XV

Ma petite Annie en a vu de dures, ces jours-ci. Je ne suis pas à prendre avec une pince à sucre depuis l’arrivée de Marcel. Je ne lui parle que pour la taquiner ou l’humilier – ce qu’elle subit d’ailleurs avec un secret agrément. Au fond, cette fausse évadée, je la vois assez bien dans un de ces pays où l’on attelle la femme à la voiture, à côté du chien, pendant que l’homme, les mains ballantes, chante une chanson qui loue l’amour, la vengeance et les lames damasquinées…

Le soir, elle brode ou lit. Je lis ou je joue avec le feu (car il fait froid, maintenant, un feu somptueux de souches de pommiers, de pommes de pin, de tout l’élagage du printemps : baguettes en fagots qui proviennent de la taille des abricotiers, margotins de lilas que la flamme semble boire… Je secoue le brasier, je manœuvre le soufflet en vernis Martin qui s’écaille, je choisis les souches dans le coffre comme on choisit les livres aimés, n’élisant que les bistournées, les monstrueuses, qui, dans la cheminée, se tiennent debout sur une corne… Cependant, j’observe un silence bougon de prisonnière.

Un petit tintement de cuiller et de porcelaine dans le couloir m’avertit qu’on va monter chez Marcel la tasse de tilleul qu’il boit à dix heures, et je serre tout à coup les mâchoires, prête à me lever, à balayer la lampe et la table, et Annie, et Marcel ; en criant « Fichez-moi le camp ! J’ai besoin d’être seule et de ne pas entendre vivre sottement à côté de moi ! »

Mais ça ne se fait pas. Et puis leur effarement me demanderait « pourquoi ? » Toujours expliquer, toujours expliquer ! Les gens sont étonnants : ils n’oseraient pas vous demander des nouvelles de vos fonctions intimes, mais ils vous questionnent crûment sur les mobiles de vos actes, sans pudeur, ni retenue…

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