II

Les Poèmes saturniens, préface de toute l’œuvre, furent publiés, en 1866, en même temps que le Reliquaire, de François Coppée. Ils présageaient deux choses : Sagesse, qui fut le testament de l’écrivain, et l’attitude qui perdit l’homme.

Le bruit soulevé au tour du Parnasse couvrit les hardiesses de ce début ; ce ne fut que l’année suivante, par les Fêtes galantes, que Verlaine obtint quelque succès. Sainte-Beuve, Nestor Roqueplan s’intéressèrent à ces essais gracieux et raffinés, étrangement encadrés de mélancolie.

La nouveauté de cet art suscita à son auteur de vives critiques ; la satire même l’atteignit : en 1867, une caricature signée Péaron le montra galopant dans un décor macabre.

C’est encore en ce temps-là que grandit en lui le besoin d’indépendance, qui le conduisit en des milieux où le bon grain était pêle-mêle avec l’ivraie : ce fut l’ivraie qui obtint alors ses plus riches trésors d’indulgence. Un séjour à la campagne répara ces désordres ; retiré dans le nord de la France, il était, en septembre 1869, avec sa mère, chez un oncle, à Fampoux, près d’Arras.

En 1870, il revint à Paris, publier la Bonne Chanson.

Il y fut pris d’un grand amour pour Mlle Mathilde Mautet, sœur utérine du compositeur Charles de Sivry. Ce fut entre eux la plus charmante idylle. Le mariage fut fixé à mi-juin. Mais une maladie de Mlle Mautet, puis de sa mère, retarda la cérémonie. Elle eut lieu à la fin du mois d’août, à la mairie de Montmartre, et à Notre-Dame-de-Clignancourt. C’était peu de jours avant le désastre de Sedan, et la guerre tenait éloignés amis et connaissances. Il n’y eut guère, avec la famille, que Léon Valade, Paul Foucher, beau-frère de Victor Hugo, Camille Pelletan, et Louise Michel.

Verlaine et sa jeune femme (elle avait seize ans) habitèrent d’abord la rue du Cardinal-Lemoine, derrière le Panthéon. Puis, de nouveaux désastres ayant amené l’appel des dernières classes sous les drapeaux, Verlaine, moins d’un mois après son mariage, inscrit au 160e bataillon de la Garde nationale, dut monter, un jour sur deux, la garde aux portes d’Issy, Vanves et Montrouge.

Pendant le siège de Paris, la mère de Verlaine les abrita, durant deux mois, chez elle, rue Lécluse, aux Batignolles. Sous la Commune, ils revinrent rue du Cardinal-Lemoine. Verlaine était alors directeur du Bureau de la Presse.

Un jour, à la fin du mois de mai 1871, le canon tonne dans les rues, Paris brûle, l’armée de Versailles écrase et refoule la Commune. Verlaine, pris d’inquiétude pour sa mère, veut la rejoindre ; mais on lui interdit le passage, aux barricades. Rentré chez lui, il voit sur son palier son ami Edmond Lepelletier, et Émile Richard, qui fut depuis président du Conseil municipal, tous deux noirs de poussière et de poudre ; il les recueille, les garde deux jours, puis les aide à s’évader.

Sa mère arrive ensuite ; elle a passé la nuit entière à franchir les barricades, pour rejoindre son fils. « Je suis femme de militaire, lui dit-elle, mais aujourd’hui, j’ai l’uniforme et les armes en horreur ! » Quelque temps après, Verlaine, compromis, dut se réfugier à Londres, où il apprit l’anglais. Il en revint par la Belgique, et rejoignit sa femme. Mais déjà la division était entre eux. Car il n’était pas toute douceur, et elle n’était pas toute patience. La naissance de leur fils Georges, vers la fin de 1871, ne put rétablir l’accord.

Il eût fallu qu’une amitié dévouée soutînt Verlaine, ou qu’une amitié passionnée ne le détournât pas du foyer. Les dévouements n’auraient pas manqué autour de lui ; il avait alors de bons et simples camarades, comme Ernest Delahaye. Mais la passion se présentait, avec Arthur Rimbaud : le mauvais destin de Verlaine lui fit choisir Rimbaud.

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