LA LOGEUSE, DON LÉOPOLD AUGUSTE.
Mais il est bien clair que nous ne pouvions refuser plus longtemps à l’imagination de nos spectateurs, là-haut, tout près des cintres, cette rangée de fenêtres dans un plâtras agréablement rose ou bleu d’une maison de Gênes transportée pour les besoins de la couleur locale à Panama. Chacune est décorée d’une ficelle où pendent des piments et des aulx. Au milieu un petit balcon.
L’apparence corporelle de Don Léopold Auguste est réduite à son pourpoint rattaché par des aiguillettes au haut-de-chausses. Cela ne l’empêche pas, tout gonflé d’air et suspendu au bout d’une canne à pêche, d’exécuter dans la bonne brise de l’après-midi une espèce de danse personnelle autant majestueuse que gaillarde.
LA LOGEUSE, tapant sur Don Léopold Auguste avec une canne.
Pan ! pan ! pan !
DON LÉOPOLD AUGUSTE, émettant un petit jet de poussière à chaque coup.
Pouf ! pouf ! pouf !
LA LOGEUSE, tapant et retapant.
Pan ! pan ! Je n’aurais jamais cru qu’il tienne autant de poussière dans un savant. Pan ! attrape ça, mon vieux Philippe Auguste !
Ce n’est pas de chance tout de même ! À peine arrivé depuis deux jours à Panama et couic ! le temps d’enlever son chapeau pour se torcher la tête,
Un trait de l’archer Apollon, comme disait Monsieur le Greffier de la Justice de paix,
Vous l’a couché tout noir sur le pavé. Encore un à qui la lettre à Rodrigue n’a pas porté la chance ! Alors pourquoi tiens-tu tellement à la garder ? Donne-la-moi, Léopold, laisse-la tomber !
Tu ne veux pas ? Je t’en prie ! (Elle tape.) Je t’en supplie ! (Elle tape.) Il me faut absolument cette lettre pour que la pièce continue et qu’elle ne reste pas bêtement suspendue entre ciel et terre.
Tu vois bien là-dessous ce monsieur et cette dame tristement qui nous attendent.
Je soumets humblement ma requête à la bienveillante attention de Votre Magnificence.
(Elle tape.)
Vous direz que je n’aurais qu’à mettre la main dans Philippe Auguste pour prendre la lettre.
Mais je n’ose pas, cela me porterait malheur.
J’aime mieux qu’il s’en défasse naturellement et de lui-même, comme prunier de sa prune.
(Elle tape.)
Pan, pan et pan ! Pan, pan et pan ! Pan, pan et pan !
DON LÉOPOLD AUGUSTE, agité mais toujours important.
Pouf ! pouf ! pouf ! pouf ! pouf ! pouf !
La lettre tombe.
LA LOGEUSE
Ça y est ! Encore un petit coup pour finir ! Pan ! pan !
DON LÉOPOLD AUGUSTE
Pouf !
La toile du fond avec la Logeuse d’abord et Don Léopold Auguste ensuite est entraînée vers les cintres. On voit apparaître les cimes d’une vague verdouillade tropicale. Puis montent en commençant par les chapeaux auxquels succèdent les figures et les corps, enfin les images peintes dans la toile de