XXXII. UN ÉCHANTILLON DE MA SAGESSE.

La scène doit changer quand je me déplace. Elle s’est passée pendant un temps à Londres ; elle se passe aujourd’hui à Édimbourg.

Deux jours s’étaient écoulés depuis le dîner du Major Fitz-David. Je me retrouvai en état de respirer librement, après l’entière destruction de mes plans d’avenir et des espérances que j’avais fondées sur leurs succès. J’avais eu trois fois tort ; tort, en soupçonnant à la hâte une femme innocente ; tort, en communiquant à un autre mes soupçons avant d’avoir au préalable essayé de vérifier s’ils étaient fondés ; tort, enfin, en acceptant les hypothèses et les conclusions hasardées de Miserrimus Dexter, comme autant d’indubitables vérités. J’étais si honteuse de ma folie quand je songeais au passé, si absolument découragée, si fortement ébranlée dans ma confiance en moi en songeant à l’avenir qu’une fois dans cette voie j’acceptais tout avis raisonnable qui m’était offert.

« Ma chère, me dit le bon vieux Benjamin en revenant de notre dîner et après avoir causé à fond de mon désappointement, j’ai beau songer à ce que vous m’avez dit, je ne puis me faire à votre M. Dexter. Promettez-moi de ne pas retourner chez lui sans avoir préalablement consulté quelque personne plus à même que moi de vous guider dans cette tâche périlleuse. »

Je lui en fis la promesse à une condition.

« Si je ne puis réussir à trouver cette personne, lui dis-je, voudrez-vous m’assister ? »

Benjamin promit de m’aider de tout son cœur.

Le lendemain matin en me peignant je songeai à mes affaires et me rappelai une résolution oubliée que j’avais prise alors que pour la première fois je lisais le procès de mon mari. Je veux parler de la résolution… au cas où Miserrimus Dexter viendrait à me manquer… de m’adresser à l’un des deux agents ou solicitors, comme vous voudrez les appeler, qui avaient préparé la défense d’Eustache, entre autres M. Playmore. Ce gentleman, on doit se le rappeler, s’était spécialement recommandé à ma confiance par son amicale intervention lorsque les officiers du shériff recherchaient les papiers de mon mari. En me reportant à la déposition d’Isaïe Schoolcraft, je trouvai que M. Playmore avait été appelé pour assister et conseiller Eustache par Miserrimus Dexter. Ce n’était donc pas seulement un ami sur lequel je pouvais compter, mais un ami qui était aussi personnellement lié avec Miserrimus Dexter. Pouvait-il y avoir un homme à qui s’adresser qui fût plus à même que lui de m’éclairer dans les ténèbres qui m’enveloppaient. Benjamin, à qui je posai cette question, convint que j’avais fait en cette circonstance un très-bon choix et me vint tout de suite en aide. Il découvrit, par l’intermédiaire de son homme de loi, l’adresse des agents de M. Playmore à Londres ; et il obtint de ces agents une lettre d’introduction pour moi auprès de M. Playmore lui-même. Je n’avais rien à cacher à mon nouveau conseil et je fus désignée dans la lettre comme la seconde femme d’Eustache Macallan.

Dès le même soir nous nous mîmes en route, Benjamin ne voulant pas me laisser voyager seule, par le convoi de nuit pour Édimbourg.

J’avais préalablement écrit dans la journée à Miserrimus Dexter. Je lui disais simplement que j’étais obligée, d’une façon inattendue, à quitter Londres pour quelques jours, et qu’à mon retour j’irais lui faire connaître le résultat de mon entrevue avec Lady Clarinda.

La réponse caractéristique que voici fut rapportée au cottage par Ariel :

« Madame Valéria,

« Je suis homme de perception rapide, et je puis lire, entre les lignes de votre lettre, ce qui n’y est pas écrit. Lady Clarinda a ébranlé votre confiance en moi. C’est bien ! je m’engage à ébranler votre confiance en Lady Clarinda. Du reste, je ne vous en veux pas. J’attends avec calme l’honneur et le bonheur de votre visite. Faites-moi savoir par le télégraphe si les truffes vous plaisent toujours, ou si vous préférez quelque chose de plus doux et de plus léger.

« Croyez-moi toujours votre allié et admirateur, votre poëte et cuisinier,

« DEXTER. »

Arrivés à Édimbourg, nous eûmes, Benjamin et moi, une petite discussion. Il s’agissait de savoir si j’irais avec lui ou seule chez M. Playmore. J’étais d’avis de m’y rendre seule.

« Mon expérience du monde n’est pas bien grande, lui dis-je ; mais j’ai observé que, neuf fois sur dix, un homme fait à une femme qui vient seule à lui des concessions qu’il hésiterait à faire si un autre homme était présent. Je ne sais pourquoi cela est ainsi, mais je sais que cela est. Si je vois que les choses ne vont pas comme je voudrais avec M. Playmore, je lui demanderai une seconde entrevue, et cette fois vous m’accompagnerez. Ne me croyez pas entière dans mon opinion. Laissez-moi risquer seule cet essai, et nous verrons ce qui en arrivera. »

Benjamin se rendit à mes raisons, avec sa déférence ordinaire. J’envoyai ma lettre d’introduction au cabinet de M. Playmore, dont l’habitation particulière était dans le voisinage de Gleninch. Mon messager me rapporta une réponse polie m’invitant à le venir voir dans l’après-midi. À l’heure fixée, je sonnais à sa porte.

Share on Twitter Share on Facebook