Paul Verlaine a écrit, dans sa préface de Sagesse : « L’auteur de ce livre n’a pas toujours pensé comme aujourd’hui. Il a longtemps erré dans la corruption contemporaine, y prenant sa part de faute et d’ignorance. Des chagrins très mérités l’ont depuis averti, et Dieu lui a fait la grâce de comprendre l’avertissement. Il s’est prosterné devant l’autel trop longtemps méconnu, il adore la Toute-Bonté et la Toute-Puissance. »
Cette profession de foi, testament de cet esprit religieux, est aussi son rachat, et Rémy de Gourmont ajoute : « Nulle confession publique ne peut scandaliser un homme, car tous les hommes sont pareils et pareillement tentés. »
Son œuvre, comme ses actes publics, repose sur la même spontanéité : « Le pauvre Lélian, qui demeurera éternellement le Poète du cœur, ne fut point un artiste littéraire. Il fit des vers comme le poirier des poires, ce mot impérissable est d’Émile Zola. Les livres en prose où il narre ses aventures constituent une illustration de ses poèmes. Les Confessions, les Mémoires d’un veuf, Mes Prisons, restent de précieux documents sur les événements d’âme d’où naquirent tour à tour les Poèmes saturniens, la Bonne Chanson, Sagesse. »
Au théâtre, même simplicité. Verlaine a répondu, sur ce point, à un rédacteur des Débats qui l’interviewait sur Madame Aubin, représentée aux Soirées-Procope : « Il y a dix ans que j’ai fait ce petit drame, comme j’eusse fait un sonnet, pour m’amuser, sans ambition aucune ; en le faisant représenter, j’ai cédé seulement aux instances de mes jeunes amis Trimouillat, Privas, etc., les poètes-chansonniers du Quartier Latin. »
Sans doute il y avait en Verlaine de quoi contenter tout le monde, et P. Berrichon s’obstine à ses cris de révolte : « Verlaine aura parcouru son temps et traversé notre société en révolté. C’est de 1871 que, vraiment, Paul Verlaine date ; d’aussitôt après la Commune, dont on sait qu’il fut, en qualité de chef de bureau de la Presse. »
Au chapitre de l’amitié, voici un doute : « Dans les heures tristes, tous l’avaient délaissé, sauf les flaireurs » – et voici une affirmation : « Le cercueil de Paul Verlaine s’en est allé au cimetière sans escorte officielle, sans dragons, sans cuirassiers, sans généraux, avec le seul accompagnement de ses amis affligés. »
Sur Verlaine socratique : « Physiquement, il ressemblait à Socrate, et il eut avec ce grand homme plus d’un rapport. Sa principale étude, par exemple, était de se connaître ; aussi Verlaine nous a-t-il laissé mille expressions sincères de ses divers états d’âme. Tel que Socrate encore, et parce qu’il avouait ingénument ses faiblesses, il fut accusé de tous les vices, et si ses envieux ne lui imposèrent pas la ciguë, du moins ils le réduisirent jusqu’à l’inéluctable fin et à la pire misère. »
En février 1896, eut lieu, à la Maison d’Art de Bruxelles, une conférence triple sur Verlaine, par Edmond Picard, Verhaeren, et H. Carton de Wiart. – M. E. Picard « a montré, dans le poète, le sensitif subissant l’influence du milieu, même si ce milieu (le Parnasse) l’oblige à l’impassibilité… À travers sa misère, il est une sorte de Nabi de l’art, un prophète individuel, inspiré par toutes les impressions du dehors et celles, plus profondes, du dedans. » – M. Verhaeren a établi « le rapport entre l’art de Verlaine et la musique ; entre celui des Parnassiens et la peinture, la sculpture. La terrible question du vers libre a été abordée nettement et franchement. La musicalité, le rythme, ne peuvent-ils suffire puisqu’ils ont toujours été l’essentiel ? » – M. H. Carton de Wiart a parlé de Sagesse, de Verlaine poète chrétien, rappelant que « ces chefs-d’œuvre religieux furent mal accueillis par la masse dévote : Verlaine manquait de tenue morale ! Cependant, pour Rubens, les tableaux qu’on dut brûler après sa mort n’ont pas fait proscrire ses peintures religieuses. »
