26 Perdue

La voiture franchit la grille. Les chiens aboyèrent avec fureur. Sir Patrick regarda autour de lui et fit un adieu de la main au moment de passer le tournant de la route. Blanche était seule dans la cour.

Elle resta là un moment, caressant distraitement les chiens. Ils avaient un droit tout particulier à sa sympathie. Eux aussi trouvaient évidemment très dur de rester à la maison.

Au bout d’un instant, Blanche se réveilla.

Sir Patrick lui avait laissé la responsabilité de faire surveiller le point de croisement des deux routes. Il lui restait cela à faire pour compléter les arrangements qui devaient faire retrouver la trace d’Anne. Blanche quitta la cour pour s’occuper de tout cela.

Sur son chemin, pour revenir à la maison, elle rencontra Arnold, dépêché à sa recherche par lady Lundie.

L’emploi de l’après-midi avait été arrêté en l’absence de Blanche. Quelque démon avait soufflé à l’esprit de lady Lundie l’idée de cultiver le goût des antiquités féodales, et elle avait insisté pour faire partager ce goût à ses hôtes.

Elle avait donc proposé une excursion au vieux château d’un haut baron situé dans les montagnes, fort loin, heureusement pour le secret des desseins de sir Patrick, des montagnes de Craig Fernie.

Quelques-uns des hôtes devaient aller à cheval, et d’autres accompagner leur hôtesse en voiture découverte. En regardant de droite et de gauche pour recueillir des prosélytes, lady Lundie avait nécessairement remarqué la disparition de certains membres de son cercle.

Mr Delamayn s’était évanoui sans que personne sût où il était passé.

Sir Patrick et Blanche avaient suivi son exemple.

Lady Lundie, à ce propos, fit observer avec une certaine aigreur que si l’on se mettait sur le pied de se traiter les uns les autres avec aussi peu de cérémonie, Windygates se trouverait bientôt changé en un pénitencier, soumis au régime du silence, le mieux approprié aux goûts de ceux qui l’habitaient.

Dans ces circonstances, Arnold fut d’avis que Blanche devait aller le plus tôt possible présenter ses excuses au quartier général et accepter la place que sa belle-mère lui destinait dans la voiture.

– Nous sommes lancés dans les antiquités féodales, et il faut nous entraider de notre mieux. Si vous consentez à prendre place dans la voiture, j’y monterai aussi.

Blanche secoua la tête.

– Il y a de sérieuses raisons pour moi de garder les apparences, dit-elle. Je prendrai place dans la voiture ; mais quant à vous, c’est autre chose.

Arnold parut naturellement un peu surpris et sollicita la faveur d’une explication.

Blanche prit son bras et se serra contre lui. Maintenant qu’Anne était perdue pour elle, Arnold lui devenait plus cher que jamais.

Elle était positivement affamée en ce moment de l’entendre exprimer son adoration pour elle, quoi qu’elle fût déjà bien fixée sur ce point délicat.

Il était si agréable, après le lui avoir entendu dire plus de cinq cents fois, de le lui faire répéter encore.

– En supposant que je n’eusse pas d’explications à vous donner, dit-elle, ne consentiriez-vous pas à ne pas nous suivre, rien que pour me plaire ?

– Je suis prêt à tout pour vous plaire !

– M’aimez-vous réellement autant que vous le dites ?

Ils étaient encore dans la cour des écuries et n’avaient pour témoins que les chiens toujours hurlants. Arnold répondit sans parler, ce qui est le langage le plus en faveur après tout, entre les hommes et les femmes, dans toute l’étendue du monde.

– Je manque à mon devoir, dit Blanche, d’un ton repentant. Mais, Arnold, je suis si tourmentée, si malheureuse ! Et ce m’est une si grande consolation de savoir que vous aussi, vous ne m’abandonnez pas.

Après cette préface, elle lui dit ce qui lui était arrivé dans la bibliothèque.

Blanche se faisait une juste idée de la bonne volonté de son ami à sympathiser avec elle ; son espérance fut dépassée par l’effet que son récit produisait sur Arnold.

Il n’était pas seulement surpris et affligé pour elle. Son visage montrait clairement qu’il partageait réellement sa peine.

Jamais il ne s’était élevé aussi haut dans l’opinion de Blanche qu’en ce moment.

