VII

Un puissant mouvement, que rien n’impose sinon la force des mouvements populaires, élève de plus en plus le nom de Verlaine.

F.-A. Cazals, alors qu’il rassemblait en un album ses portraits du Maître, préparait une autre manifestation plus imposante. Dès le mois de mai 1896, il organisait un Comité pour le monument à ériger à Paul Verlaine, au Luxembourg.

Voici les noms des membres du Comité d’action : Président, Stéphane Mallarmé ; vice-président, Auguste Rodin ; membres, Edmond Lepelletier, Catulle Mendès, Henry Bauër, Raoul Ponchon, Georges Rodenbach, comte Robert de Montesquiou-Fezensac, Maurice Barrés, Ernest Delahaye, Alfred Vallette, directeur du Mercure de France, Léon Deschamps, directeur de la Plume, Alexandre Natanson, directeur de la Revue blanche ; secrétaire, F.-A. Cazals ; trésorier, Fernand Clerget, éditeur.

La première réunion fut tenue, le 23 juin, au Siège du Comité, 17, rue Guénégaud.

Le 25 juin, le Comité envoya la lettre suivante : « Nous avons l’honneur de solliciter l’appui de votre nom, pour la formation d’un Comité de patronage où seront représentées les admirations et l’amitié fidèles à Paul Verlaine et à son œuvre. – Le président, STÉPHANE MALLARMÉ ; le vice-président, RODIN. – N. B. Les adhésions devraient nous être adressées aussitôt que possible au Siège du Comité. »

Les adhésions vinrent de suite et nombreuses. Voici les noms des membres du Comité de patronage : Président d’honneur, François Coppée. Membres : Anatole France, de Hérédia, Jules Lemaître, Sully Prud’homme, de l’Académie française ; Paul Acker, Paul Adam, Jean Aicard, Alphonse Allais, Aman Jean, Georges Bans, directeur de la Critique ; P Berrichon. Albert Besnard, Émile Blémont, don Sigismond Bonska (Autriche), Maurice Bouchor, Jean Bourguignon, directeur de la Revue d’Ardenne, Jacques Brieu, Jean Carrère, Eugène Carrière, H. Carton de Wiart, Dr Cazalis, Alexandre Charpentier, Dr Chauffard, P. Puvis de Chavannes, président de la Société nationale des Beaux-Arts ; Sophus Claussen (Danemark), vicomte de Colleville, G. Courteline, L. Cranmer-Byng (Angleterre), Alphonse Daudet, Henry D. Davray, Irénée Decroix, M. Desboutin, Léon Dierx, Jean Dolent, Louis Duchosal (Suisse), Ed. Ducôté, directeur de l’Ermitage ; Édouard Dujardin, Louis Dumur, Alfred Ernst, Gabriel Fauré, J.-L. Forain, E. Fasquelle, éditeur ; Ch. Frémine, Gustave Geffroy, R. Gineste, Ch. Le Goffic, Rémy de Gourmont, Gyp (comtesse de Martel de Janville), Gabriel Hanotaux, ministre des affaires étrangères ; Edmond Haraucourt, W.-E. Henley, éditeur de New-Review (Angleterre), Paul Hervieu, Clovis Hugues, député ; Alphonse Humbert, député ; J.-K. Huysmans, H.-G. Ibels, Vincent d’Indy, Ed. Jacquemin, Frantz Jourdain, Jean Jullien, Dr Louis Jullien, Gustave Kahn, Adrien Lachenal, conseiller fédéral (Suisse), Georges Lafenestre, de Larmandie, Gustave Larroumet, Georges Lecomte, Eugène Ledrain, Camille Lemonnier, Hugues Le Roux, Jean Lorrain, Pierre Louys, A.-F. Lugné-Poë, directeur du Théâtre de l’Œuvre ; Maurice Magre, directeur de l’Effort ; Léon Maillard, directeur du Parisien de Paris ; Paul Margueritte, Roger Marx, Raymond Maygrier, Albert Mérat, Stuart Merrill, Paul Meurice, Octave Mirbeau, Frédéric Mistral, Georges Montorgueil, Jean Moréas, Charles Morice, Lucien Muhlfeld, Th. Natanson, Vincent O’Sullivan (Angleterre), Édouard Petit, directeur de l’Écho de la Semaine ; Vittorio Pica (Italie), Edmond Picard (Belgique), Pierre-Paul Plan, Maurice du Plessys, Raymond Poincaré, vice-président de la Chambre des Députés ; Mme Rachilde, J.-F. Raffaëlli, Frédéric Raisin (Suisse), Ernest Raynaud, Odilon Redon, Henri de Régnier, Adolphe Retté, Reynaldo-Hahn, Harrison Rhode, Dr de Chap Book (États-Unis), Jean Richepin, Clément Rochel, Félicien Rops, Henry Roujon, directeur des Beaux-Arts ; Rémy Salvator, Jean Schlesinger, Aurélien Scholl, Marcel Schwob, Armand Silvestre, Ch. de Sivry, Frans Soudan (Belgique), Arthur Symons (Angleterre), Laurent Tailhade, R. de la Tailhède, Albert Trachsel, Jules Valadon, Émile Verhaeren (Belgique), Paul Vérola, Francis Vielé-Griffin, E. Zilcken (Hollande), Émile Zola.

