Ça manque de femmes !

Le Matin, 27 novembre 1913

« Ah ! ça manque de femmes ! Ça manque de femmes ! »

L’homme décoré, à moustache militaire, qui se plaint ainsi à voix haute, ce n’est pas un gradé qui court, par le train le plus rapide, vers les fêtes parisiennes, – c’est le directeur d’un grand théâtre de Bruxelles, en quête de jeunes premières.

– Ça manque terriblement de femmes, le théâtre ! Des comédiennes intelligentes, parbleu ! il y en a, il y a même des comédiennes qui ont du talent, – du talent et de la conscience, et de l’ardeur au travail, oui !… comme si ça pouvait suffire ! Quand on ne peut pas avoir ce que j’appelle « la femme », la femme d’un rôle, une des trois ou quatre « grandes », je fais comme tout le monde, j’engage la femme qui a du talent. Elle joue, elle a du succès, et même elle fait recette. Elle est très bien, mais, comme elle n’est quand même pas la « femme du rôle », il arrive ceci : qu’elle paye en fatigue physique son effort intelligent, l’emploi de ses qualités morales qui veulent suppléer, qui suppléent effectivement au don. Je vois ça tout de suite. Je me dis : « Toi, ma fille, tu vas me demander la semaine prochaine un petit congé de quatre ou cinq jours pour cause de grippe, ou bien, à la fin de tes représentations, tu iras te mettre au vert. » Le don, ce que nous nommons le « tempérament » d’un artiste, c’est quelque chose de si physique, de si étranger, de si opposé même, au travail cérébral ! Un petit bout de tison comme Mme S…, qui n’est pas fichue d’être prête pour déjeuner ni de faire un kilomètre à pied sans geindre, vous porte quatre actes écrasants sans faiblir, deux cents soirs de suite. Vous la remplacez par l’« artiste intelligente » qui est en même temps une belle fille solide… la belle fille solide est sur le flanc en quinze jours…

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