– Que faut-il faire ? demanda-t-il. Comment sir Patrick se propose-t-il de retrouver miss Sylvestre ?

Blanche répéta les instructions de sir Patrick relativement au croisement des deux routes et insista comme lui sur la nécessité de poursuivre cette investigation dans le plus grand secret.

Arnold, soulagé de la crainte d’être envoyé à Craig Fernie, se chargea de faire ce qu’on lui demandait et promit de garder le secret vis-à-vis de tout le monde.

Ils revinrent à la maison et reçurent un accueil glacial de lady Lundie. Sa Seigneurie répéta, au profit de Blanche, son observation sur Windygates changé en pénitencier. Elle reçut la requête d’Arnold pour être dispensé d’aller visiter le vieux château dans des termes tout juste polis.

– Comment donc, mais allez faire votre promenade. Vous rencontrerez peut-être votre ami Mr Delamayn, qui paraît avoir une si grande passion pour la marche, qu’il n’a même pas pu attendre que le lunch fût terminé. Quant à sir Patrick, oh ! sir Patrick, il a emprunté le poney-chaise et il est parti pour une excursion solitaire. Dieu m’est témoin que je n’avais pas l’intention de l’offenser quand je lui ai offert une tranche de mon pauvre gâteau. Je ne veux offenser personne. Disposez de votre après-midi, Blanche, sans la moindre considération pour moi. Personne ne semble disposé à visiter les ruines, les restes les plus intéressants des temps féodaux qui soient dans le comté de Perth. C’est sans importance, Mr Brinkworth. Oh ! mon Dieu, c’est sans importance. Je ne puis forcer mes hôtes à éprouver quelque curiosité pour les antiquités de l’Écosse. Non, non ma chère Blanche, ce ne sera pas la première ni la dernière fois, que je serai allée me promener seule. « Mon esprit est pour moi un royaume », comme dit un poète.

C’est ainsi que lady Lundie affirma son importance méconnue et revendiqua ses droits au respect universel, jusqu’au moment où le médecin, son hôte, lui vint en aide et lissa les plumes hérissées de la fière hôtesse.

Le chirurgien, qui intérieurement détestait les ruines, déclara qu’il voulait aller les visiter. Blanche demanda à être de la partie…

Smith et Jones, profondément intéressés par les antiquités féodales, déclarèrent qu’ils monteraient plutôt derrière la voiture que de manquer un régal si inespéré. Un, Deux et Trois s’offrirent pour monter à cheval et servir d’escorte.

Le fameux sourire de lady Lundie, garanti comme pouvant demeurer des heures entières sur son visage sans la plus légère altération, apparut de nouveau.

Elle donna ses ordres avec la plus charmante amabilité.

– Nous prendrons le Guide du voyageur en Écosse, dit Sa Seigneurie, attentive à ces mesquines économies qu’on ne rencontre que chez les personnes très riches, de cette façon nous épargnerons un shilling à donner à l’homme qui montre les ruines.

Sur ce, elle monta à son appartement pour apporter de légères modifications à sa toilette et vit dans la glace, devant elle, une femme parfaitement vertueuse, parfaitement attrayante, en tous points accomplie, coiffée d’un chapeau nouvellement arrivé de France.

Sur un signe de Blanche, Arnold s’éclipsa pour gagner son poste d’observation et surveiller, au croisement des routes, celle qui conduisait à la station du chemin de fer.

Un large espace couvert de bruyères s’étendait sur un des côtés de la route, et le mur de pierre et la porte d’une ferme de l’autre. Arnold s’étendit sur la bruyère, alluma un cigare et chercha à s’expliquer le mystère de l’apparition d’Anne à Windygates et de sa fuite si brusque. Il avait interprété l’absence de son ami exactement comme celui-ci l’avait prévu. La seule idée qui pouvait lui venir, c’est que Geoffrey était parti pour un rendez-vous secret donné par Anne.

L’apparition de miss Sylvestre à Windygates, seule, et son désir ardent de connaître les noms des hôtes de la maison semblait, dans ces circonstances, de nature à lui faire croire que par un hasard malheureux ils s’étaient croisés sans se voir sur la route.

