer à sa place.

DON RODRIGUE

Mais comment faire si ce que tu me demandes je ne puis absolument pas le donner ?

SEPT-ÉPÉES

C’est votre affaire de vous arranger, tant pis pour vous ! C’est un ordre, vous savez ! il n’y a qu’à obéir !

Je ne suis pas contente que vous mettiez cette espèce de douane à la porte de votre cœur pour laisser entrer ce qui vous plaît et le reste pas.

Quand je vous commande quelque chose, et que vous me dites : je ne peux pas, qu’en savez-vous ? Vous n’en savez rien du tout. Essayez voir !

C’est si bon, c’est si fort d’obéir !

Naturellement on peut imaginer soi-même un tas de choses. L’imagination vous présente un tas de bonnes choses qui sont toutes également alléchantes.

Mais un ordre qu’on reçoit, on n’a pas le choix, c’est comme la faim naturelle qui vous prend aux entrailles. On laisse tout en place pour aller se mettre à table.

DON RODRIGUE

Alors qu’est-ce qu’il faut que je fasse ?

SEPT-ÉPÉES

Il faut promettre.

DON RODRIGUE

Eh bien ! je promets.

SEPT-ÉPÉES

Il ne faut pas dire comme ça : Eh bien ! je promets, mais simplement : Je promets – et cracher par terre.

DON RODRIGUE

Je promets.

Il crache par terre.

SEPT-ÉPÉES

Je promets aussi.

DON RODRIGUE

Je promets, mais je ne tiendrai pas.

SEPT-ÉPÉES

Alors, je ne tiendrai pas non plus.

Share on Twitter Share on Facebook