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16 juin.

Ce soir, j’ai encore quelques lignes à ajouter à mon journal avant d’aller au lit.

Deux heures après que sir Percival nous eut quittés pour rejoindre son avocat, il me prit l’envie d’aller me promener un peu. Comme je me trouvais sur le palier du premier étage, j’entendis la porte de la bibliothèque s’ouvrir et la fin d’une conversation parvint à mon oreille.

J’allais rentrer dans ma chambre, lorsqu’une voix inconnue prononça le nom de Laura. Je sais que ce n’était pas bien, de ma part, d’écouter, mais y a-t-il une femme sur terre qui pourrait régler ses actes sur le principe abstrait de l’honneur, quand ce principe lui propose une voie à suivre, tandis que ses affections et l’intérêt de ceux qu’elle aime lui en proposent une autre ?

– Ne vous agitez pas, sir Percival, disait l’avocat. Tout dépend de lady Glyde. Elle doit donner sa signature en présence de témoins et dire en mettant son doigt sur le cachet : « Ceci est ma volonté ! » Si cette formalité est accomplie avant une semaine, tout s’arrangera. Sinon…

– Sinon ? demanda vivement sir Percival. Si cette formalité doit se faire, elle se fera, je vous le certifie !

– Oui, oui, je sais, sir Percival, mais il y a toujours une alternative dans une transaction et nous, hommes de loi, aimons de la regarder en face. Si, par un concours de circonstances imprévues, l’arrangement ne se faisait pas, je pourrais peut-être obtenir des traites à trois mois. Mais voilà ! Comment pourrez-vous disposer de l’argent pour les payer à l’échéance ?…

– Au diable les traites ! s’écria sir Percival. L’argent doit être obtenu en une fois et je l’obtiendrai ! Prenez un verre de vin avant de partir, Merriman.

– Merci, sir Percival, je n’ai pas un moment à perdre si je veux avoir mon train. Écrivez-moi dès que l’affaire sera conclue et n’oubliez pas les témoins surtout.

– Naturellement ! Le dog-cart est devant la porte, mon cocher va vous conduire. Benjamin ! cria-t-il, allez ventre à terre jusqu’à la gare. Si Mr Merriman manque son train, vous perdrez votre place. Tenez-vous bien, Mr Merriman, et comptez sur le diable pour protéger un de ses sujets !

Après cette étrange bénédiction, le baron rentra dans la bibliothèque.

Quoique je n’eusse pas entendu grand-chose de la conversation, je savais de quoi il s’agissait. Sir Percival comptait sur sa femme pour liquider une dette urgente. Je me rendis directement dans la chambre de Laura, afin de la mettre aussitôt au courant de ce que j’avais appris. Elle m’écouta avec un tel calme que j’en conclus qu’elle en savait long sur les embarras d’argent de son mari.

– Je l’ai craint, me dit-elle, lorsqu’on a dit qu’un visiteur était venu en notre absence, sans laisser son nom !

– Qui était-ce, Laura, croyez-vous ?

– Quelqu’un qui avait sans doute de sérieux droits à réclamer quelque chose.

– Avez-vous des détails sur cette affaire ?

– Non, aucun.

– Dites, Laura, vous ne signerez rien sans l’avoir lu auparavant ?

– Certainement non, Marian. Tout ce que je puis faire honnêtement pour l’aider, je le ferai, chérie, afin que notre existence à toutes deux, ici, soit aussi agréable que possible. Mais je ne signerai jamais aveuglément un papier, dont nous pourrions rougir un jour. N’en parlons plus, voulez-vous ? Et… allons faire un tour dans le parc.

Tandis que nous cherchions un endroit ombragé, nous vîmes le comte Fosco se promener lentement sur le gazon en plein soleil. Il portait un chapeau de paille à larges bords, orné d’un ruban violet, une blouse bleue brodée de blanc recouvrait son énorme torse et était serrée à la taille par une large ceinture en cuir écarlate. Un ample pantalon, orné des mêmes broderies blanches, lui descendait jusqu’aux chevilles et il portait aux pieds des mules en maroquin pourpre. D’une voix sonore, il chantait l’air de Figaro du Barbier de Séville en s’accompagnant sur une mandoline. Il nous salua de loin avec élégance et la grâce de Figaro lui-même à vingt ans.