Mais quelle pouvait être la cause de cette nouvelle fuite ? Connaissait-elle un autre lieu où elle pouvait rencontrer Geoffrey ? Était-elle retournée à l’auberge, ou avait-elle agi sous l’influence d’un soudain accès de désespoir ?

Telles étaient les questions qu’il était naturellement impossible à Arnold de résoudre. Il n’avait pas autre chose à faire qu’à attendre l’occasion d’apprendre à Geoffrey lui-même ce qui était arrivé.

Au bout d’une demi-heure, Arnold entendit, pour la première fois, le bruit d’une voiture quelconque qui approchait, et ce bruit attira son attention. Il se leva vivement et aperçut le poney-chaise sur la route qui venait de la station.

Cette fois, sir Patrick conduisait ; Duncan n’était plus avec lui. En apercevant Arnold, le baronnet arrêta la voiture.

– Bien ! bien ! dit le vieux gentleman, vous avez été mis au courant de tout, je le vois ! Vous comprenez que ceci est un secret pour tout le monde jusqu’à nouvel ordre. Très bien ! Est-il arrivé quelque chose depuis que vous êtes ici ?

– Rien ! Avez-vous fait quelque découverte, sir Patrick ?

– Aucune, je suis arrivé à la station avant le passage du train. Nulle trace de miss Sylvestre. J’ai laissé Duncan en faction avec l’ordre de ne pas bouger jusqu’après le passage du dernier train du soir.

– Je ne pense pas qu’elle paraisse à la station, dit Arnold. Je suppose qu’elle est retournée à Craig Fernie.

– C’est tout à fait possible. Je suis maintenant en route pour me rendre à Craig Fernie et m’informer d’elle. Je ne sais combien de temps cela me retiendra ni où cela pourra me conduire. Si vous voyez Blanche avant moi, dites-lui que j’ai donné mes instructions au chef de la station pour qu’il me fasse savoir si miss Sylvestre prend le chemin de fer, pour quel endroit elle aura pris sa place. Grâce à cet arrangement, nous n’aurons pas à attendre que Duncan nous envoie un télégramme nous annonçant qu’il l’a vue arriver à sa destination. Vous savez ce que vous avez à faire ici.

– Blanche m’a tout expliqué.

– Ne bougez pas de votre poste et faites bon usage de vos yeux. Vous devez en avoir pris l’habitude, quand vous étiez en mer. Il n’est pas bien pénible de passer quelques heures dans cette délicieuse atmosphère d’été. Je vois que vous avez contracté la vilaine habitude moderne de fumer. Ce sera sans doute une occupation suffisante pour vous distraire. Surveillez les routes, et si miss Sylvestre passe devant vous, n’essayez pas de l’arrêter, vous ne le pourriez pas. Parlez-lui, en toute innocence d’esprit, pour avoir le temps de remarquer le visage de l’homme qui la conduit et de lire le nom, s’il y en a un, sur la voiture. Faites cela, et vous en aurez fait assez !… Pouah ! comme ce cigare empoisonne l’air ! Quel estomac vous aurez quand vous serez arrivé à mon âge !

– Je n’aurai pas à me plaindre, sir Patrick, si je puis, comme vous, prendre ma part d’un bon dîner.

– Cela me rappelle une chose ! J’ai rencontré une personne de connaissance à la station. Hester Dethridge a quitté sa place et est partie par le train de Londres. Nous pourrons être nourris à Windygates, mais c’en est fait, nous ne dînerons plus. Il y a eu, cette fois, querelle décisive entre la maîtresse et la cuisinière. J’ai donné mon adresse à Londres à Hester, et je lui ai dit de me prévenir avant de se décider pour une autre place. Une femme qui ne parle pas et qui fait bien la cuisine !… C’est l’absolue perfection. Un tel trésor ne sortira pas de la famille. Avez-vous remarqué la sauce à la Béchamel, au lunch ? Pouah !… Un jeune homme qui fume des cigares ne doit pas savoir discerner une sauce à la Béchamel d’avec du beurre frais. Adieu !… adieu !…

Il secoua les rênes et partit pour Craig Fernie. À considérer les années, les deux poneys n’avaient pas vingt ans et leur conducteur en avait soixante-dix. À considérer la vivacité de la cervelle, les trois êtres les plus jeunes de l’Écosse se trouvaient réunis, les uns traînant l’autre.

