La Joconde

Le Matin, 1er janvier 1914

À peine arrivée, Elle reçoit, sans cordialité d’ailleurs. Au seuil, on lit d’un œil soupçonneux nos références ; il est juste de dire que la plupart des « intimes » qui pénètrent sont armés, objectif en bandoulière et magnésium jusqu’aux dents.

Elle est là, sur fond de plantes vertes. Le coin de la bouche et l’angle externe des yeux remontent ensemble, pour lui composer ce sourire intérieur, doux et suspect.

Entre deux éclairs de magnésium, les « intimes » s’accoudent devant elle, lui rendent sourire pour sourire, et la détaillent – pour la première fois.

– Comme Elle reluit ! Est-ce qu’ils l’ont revernie ?

– Et qu’est-ce qu’elle a sur la poitrine, là, entre les seins ? On dirait un coup de couteau… Vous saviez, vous, qu’elle avait la lèvre inférieure aussi grasse ?

– Oui. Mais regardez, cher ami, combien la main droite, celle qui est le moins en évidence, est d’une exécution plus belle que la gauche !… etc.

Ils l’épluchent, la découvrent, l’inventent. Ils veulent l’aimer mieux que pour sa beauté, et parent de faiblesses imaginaires celle à qui rien ne manque, et qui, pourtant, n’a pas de sourcils.

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