IX

Annie, retombée dans le silence, semble garder de sa crise de l’autre soir un peu de gêne. Elle marche sans bruit, rôde autour de moi, avec une grâce contrite de chatte qui a cassé un vase…

Frileuse de sommeil, elle se tenait ce matin sur le perron aux marches disjointes, qui chancellent sous le pas comme les pierres mal assurées qui marquent le gué d’un ruisseau… Sept heures sonnaient et je sortais du labyrinthe, trempée de rosée, le nez fondu et les mains gourdes, une corbeille sur les bras. Ce matin d’octobre sentait le brouillard, la fumée de bois et la feuille pourrie, à m’enivrer. J’avais retrouvé un Fresnoy plus rude, plus osseux de roches qui percent l’herbe, plus roussi de soleil et de gel… Le fauve parfum de cette aube rouillée m’avait tirée de mon lit jusqu’au nid de guêpes engourdies que je guettais…

– Une noisette, Annie ?

Elle tend sa main hors du peignoir bleu pâle, couleur de ses yeux… Sa natte bat ses reins et le froid accentue cet air de petit Arabe malade que lui donne le grand matin… J’arrête sa main :

– Bête, regardez donc ce que c’est, au moins !

Elle se penche une minute sans comprendre sur ma corbeille pleine d’une mouture grossière, jaune et noire, pailletée de nacre, qui grouille faiblement… Je l’avais ramassée par pelletées, cette pâtée de guêpes engourdies, et je courais les brûler au fourneau, écœurée par leur odeur cireuse… Annie les considère avec une crainte paisible, les mains derrière le dos…

– Qu’est-ce que vous faites debout à cette heure-ci, mon petit ?

Elle relève ses paupières lourdes de cils, gonflées de sommeil, – ou d’insomnie ?

– C’est une dépêche qu’on a portée dans votre chambre, Claudine, et vous n’y étiez plus. Alors je vous cherchais…

– Une dépêche ?

Renaud ? Un accident ? quoi ? Oh ! ce sale papier bleu qui colle !… Je demeure penchée sur les lignes sans ponctuation, comme Annie sur le panier de guêpes…

Annie, d’inquiétude et de froid, se met à trembler.

– Eh bien ? Claudine ?

Je lui tendis la dépêche, stupide :

« Puis-je venir ? Je perds la tête. Marcel. »

Mon soulagement éclate en rires indignés :

– Elle est raide, celle-là ! Non, mais qu’est-ce que vous dites de ça ? Ah ! si son père était là ! Attendez ! je vais lui retourner un petit télégramme qu’il ne fera pas monter en épingle !

Annie – prudence ou indifférence – ne dit rien et je tourne rageusement, du bout d’une rouette de noisetier, ma pâtée de guêpes mortes…

– Qu’est-ce que vous allez faire, Claudine ? risque-t-elle enfin.

– Avertir Renaud, pardi !… C’est-à-dire…

Non, je ne puis pas avertir Renaud, fêler sa fragile coquille de repos, risquer une rechute, ralentir sa guérison, retarder, fût-ce d’une heure, le jour où, toute ma faiblesse m’accablant d’un coup, il me recevra dans ses bras rajeunis…

– Annie, dites-le-moi, vous, ce que je dois faire ?

Elle pince une bouche entendue et prophétise au hasard :

– Ma chère, laissez-le venir, cet enfant : on verra bien…

Share on Twitter Share on Facebook