À MARÉE BASSE

– Des enfants, des enfants… Des gosses, des mioches, des bambins, des lardons, des salés… L’argot ne saurait suffire, ils sont trop ! Par hasard, en retournant à ma villa isolée et lointaine, je tombe dans cette grenouillère, dans cette tiède cuvette que remplit et laisse, chaque jour, la mer…

Jerseys rouges, jerseys bleus, culottes troussées, sandales ; – cloches de paille, bérets, charlottes de lingerie ; – seaux, pelles, pliants, guérites… Tout cela, qui devrait être charmant, m’inspire de la mélancolie. D’abord ils sont trop ! Et puis, pour une jolie enfant en pomme, joufflue et dorée, d’aplomb sur des mollets durs, que de petits Parigots, victimes d’une foi maternelle et routinière : « La mer, c’est si bon pour les enfants ! » Ils sont là, à demi nus, pitoyables dans leur maigreur nerveuse, gros genoux, cuissots de grillons, ventres saillants… Leur peau délicate a noirci, en un mois, jusqu’au marron-cigare ; c’est tout, et ça suffit. Leurs parents les croient robustes, ils ne sont que teints. Ils ont gardé leurs grands yeux cernés, leurs piètres joues. L’eau corrosive pèle leurs mollets pauvres, trouble leur sommeil d’une fièvre quotidienne, et le moindre accident déchaîne leur rire ou leurs larmes faciles de petits nerveux passés au jus de chique…

Pêle-mêle, garçons et filles, on barbote, on mouille le sable d’un « fort », on canalise l’eau d’une flaque salée… Deux « écrevisses » en jersey rouge travaillent côte à côte, frère et sœur du même blond brûlé, peut-être jumeaux de sept à huit ans. Tous deux, sous le bonnet à pompon, ont les mêmes yeux bleus, la même calotte de cheveux coupés au-dessus des sourcils. Pourtant l’œil ne peut les confondre et, pareils, ils ne se ressemblent pas.

Je ne saurais dire par quoi la petite fille est déjà une petite fille… Les genoux gauchement et fémininement tournés un peu en dedans ?… Quelque chose, dans les hanches à peine indiquées, s’évase plus moelleux, avec une grâce involontaire ? Non, c’est surtout le geste qui la révèle. Un petit bras nu, impérieux, commente et dessine tout ce qu’elle dit. Elle a une volte souple du poignet, une mobilité des doigts et de l’épaule, une façon coquette de camper son poing au pli de sa taille future…

Un moment, elle laisse tomber sa pelle et son seau, arrange je ne sais quoi sur sa tête ; les bras levés, le dos creux et la nuque penchée, elle devance, gracieuse, le temps où elle nouera, ainsi debout et cambrée, le tulle de sa voilette devant le miroir d’une garçonnière…

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