Au mois de juillet, le Comité d’action envoya la lettre suivante : « L’élan unanime qui accompagna, voici une demi-année, au tombeau notre grand PAUL VERLAINE, reste un admirable souvenir : on ne saurait s’en tenir là, toutefois, dans la célébration publique d’une si chère mémoire. – Le génie a le droit de ne faire qu’un stage très bref dans le repos commun. – Ici la gloire était mûre, dès la mort ; et, tout de suite, cette radieuse figure peut renaître, par le marbre, dans le jardin du Luxembourg, cimetière, sans dépouille et léger, des Poètes. – Un monument, que surmonte le buste par Niederhausern, confié pour l’ensemble au sculpteur, va se dresser bientôt. – Appel est fait à votre souscription, et la présente lettre contient d’avance notre remercîment. – Le président, STÉPHANE MALLARMÉ ; le vice-président, A. RODIN. »

À la deuxième réunion, tenue au siège du Comité, le 14 décembre, furent décidées : la célébration d’une messe-anniversaire, et l’ouverture de la souscription publique.

Dans les premiers jours de janvier 1897, cette lettre fut envoyée : « La famille et les amis de PAUL VERLAINE vous prient d’assister à la Messe-Anniversaire qui sera célébrée, pour le repos de son âme, le 15 janvier 1897, en l’église Sainte-Clotilde, chapelle de la Sainte-Vierge, à dix heures précises, par M. l’abbé A. Mugnier, premier vicaire. – À l’issue de la cérémonie, une couronne sera portée sur la tombe du Poète, au cimetière des Batignolles. »

Cinq à six cents personnes se réunirent, le 15 janvier, à l’église Sainte-Clotilde. Il y avait là : Stéphane Mallarmé, Edmond Lepelletier, Auguste Rodin, Léon Dierx, J.-K. Huysmans, Fernand Clerget, Madeleine Lépine, F.-A. Cazals, Léon Deschamps, Alfred Vallette, Rachilde, Georges Rodenbach, Hérold, Charles Fuinel, Alexandre Natanson, Clément Rochel, Ernest Delahaye, Georges Verlaine, fils du poète ; Charles de Sivry, son ancien beau-frère ; Paul Tissier, Henri de Régnier, Francis Vielé-Griffin, Pierre Quillard, Gustave Kahn, Jean Lorrain, comte de Montesquiou, Jules Rais, Raoul Ponchon, Toulouse-Lautrec, Paul Fort, Édouard Jacquemin, Niederhausern, Saint-Georges de Bouhélier, Maurice Le Blond, Eugène Montfort, et d’autres dont les noms ont été inscrits sur un registre.

Après la messe, dite par l’abbé Mugnier à l’autel de la Vierge, l’assistance se dirigea, par groupes séparés, vers le cimetière des Batignolles. À midi, tous entouraient le tombeau de la famille Verlaine, qui fut couvert de fleurs et de couronnes. Et dans le religieux silence, plusieurs parlèrent.

Ernest Raynaud, Maurice du Plessys, Louis le Dauphin, dirent des vers à celui dont l’image restait visible à tous. Puis, Lepelletier excusa l’absence de François Coppée, et dit : « Verlaine, malade, isolé, frappé, aigri, désespéré, hanté, pour la seule fois peut-être, de la pensée du suicide, m’avait chargé de défendre sa mémoire. Ce mandat, que je garde toujours, n’a plus besoin d’être exercé. L’apaisement s’est fait : Verlaine est entré dans la sérénité de la gloire et dans la paix de l’immortalité. »

Paul Tissier, pour l’Association des Étudiants, ajoute : « Verlaine a vécu parmi nous toutes ses dernières années. Nous nous attachions à lui dans ces jours de tristesse où la souffrance et le malheur le ramenaient à l’hôpital ; nous nous souvenons des longues causeries du soir dans les couloirs de Broussais avec l’interne de garde. C’est au milieu de ces épreuves que se révélaient pleinement sa bonté et sa gaieté inaltérables. »

Stéphane Mallarmé prononça cette allocution : « Nous savons Verlaine souriant de partager l’immortalité des grands poètes de la France, par exemple, entre La Fontaine et Lamartine. La montée lumineuse n’a pas duré un an. L’outrage même ne manqua, il importe à un plus rapide dépouillement du malheur inhérent au génie ; – ayons un regret, seulement, pour ceux qui s’attribuent cette fonction. Avant que la chère Ombre se sépare d’ici pour un Jardin moins sévère, écoutons, tendrement, des paroles amies tout à l’heure l’entretenir comme d’hier ; ainsi s’effarouchera-t-elle peu elle-même, de nous suivre vers sa gloire. Une tâche, facile, commence pour le Comité chargé d’élever un monument différent de la tombe à laquelle chaque membre donne un salut. »