Une heure s’écoula lentement, et rien d’intéressant ne passa devant Arnold, à l’embranchement des routes : quelques rares piétons, une lourde charrette et une carriole conduite par une vieille femme.

Il se leva une seconde fois de son lit de fougère, fatigué de son inaction, et résolut de se promener de long en large, sans perdre de vue son poste d’observation. Au second tour, quand son visage se trouvait tourné du côté du vaste terrain sur lequel croissait la fougère, il remarqua un autre voyageur à pied.

Un homme, selon toute apparence, et à une distance fort éloignée.

Quel était cet homme ?

Il fit quelques pas en avant, l’étranger avançait de son côté, si rapidement qu’en un instant Arnold put parfaitement distinguer que c’était un homme. Quelques minutes de plus, et Arnold crut le reconnaître, quelques secondes encore et il en fut tout à fait sûr.

Il n’y avait pas à se méprendre sur la vigueur et la grâce de ce voyageur, et sur la vitesse avec laquelle il franchissait l’espace.

C’était le héros de la course annoncée. C’était Geoffrey revenant à Windygates. Arnold se précipita au-devant de lui, Geoffrey s’arrêta, s’appuyant sur sa canne et laissa approcher son ami.

– Avez-vous su ce qui est arrivé à la maison ? demanda Arnold.

Il retint instinctivement la seconde question qu’il se disposait à lui poser. Il y avait sur la physionomie de Geoffrey une expression de défi qu’Arnold ne parvenait pas à s’expliquer.

Geoffrey avait bien l’air d’un homme disposé à attendre de pied ferme tout ce qui pouvait arriver et à contredire quiconque lui adresserait la parole.

– Quelque chose vous a contrarié ? dit Arnold.

– Qu’est-il survenu à la maison ? répliqua Geoffrey à haute voix et sur le ton le plus dur.

– Miss Sylvestre est venue.

– Qui l’a vue ?

– Personne d’autre que Blanche.

– Eh bien ?

– Eh bien ! elle était affreusement faible et malade… si malade qu’elle s’est évanouie dans la bibliothèque, la pauvre créature ! Blanche l’a fait revenir.

– Et puis après ?

– Nous étions tous au lunch. Blanche a quitté la bibliothèque pour dire un mot en particulier à son oncle. Quand elle est revenue, miss Sylvestre était partie. On ne sait ce qu’elle est devenue.

– Cela a fait un esclandre dans la maison ?

– Personne dans la maison ne sait ce qui s’est passé, vous dis-je, excepté Blanche…

– Et vous… Combien d’autres encore ?

– Sir Patrick.

– Personne d’autre ?

Arnold se rappela sa promesse de garder le secret sur les recherches convenues. Les manières de Geoffrey le rendirent, sans qu’il en eût conscience, plus disposé à le comprendre dans l’exclusion générale.

– Personne d’autre, répondit-il.

Geoffrey enfonça profondément le bout de sa canne dans la terre molle et sablonneuse. Il considéra cette canne, puis la tira de terre, et regarda fixement Arnold :

– Au revoir ! dit-il.

Et il reprit sa course solitaire.

Arnold le suivit et l’arrêta. Pendant un moment les deux hommes se regardèrent sans dire un mot ni l’un ni l’autre. Arnold pourtant parla le premier.

– Vous n’êtes pas dans votre état ordinaire, Geoffrey. Qu’est-ce qui vous a mis ainsi hors de vous ? Vous et miss Sylvestre, vous êtes-vous croisés ? N’avez-vous pu vous rencontrer ?

Geoffrey garda le silence.

– Avez-vous vu miss Sylvestre depuis qu’elle a quitté Windygates ?

Pas de réponse.

– Savez-vous où est miss Sylvestre à présent ?

Toujours pas de réponse : toujours le même mutisme et le même air insolent et provocateur. Le visage d’Arnold s’assombrit.

– Pourquoi ne me répondez-vous pas ? demanda-t-il.

– Parce que j’ai assez de tout cela.

– Assez de quoi ?

– Assez d’être ennuyé au sujet de miss Sylvestre. Miss Sylvestre est mon affaire et non la vôtre.