– Croyez-moi, Laura, il connaît mieux que nous les ennuis d’argent de votre mari. Il m’a dit d’un air entendu tout à l’heure que quelque chose s’était passé.

– Ne le questionnez surtout pas, Marian, et ne le mettez pas dans nos confidences !

– Que vous a-t-il fait pour que vous le détestiez tant, Laura ?

– Rien, au contraire, il a été très attentionné pour moi durant le voyage et il a pris plusieurs fois ma défense contre sir Percival. Peut-être est-ce parce qu’il a plus d’influence que moi sur celui-ci que mon orgueil s’en trouve blessé, ou est-ce parce qu’il doit intervenir trop souvent en ma faveur auprès de mon mari ? Je ne sais au juste… mais je le hais, Marian !

Le reste de la journée se passa sans incident. Sir Percival ne fit aucune allusion à la visite de Mr Merriman, mais, après le dîner, il se montra aimable et galant envers sa femme et moi-même comme à ses meilleurs jours de Limmeridge. Même la glaciale Mrs Fosco le regardait, surprise. Pour ma part, je ne devinai que trop ce que ce manège cachait et Laura s’en douta comme moi. Plus d’une fois, je surpris des regards d’intelligence entre lui et le comte Fosco, ce qui m’en disait long.

 

17 juin.

Journée mouvementée. J’espère que tous ces incidents ne présagent pas malheur !

Tandis que nous attendions Mrs Fosco pour une promenade ce matin, sir Percival entra et s’informa où se trouvait le comte.

– Je voudrais, ajouta-t-il, que Fosco et sa femme viennent un moment dans la bibliothèque pour une simple petite formalité à remplir. Je voudrais que vous y veniez également, Laura. Puis, remarquant que nous avions mis nos chapeaux, il continua :

– Mais vous sortiez peut-être ?

– Nous pensions aller tous au lac ce matin, dit Laura, mais si vous avez un autre projet à nous proposer…

– Non, non ! répondit-il vivement. Mes projets peuvent attendre après le lunch… Excellente idée d’aller au lac, je vous accompagne avec plaisir !

Il n’y avait pas à s’y tromper : ses façons autant que ses paroles exprimaient un empressement inusité à se plier aux projets des autres avant de mettre les siens à exécution. Sans aucun doute, on voyait qu’il lui était agréable de trouver une excuse pour remettre à plus tard la formalité dont il venait de parler.

Le comte et la comtesse nous rejoignirent, elle portant tout le nécessaire à l’éternelle fabrication des cigarettes de son mari, et celui-ci portant sa cage de souris blanches, auxquelles il envoyait des sourires ravis et irrésistibles. Nous nous mîmes en route. Lorsque nous fûmes dans la sapinière, sir Percival alla seul de son côté. Toujours, en promenade, il s’écarte de ses compagnons, prend un chemin différent et s’amuse alors à tailler des baguettes dont il se fait des cannes qu’il abandonne quelques heures après.

Il nous retrouva dans le vieux hangar. Laura prit son ouvrage de mains, Mrs Fosco se mit à rouler des cigarettes ; moi, comme d’habitude, je ne faisais rien. Le comte s’installa tant bien que mal sur un des sièges rustiques, la cage sur les genoux, il l’ouvrit bientôt, afin de laisser les souris grimper sur lui. Quant à sir Percival, il demeura à l’intérieur de la maisonnette, parachevant, à l’aide d’un couteau de poche, une nouvelle canne.

Le temps était nuageux et venteux ; les ombres qui se jouaient sur le lac rendaient le spectacle lugubre et sinistre.

– Dire qu’il existe des gens pour trouver cela pittoresque ! dit sir Percival. Moi, je déclare que c’est une faute dans la propriété d’un gentleman. Au temps de mon grand-père, le lac venait jusqu’ici, et voyez maintenant ! Je voudrais le drainer et y faire des plantations. Mon régisseur, un idiot superstitieux, prétend que le lac possède un mauvais sort comme la mer Morte. Qu’en pensez-vous, Fosco ? Cela ne semble-t-il pas être un endroit rêvé pour un meurtre ?

– Mon bon Percival ! s’exclama le comte avec mépris. À quoi pense votre solide bon sens anglais ! L’eau est trop peu profonde pour cacher le cadavre et le sable garderait la trace des pas du meurtrier. C’est au contraire le plus mauvais endroit que je connaisse pour un meurtre.

