Au mois d’octobre 1871, Paul Verlaine, revenant du Pas-de-Calais, où il avait passé les vacances chez des parents de sa mère, reçut une lettre à laquelle étaient joints plusieurs poèmes dont l’étrangeté le surprit. Il les fit lire à Léon Valade, Charles Cros, Philippe Burty, puis, d’accord avec eux et avec la famille de sa femme, il écrivit à l’auteur des poèmes et de la lettre, Arthur Rimbaud, qu’il pouvait venir.
Verlaine voulut l’attendre à la gare du Nord, mais, ne l’y trouvant pas, il revint dans la maison de son beau-père, rue Nicolet, à Montmartre. À peine entré dans le salon, il aperçut Rimbaud, parlant avec Mlle Mautet et sa fille.
Pendant le dîner, Verlaine fut saisi de la taciturnité, de la froideur de l’adolescent ; quelque chose de glacial était en celui-ci, et quinze jours se passèrent sans qu’il perdît rien de cet aspect morose. Des excentricités qu’il commit décidèrent la famille Mautet à l’éloigner ; on pria quelques amis de le loger à leur tour. Mais la séparation ne put qu’augmenter la violence de l’attraction qu’il exerçait sur Verlaine.
Rimbaud, qui ne devait plus écrire après cette année, avait commencé par le vers libre, puis par une prose active et claire. Entre eux s’élevèrent d’ardentes discussions, durant qu’ils se promenaient ensemble dans les rues pittoresques de la butte Montmartre. Cette existence irrégulière accentua le désaccord entre Verlaine et sa femme. Dès 1872, Verlaine retourna en Angleterre, avec Rimbaud.
C’est de Londres que le poète, (Metz étant devenue allemande), opta pour la nationalité française.
Les deux amis y restèrent peu de temps, l’un, regagnant Charleville, sa ville natale ; l’autre, s’arrêtant à Paliseul, près de Bouillon, où vivait une sœur d’Auguste Verlaine.
Dans ce coin de terre plein des souvenirs paternels, le fils revint à d’autres sentiments. Il se promit de cesser tout désordre, et vécut très calme, quelques mois. Mais sa nature spontanée, encline à la prédilection pour tout être que le Malin possède : « le mauvais œil qu’il ne faut pas calomnier », le fit de nouveau rechercher Rimbaud. Ensemble ils gagnèrent Bruxelles. Là, subitement, en juillet 1873, Rimbaud déclara s’en aller pour ne plus revenir.
C’était faire éclater la foudre.
Depuis deux ans, Verlaine, tout d’audace, d’ingénuité, de passion avide de s’épandre, heurtait la froide impassibilité de Rimbaud, qui, d’ailleurs, n’étant pas destiné aux œuvres publiques, songeait à reprendre une vie régulière. Verlaine, de n’avoir pu entamer ce cœur de granit, ce cerveau réfractaire, voulait encore essayer : l’ardeur de convertir l’affolait. Quand il vit bien que l’aube s’en allait, ses yeux plongèrent en des ténèbres affreuses ; la peur de rester seul fit sombrer sa prudence ; l’écrivain, l’homme, moururent en cette minute de désespoir, ne laissant qu’un sectaire en fureur.
Il tira un coup de revolver, puis un autre.
Des deux obstinés : l’un, Rimbaud, fut blessé légèrement au poignet ; l’autre, Verlaine, fut condamné à deux ans de prison par le tribunal correctionnel du Brabant.
Enfermé aux Petits Carmes, prison de Bruxelles, Verlaine subit un long découragement. Les visites de sa mère, les lettres de Lepelletier, de quelques amis, vinrent le réconforter. Lorsqu’il fut transféré à Mons, un peu de sa foi poétique lui fut rendue ; il écrivit les Romances sans paroles, les envoya à Lepelletier, qui, se trouvant alors à Sens, où il dirigeait le Suffrage universel, employa les caractères du journal à imprimer ce nouveau recueil (1874).
C’est encore à Mons qu’il édifia Sagesse.
Mais l’art ne pouvait suffire à redresser l’homme ; la religion y suppléa. Après d’intimes entretiens avec l’aumônier de la prison, il se convertit, communia, le 15 août 1874, et fut libéré le 16 janvier 1875.
Rentré en France, l’esprit et le cœur vieillis, ayant en son regard cette lueur d’ironie à jamais incrédule devant les passions humaines, il ne voulut pas revoir ses amis. Sa vie était désorientée. Le divorce, prononcé entre lui et sa femme, qui se remaria, lui enleva sa dernière chance de salut. Retiré d’abord près de sa mère, à Coulommes, près d’Attigny, dans les Ardennes, il s’exila bientôt en Angleterre, où il fut professeur de français et de dessin, à Stickney (1875-1876) à Boston (1876), et à Bournemouth (1876-1877).
Vers septembre 1877, il reparut dans le département des Ardennes, fut professeur, en remplacement de son ami E. Delahaye, au collège de Rethel (1877-1879), où il enseigna l’histoire, la littérature et l’anglais, comme adjoint à M. Eugène Royer. C’est là, par de longues conversations avec l’abbé Dogny, qu’il fortifia le mysticisme dont allait se sanctifier Sagesse.
Il voulut, en 1879, faire un essai de culture, à Coulommes. Les paysans l’aimaient, bien qu’étonnés de ce fermier pour qui ses terres étaient surtout but à promenades et rêveries. Il achevait Sagesse. Quant à sa ferme, il dut la vendre, en 1881, et resta presque ruiné.
Il vint à Paris, définitivement, avec sa mère, et cette même année parut Sagesse, fruit de « six années d’austérité, de recueillement, de travail obscur. » À ce livre, les groupes d’artistes, de poètes, l’acclamèrent et l’entourèrent, sans redouter « ses mutismes soudains, ses sauvageries : car, dès qu’il peut surmonter inquiétudes et regrets, nul homme plus avenant, plus gai, plus obligeant que ce rude. Il parle beaucoup, dit tout, parfois brutalement. Il rit de grand cœur et sans fiel. »
Plusieurs crurent alors qu’il voulait imposer des formes décadentes ; mais ne devait-il pas dire, plus tard, en 1893 : « La poésie de demain sera calme, simple et grande, après l’orgie des rythmes et des raisonnements ; il faut que la poésie revienne à ses origines. Je vais à des vers simples, presque classiques. »
Déterminé à reprendre ses travaux littéraires, il revit des amis, Huysmans, Robert Caze, Villiers de l’Isle-Adam, se mit à des œuvres multiples, car il fut professeur encore à Boulogne-sur-Seine (1882), à Neuilly (1884), et publia les Poètes Maudits (1884), Jadis et Naguère (1885).
Un dernier deuil, le plus lourd peut-être, le frappe : celui de sa mère, veuve Auguste Verlaine, décédée, le 21 janvier 1886, en son domicile, 5, rue Moreau.