– Doucement, Geoffrey ! N’oubliez pas que j’ai été mêlé à cette affaire, et sans le chercher.

– Il n’y a pas à craindre que je l’oublie ; vous me le jetez au nez assez souvent.

– Je vous le jette au nez ?

– Oui. Suis-je condamné à entendre toujours parler de la dernière obligation que je vous ai ? Le diable emporte l’obligation ! Je suis fatigué qu’on me la reproche.

Il y avait chez Arnold une fière énergie qui se montrait rarement à la surface, grâce à sa simplicité et à sa bonne humeur ordinaire, mais qui, une fois éveillée, ne se calmait pas aisément.

– Quand vous serez dans votre bon sens, dit-il, je me rappellerai les anciens temps et je recevrai vos excuses. Jusqu’à ce que vous soyez revenu à la raison, continuez seul votre chemin : je n’ai rien de plus à vous dire.

Geoffrey serra les dents et avança d’un pas. Les yeux d’Arnold rencontrèrent les siens, et son regard ferme et résolu annonçait que, quoique le plus faible des deux, il accepterait la querelle si Geoffrey osait la pousser plus avant.

La seule vertu humaine que Geoffrey respectât et comprît, c’était le courage. Et il avait là devant lui l’indéniable courage d’un homme.

Cet être endurci fut touché au seul endroit qu’il eût de sensible. Il se retourna et reprit sa route en silence.

Laissé à lui-même, Arnold laissa tomber sa tête sur sa poitrine. L’ami qui lui avait sauvé la vie, le seul ami qu’il possédait, l’ami qui s’associait aux heureux souvenirs des anciens jours, l’avait grossièrement insulté, et l’avait quitté d’un air délibéré sans la plus légère expression de regret.

La nature d’Arnold, affectueuse, simple, loyale, fidèle, était blessée au vif. Geoffrey, qui s’éloignait rapidement, disparut bientôt à sa vue.

Arnold porta la main à ses yeux, avec un sentiment de honte enfantine, pour cacher des larmes qui honoraient, après tout, l’homme qui les versait.

Il luttait encore contre l’émotion qui l’avait vaincu, quand une nouveauté survint à l’endroit où les routes se croisaient.

Les quatre routes se dirigeaient à peu près vers les quatre points cardinaux. Arnold était maintenant sur celle de l’est, car il s’était avancé dans cette direction pour aller au-devant de Geoffrey, à 200 ou 300 pas du mur de clôture de la ferme où il avait établi son poste d’observation.

La route de l’ouest, tournant derrière la ferme, conduisait à la ville où se trouvait le marché le plus proche. La route du sud était celle qui menait à la station, la route du nord ramenait à Windygates.

Geoffrey n’était encore guère qu’à 500 pas du tournant de la route qu’il devait prendre pour revenir à Windygates. Les larmes obscurcissaient encore les yeux d’Arnold. La porte de la ferme s’ouvrit.

Une petite voiture à quatre roues sortit, conduite par un homme, une femme assise près de lui.

La femme, c’était Anne Sylvestre, et l’homme, le fermier.

Au lieu de prendre la route conduisant à la station, la voiture prit celle qui tournait autour de la ferme. Dans cette direction, les personnes qui étaient dans la voiture tournaient nécessairement le dos à Geoffrey. Celui-ci regarda de loin la petite voiture et puis tourna par la route du nord pour regagner Windygates.

Arnold avait repris assez de calme pour bien observer ce qui allait se passer ; mais il ne pouvait voir cette carriole, que lui cachait le mur de la ferme. Fidèle à son engagement, il retourna à son poste, devant le mur de clôture de la ferme. La voiture n’était plus qu’un point noir à l’horizon ; une minute après, ce point noir était hors de vue.

Ainsi, pour se servir de l’expression de sir Patrick, la femme avait surmonté des difficultés qui auraient arrêté un homme.

Ainsi, dans sa douloureuse position, Anne Sylvestre avait gagné la sympathie du fermier, qui lui avait donné place auprès de lui dans la voiture qui le conduisait au marché de la ville voisine.

Ainsi, elle avait échappé, d’un cheveu, au triple risque qu’elle courait d’être rencontrée par Geoffrey revenant à Windygates, par Arnold à son poste et par le serviteur qui attendait son arrivée à la station.

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