– Farceur ! Vous savez ce que je veux dire, s’écria sir Percival en riant. Le lieu désert… lugubre… Mais à quoi bon vous expliquer si vous ne comprenez pas !

– Et pourquoi pas ? répliqua le comte, puisque l’explication peut être donnée en deux mots ? Si un imbécile voulait commettre un meurtre, il choisirait votre lac sans hésiter. Mais ce serait le dernier endroit que choisirait un homme intelligent. C’est là, n’est-ce pas, ce que vous voulez dire ?

– Je suis désolée que la vue du lac soit jointe à une pensée aussi horrible que celle d’un meurtre, interrompit Laura, regardant le comte avec haine. Si le comte Fosco désire diviser les meurtriers en différentes catégories, je pense qu’il a mal choisi ses expressions. En les traitant d’imbéciles, il se montre trop indulgent, et en les traitant de gens intelligents, il se contredit. J’ai toujours entendu affirmer que les hommes réellement intelligents avaient horreur du crime, étant des êtres trop bons eux-mêmes.

– Chère madame ! dit le comte, vos sentiments vous honorent et je les ai déjà vus notés en tête des cahiers d’écriture. (Puis, prenant une souris sur la paume de sa main, il s’adressa à elle :) Voilà une leçon de morale, pour vous, petite canaille. Une souris vraiment intelligente est une souris vraiment bonne. Dites cela à vos compagnes et ne rongez plus les barreaux de votre cage à l’avenir.

– Il est facile de tourner tout en ridicule, reprit Laura, mais vous auriez plus de difficultés à me donner un exemple d’homme intelligent ayant été un grand criminel, comte Fosco.

Celui-ci haussa les épaules en souriant aimablement à Laura.

– Parfaitement juste, dit-il, car le crime d’un imbécile est celui que l’on découvre. Celui d’un homme intelligent ne se découvre jamais.

– Gardez vos positions, Laura, ricana sir Percival, et dites-lui que les crimes entraînent leur propre châtiment. Voilà encore une morale de cahier d’écriture, pour vous, Fosco, infernal blagueur ! Les crimes entraînent leurs propres châtiments !

– Je crois que c’est parfaitement vrai, dit Laura avec calme.

Sir Percival éclata d’un rire si violent et si sarcastique que nous sursautâmes tous, et le comte plus que les autres.

– Je le crois aussi, répétai-je pour soutenir Laura.

Sir Percival, qui avait paru si amusé de la réflexion de sa femme, parut tout à coup furibond de la mienne. Il frappa rageusement le sol de sa canne et s’éloigna.

– Pauvre cher Percival ! s’exclama le comte, il est victime du spleen anglais ! Mais, chère miss Halcombe et chère lady Glyde, croyez-vous vraiment que les crimes entraînent leur propre châtiment ? Et vous, mon ange, demanda-t-il en se tournant vers sa femme, le croyez-vous aussi ?

– J’attends qu’on me l’enseigne avant de donner mon avis devant des hommes mieux informés que moi, répondit Mrs Fosco en nous regardant avec reproche.

– Vraiment, comtesse, repris-je, ironique. Je me souviens pourtant du temps où vous réclamiez le droit, pour les femmes, d’émettre librement leurs opinions !

– Que pensez-vous de la question, comte ? reprit Mrs Fosco en m’ignorant et en continuant à rouler ses cigarettes.

– C’est étonnant comme la société se console facilement de ses pires manquements au devoir par de simples mots. L’organisme chargé de découvrir les crimes est inefficace. Demandez aux coroners qui siègent dans les grandes villes si ce n’est pas vrai, lady Glyde, et regardez les journaux. Combien de fois y voyez-vous des cadavres retrouvés dont le meurtrier n’est jamais découvert ? Découvrir un crime, qu’est-ce au juste ? Un concours d’intelligence entre la police et le coupable. Quand le meurtrier est un idiot ignorant, la police gagne neuf fois sur dix, mais quand le criminel est un être intelligent, rusé, éduqué, la police perd presque toujours. Quand elle a gagné, on en parle avec éclat, mais on passe sous silence toutes les fois où elle a perdu. Et vous trouvez que le crime entraîne son propre châtiment ! Oui, ceux que vous connaissez, mais les autres ?

– Diablement vrai et très bien exprimé ! s’écria sir Percival qui était revenu sur ses pas et qui se tenait à la porte du hangar.