Sur Verlaine à l’hôpital : « Lui-même a plaisamment narré ses villégiatures et ses longues haltes dans les hôpitaux de Paris. Entouré d’amis, de disciples, de peintres ou de sculpteurs jaloux d’éterniser son visage, il goûta dans ces tristes châteaux de la maladie, un loisir fécond en chefs-d’œuvre. C’était vraiment la maison de campagne, le cottage réparateur où, suspendant pour quelques mois son exécrable hygiène, le maître reprenait possession entière de ses forces et de sa volonté : »
Achille Rouquet (Revue méridionale, Carcassonne, mars-avril 1896), Paul Meissonnier (l’Ardèche littéraire, Aubenas, 15 février 1896), Henri Degron (la Plume, 15 novembre 1896), disent l’émotion qui se manifesta à la disparition de Verlaine, la pléiade d’artistes et de lettrés qui suivit son cercueil, et l’impression qu’eut l’assistance, au cimetière : « l’Immortalité déjà s’était emparée de son âme ! »
Un an plus tard, c’est la messe-anniversaire dite à l’église Sainte-Clotilde : « Or, tous étaient là, ce matin. Tous étaient là groupés autour de lui, courbés pendant l’Élévation. Après avoir battu bien des rivages, ils revenaient, les réfractaires, se ranger sous son égide sainte, comme autrefois ; ils étaient là, de force, même ceux qui pour une cause quelconque ne vinrent pas, et leur absence les rendait plus visibles… Et certainement, plus près de Lui, chœur angélique, les Laforgue, les Mikhaël, les Dubus, les Albert Aurier, morts avant l’épanouissement… et Louis Le Cardonnel qui n’a pas dit cette messe… Ô Maître, tous les ans, ton âme veut nous réunir ; elle descendra, tous les ans, parmi nous, comme l’Esprit Saint, pour réconforter les faibles, pour élire de nouveaux servants ou chasser les apostats ; et en nos jours de doute et de décrépitude, où toute foi s’éteint, où tout périclite, où il est si difficile de s’orienter, ton image sera pour nous l’Étoile directrice, le Phare sur la mer démontée. »
Dans un fascicule spécial consacré au poète, Stéphane Mallarmé, en quelques lignes, enferme l’œuvre et la montre toute condensée en un seul ouvrage : « Tout, de loin ou de près, ce qui s’affilie à SAGESSE, en dépend et pourrait y retourner, pour grossir l’unique livre : là, en un instant principal, ayant écho par tout Verlaine, le doigt a été mis sur la touche inouïe qui résonne solitairement, séculairement. »
Dans une lettre à Cazals, J.-K. Huysmans a évoqué de lointains souvenirs : « Verlaine était depuis peu rentré en France. Un ami commun, le bon Robert Caze, nous avait réunis dans son logement de la rue Rodier. Bien peu d’écrivains connaissaient alors Sagesse, qui avait été si soigneusement enfouie dans le placard d’une librairie catholique. Ce fut, je crois bien, pour son auteur, un peu de légitime joie, lorsqu’il nous entendit, tous les deux, lui en parler avec une admiration qu’il sentait n’être point feinte, et il se débrida, sortit tout cet affectueux côté d’enfant et de brave homme qui était en lui. – Après le dîner, nous l’amenâmes à Villiers de l’Isle-Adam qu’il n’avait pas, depuis des années, revu… Et je revois Verlaine, dans cette pose que vous avez si bien rendue, regardant de ses petits yeux qui se recueillent, l’ébullition de son ami, secouant d’un coup de tête, la mèche de ses cheveux, se reculant comme pour prendre du champ, puis levant les bras en l’air en inclinant tout son buste sur la table qui les sépare. »
Ernest Delahaye, qui connaissait le poète depuis vingt-cinq ans, écrit que « Verlaine n’a été fait vraiment bien que par Cazals… Cazals a évoqué le Saturnien, le prédestiné aux drames et aux déchirantes tristesses, qui s’était décrit, et prédit :
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte,
De ci, de là,
Pareil à la
Feuille morte. »
Dans les Opinions de la Presse qui complètent cet album de Cazals, quelques mots d’Anatole France, fragment d’un article du Temps (15 novembre 1891), rappellent quatre vers de Verlaine, où gît toute sa simplicité humaine :
« La misère et le mauvais œil, –
Soit dit sans le calomnier, –
Ont fait à ce monstre d’orgueil
Une âme de vieux prisonnier. »