BAIN DE SOLEIL

– « Poucette, tu vas te cuire le sang ! viens ici tout de suite ! » Ainsi apostrophée du haut de la terrasse, la chienne bull lève seulement son museau de monstre japonais couleur de bronze. Sa gueule, fendue jusqu’à la nuque, s’entrouvre pour un petit halètement court et continu, fleurie d’une langue frisée, rose comme un bégonia. Le reste de son corps traîne, écrasé comme celui d’une grenouille morte… Elle n’a pas bougé ; elle ne bougera pas, elle cuit…

Une brume de chaleur baigne la baie de Somme, où la marée de morte-eau palpite à peine, plate comme un lac. Reculée derrière ce brouillard moite et bleu, la Pointe de Saint-Quentin semble frémir et flotter, inconsistante comme un mirage… La belle journée à vivre sans penser, vêtue seulement d’un maillot de laine !

… Mon pied nu tâte amoureusement la pierre chaude de la terrasse, et je m’amuse de l’entêtement de Poucette, qui continue sa cure de soleil avec un sourire de suppliciée… « Veux-tu venir ici, sotte bête ! » Et je descends l’escalier dont les derniers degrés s’enlisent, recouverts d’un sable plus mobile que l’onde, ce sable vivant qui marche, ondule, se creuse, vole et crée sur la plage, par un jour de vent, des collines qu’il nivelle le lendemain…

La plage éblouit et me renvoie au visage, sous ma cloche de paille rabattue jusqu’aux épaules, une chaleur montante, une brusque haleine de four ouvert. Instinctivement, j’abrite mes joues, les mains ouvertes, la tête détournée comme devant un foyer trop ardent… Mes orteils fouillent le sable pour trouver, sous cette cendre blonde et brûlante, la fraîcheur salée, l’humidité de la marée dernière…

Midi sonne au Crotoy, et mon ombre courte se ramasse à mes pieds, coiffée d’un champignon…

Douceur de se sentir sans défense et, sous le poids d’un beau jour implacable, d’hésiter, de chanceler une minute, les mollets criblés de mille aiguilles, les reins fourmillants sous le tricot bleu, puis de glisser sur le sable, à côté de la chienne qui bat de la langue !

Couchée sur le ventre, un linceul de sable me couvre à demi. Si je bouge, un fin ruisseau de poudre s’épanche aux creux de mes jarrets, chatouille la plante de mes pieds… Le menton sur mes bras croisés, le bord de la cloche de jonc borne mes regards et je puis à mon aise divaguer, me faire une âme nègre à l’ombre d’une paillote. Sous mon nez, sautent, paresseusement, trois puces de mer, au corps de transparente agate grise… Chaleur, chaleur… Bourdonnement lointain de la houle qui monte ou du sang dans mes oreilles ?… Mort délicieuse et passagère, où ma pensée se dilate, monte, tremble et s’évanouit avec la vapeur azurée qui vibre au-dessus des dunes…

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