– Il y a peut-être du vrai dans cela, repris-je, et c’est peut-être très bien exprimé, mais je me demande pourquoi le comte Fosco célèbre avec tant de joie la victoire du criminel sur la société ! Et pourquoi vous, sir Percival, vous le soutenez !

– Vous avez entendu, Fosco ? Je vous conseille de faire la paix avec ces dames en leur déclarant que la vertu est une belle chose. Vous aurez plus de succès auprès d’elles, je vous l’assure ! s’exclama sir Percival.

Le comte se mit à rire.

– Je ne demande pas mieux que les dames m’expliquent ce qu’est au juste la vertu, car elles savent ce que c’est et moi pas !

– Vous l’entendez ! cria sir Percival. N’est-il pas terrible ?

– C’est vrai, reprit le comte. Chaque pays à une façon différente de considérer la vertu.

– Il est évident, repris-je, que nous avons en Angleterre une vertu indiscutable, qui manque totalement en Chine. Les Chinois tuent des milliers de gens innocents sous des prétextes futiles. Nous, en Angleterre, nous n’agissons pas de la sorte, car nous avons horreur du sang inutilement versé.

– Absolument vrai, Marian ! interrompit Laura.

– Permettez au comte de terminer son exposé, dit Mrs Fosco d’un air revêche. Vous verrez, jeunes femmes, qu’il ne parle jamais sans avoir de bonnes raisons.

– Merci, mon ange ! Voulez-vous un bonbon ? répondit le comte, sortant une petite boîte de sa poche et l’ouvrant. Chocolats à la vanille, reprit-il en souriant. Fosco les offre en hommage à la charmante société.

– Continuez, comte, je vous prie, insista sa femme. Faites-moi le plaisir de répondre à miss Halcombe.

– Miss Halcombe est irresponsable, fit le comte, toujours poli ; je veux dire… au sujet de ce qu’elle avance pour le moment. Certes, John Bull a en horreur les… crimes des Chinois. Plus qu’aucun homme au monde il est prompt à découvrir les fautes de son voisin alors qu’il ne voit pas les siennes ! La paille et la poutre… Mais est-il tellement plus vertueux que les gens qu’il condamne ? La société anglaise, miss Halcombe, est plus souvent la complice du crime que son ennemie, je vous assure, et je pourrais vous en donner des exemples sans fin. Si ! Si ! Vous me trouvez un bien mauvais homme, lady Glyde, n’est-ce pas ? Mais, voyez-vous, je dis tout haut ce que les autres ne font que penser tout bas. Je vais aller me promener un peu avant de me faire juger encore plus mal !

Se levant, il déposa la cage sur la table en comptant ses souris. Horreur ! il en manquait une ! Ni Laura ni moi ne trouvions amusant le cynisme du comte. Nous frémissions plutôt en découvrant ce côté inattendu de son caractère. Mais il nous fut impossible de ne pas rire devant la détresse de ce gros homme, causée par une si petite souris ! Il se mit à quatre pattes pour la chercher sous le siège qu’il occupait et, en la ramassant, il poussa un cri de terreur.

– Percival ! cria-t-il, devenu livide. Percival, venez ici !

– Qu’y a-t-il encore ? demanda l’autre d’un air lassé.

– Ne voyez-vous rien, là, sous la chaise ?

– Je vois du sable et un peu de boue.

– Ce n’est pas de la boue, Percival, c’est du sang !

Laura me regarda, effrayée.

– Sottises, chérie ! dis-je. Ce n’est que le sang d’un pauvre petit chien blessé.

Tous les regards se portèrent vers moi avec surprise.

– Comment le savez-vous ? demanda brusquement sir Percival.

– Parce que je l’ai trouvé ici mourant, le jour de votre retour. La pauvre bête avait reçu un coup de fusil de votre garde.

– À qui appartenait ce chien ? Était-ce un des miens ?

– Non !

– Alors, à qui ?

J’hésitais, car Mrs Catherick avait demandé qu’on ne divulguât pas sa visite, mais je m’étais trop avancée pour reculer.

– À Mrs Catherick, répondis-je enfin.

À ce nom, sir Percival me regarda fixement.

– Comment le savez-vous ?

– Parce que Mrs Catherick était accompagnée de son chien.

– Mais où allait Mrs Catherick ?