De ce jour, en un mois à peine, Verlaine a rallié toutes les forces autour de son nom. Chacun y contribue, parfois sous l’anonyme. L’œuvre entreprise s’appuie sur le Mercure de France, Simple Revue, la Plume, la Revue blanche, la Critique, l’Art moderne, la Libre Critique, the Senate, Novy Zivosl, le Parisien de Paris, Lutèce, New Review, La Montagne, la France Scolaire, d’autres encore. – Jean Schlesinger s’est chargé de recueillir des adhésions en Autriche ; Henri D. Davray, en Angleterre et aux États-Unis ; P.-P. Plan, en Suisse. – Jean Bourguignon, directeur de la Revue d’Ardennes et d’Argonne, a formé, le 6 février, un Comité ardennais : (Charles Houin, Paul Collinet, Ernest Raynaud, Jules Mazé, E. Delahaye, Jean Bourguignon, André Donnay, Paul Acker, Dr H. Doizy, H. Dacremont, Dr V. Meugy, G. Cromer, Aug. Drouet, J. Richelet, L. Pierquin, H. Bourguignat.) – F.-A. Cazals, délégué par le Comité du monument, a fait, fin février, un voyage à Bruxelles, à la suite duquel un Comité belge s’est formé, avec Camille Lemonnier, Edmond Picard, Émile Verhaeren, Octave Maus, H. Carton de Wiart. Eugène Georges, vicomte de Colleville, et Charles Morice ; ce Comité a donné, le jeudi 25 mars, une fête au bénéfice du monument, au Salon de la Libre Esthétique, où Verlaine avait fait autrefois des conférences.

Le Comité d’action a rassemblé d’ailleurs tous les documents intéressant son œuvre, et les a publiés dans la France Scolaire, bulletin mensuel du Comité d’instruction et d’éducation publiques (Février-Avril 1897). Ce numéro exceptionnel consacré au monument de Paul Verlaine, contient la liste des membres du Comité de patronage et du Comité d’action, une page de Stéphane Mallarmé évoquant un moyen pédagogique utilisé jadis par le professeur Paul Verlaine, l’historique des efforts faits par les amis du poète durant la première année, quelques mots sur la séance donnée le 25 mars au salon de la Libre Esthétique de Bruxelles au bénéfice du Monument (soirée brillante où Mlle Claire Friché a exquisement chanté les mélodies de Georges Flé sur des poésies de Verlaine, où M. Krauss a récité quatre sonnets tirés de Sagesse, où MM. Camille Lemonnier, Émile Verhaeren, Henry Carton de Wiart, Charles Morice, le vicomte de Colleville, ont fait ou lu des conférences définitives pour la mémoire du poète) ; – ce même numéro reproduit la plus belle page de Camille Lemonnier, les paroles de Charles Morice et du vicomte de Colleville, un article : Verlaine professeur, par Jean Bourguignon et Charles Houin, les autres documents que j’ai exposés précédemment, et la première liste des souscriptions reçues, près de 3,500 francs, – il annonce une représentation à Trianon, le charmant théâtre de Versailles : représentation que sans doute empêchera la catastrophe du Bazar de la Charité. – J’ai noté dans ce bulletin les paroles de Charles Morice ; leur conclusion est prophétique : « L’influence de Verlaine sur les générations de poètes sera durable et profonde. Quelque chose d’essentiel date de lui, qui fait de son rôle dans les lettres françaises celui d’un créateur et d’un révélateur. D’autres ont élevé des monuments plus considérables, à la faveur d’un long aboutissement de races : le présent admire ces ruines fastueuses, orientées à jadis, et passe. – Le monument de Verlaine commande une route haute, difficile et charmante, qui monte dans la lumière vers l’avenir. »

Voici la lettre, ouvrant la souscription publique internationale, qui a été envoyée de janvier à avril 1897, en France et à l’étranger, par le Comité du monument de Paul Verlaine :

« Au lendemain du Bout de l’An de Paul Verlaine, cérémonie qui a consacré d’une façon tout ensemble si touchante et si magnifique la gloire du Poète et la fidélité de ses admirateurs, le Comité pour l’érection à Paris du monument de Paul Verlaine croit devoir à ces derniers d’assembler leurs noms dans un nouvel hommage. – Le Comité se flatte de l’espoir que les amis et les admirateurs de Paul Verlaine tiendront à honneur de se faire inscrire, dès le présent avis, sur la première liste de la Souscription publique qui sera ouverte au 15 février, dans la Presse quotidienne et périodique. – Cette première liste contiendra intégralement les noms des souscripteurs qui se seront fait connaître avant la date indiquée ci-dessus. – Pour le Comité, le secrétaire, F.-A. CAZALS ; le trésorier, F. CLERGET. »

FIN

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