– Ici !

– Que diable venait-elle faire ici ?

Trouvant que sir Percival devenait grossier, plus encore dans le ton que dans les paroles qu’il employait, je lui tournai le dos sans répondre. Le comte s’en aperçut et, mettant le bras sur son épaule, lui dit d’une voix très calme :

– Doucement, mon cher Percival, doucement !

Celui-ci lui lança un regard de colère, puis se tourna vers moi et, à ma grande surprise, s’excusa.

– Pardonnez-moi, miss Halcombe, je suis un peu irritable ces derniers temps. Auriez-vous l’obligeance de me dire si vous savez ce que désirait Mrs Catherick et si elle n’a vu personne ?

– Elle a vu la gouvernante qui me l’a raconté.

– Dans ce cas, interrogez plutôt cette dernière, interrompit le comte.

– Vous avez raison, répondit sir Percival en nous quittant.

Lorsqu’il fut parti, je compris mieux pourquoi le comte était intervenu de cette manière. Il m’assaillit de questions au sujet de Mrs Catherick et de sa visite ici – ce qu’il aurait pu difficilement faire en présence de son ami. Je répondis aussi brièvement que possible, bien décidée à ne pas me confier. Mais Laura, sans le savoir, l’aida à apprendre de moi tout ce qu’il désirait connaître ; elle me posa des questions telles que je fus bien forcée d’y répondre. Au bout de 10 minutes, le comte Fosco en savait autant que moi sur Mrs Catherick et sur Anne, ainsi que sur la façon étrange dont Mr Hartright avait fait la connaissance de la jeune fille.

Je découvris avec étonnement que, malgré son intimité avec sir Percival, le comte, jusqu’ici, ignorait tout de l’histoire d’Anne Catherick. Le mystère qui plane encore sur cette malheureuse est doublement suspect, sir Percival ne s’étant jamais confié à son ami intime. Quelle surprise et quelle immense curiosité ai-je lues sur le visage du comte tandis qu’il m’écoutait !

En parlant, nous étions revenus vers la maison. Le dog-cart de sir Percival attendait devant la porte, prêt à partir. S’il fallait en croire les apparences, l’entretien que sir Percival venait d’avoir avec la gouvernante s’était conclu par une décision importante.

– Un bien beau cheval ! mon ami, dit le comte au groom. Vous allez vous mettre en route ?

– Pas moi, monsieur, répondit le garçon en montrant ses vêtements d’écurie et en se demandant sans doute si cet étranger les prenait pour sa livrée. Pas moi, monsieur, mon maître part seul.

– Ah, vraiment ? reprit le comte. Il conduit donc lui-même ? Il veut peut-être fatiguer ce beau cheval ?

– Je ne sais pas, monsieur ; ce cheval, monsieur, c’est une jument : l’animal le plus courageux de nos écuries. Elle s’appelle Brown Molly, monsieur, et elle court jusqu’à ce qu’elle tombe de fatigue. Pour les courtes distances, sir Percival prend d’habitude Isaac d’York.

– Et pour les longues courses, il prend la courageuse Brown Molly ?

– Oui, monsieur.

– Déduction logique, mademoiselle, fit le comte en se retournant vers moi. Sir Percival va faire une longue course aujourd’hui.

Je ne répondis pas. Je tirais moi-même des conclusions, d’après certaines choses que m’avait dites la gouvernante et d’après celles que je voyais à présent. Mais je ne voulais pas en faire part au comte Fosco. Quand il était dans le Cumberland, me disais-je, sir Percival faisait à pied un long trajet pour aller prendre des nouvelles d’Anne chez le fermier de Todd’s Corner ; maintenant qu’il est dans le Hampshire, il s’en va peut-être faire une longue course à cheval pour chercher des nouvelles d’Anne chez Mrs Catherick, à Welmingham ?

Tandis que nous entrions dans le hall, le baronnet nous croisa, préoccupé et inquiet.

– Je m’excuse d’être obligé de vous quitter, dit-il. Je serai de retour demain, mais auparavant, j’aurais voulu terminer cette petite formalité dont je vous ai parlé ce matin Voulez-vous venir dans la bibliothèque, Laura ? Puis-je demander à vous et à la comtesse, Fosco, d’être témoins d’une signature ?

Il leur ouvrit la porte et, tandis qu’ils entraient, je montai dans ma chambre.

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