61 LES MOYENS

L’aube d’un jour nouveau arriva ; le soleil se levait, la maison s’éveilla.

À l’intérieur comme à l’extérieur de la chambre nouvellement occupée par Anne, rien n’était arrivé.

À l’heure fixée pour quitter le cottage et partir pour Holchester House, Hester et Geoffrey étaient seuls dans la chambre où Anne avait passé la nuit.

– Elle est habillée et m’attend dans le jardin sur le devant de la maison, dit Geoffrey. Vous avez désiré me voir seul, de quoi s’agit-il ?

Hester montra le lit.

– Vous avez besoin que le lit soit éloigné du mur ?

Hester approuva de la tête.

Ils éloignèrent le lit de la cloison de quelques pieds.

Après un temps de silence, Geoffrey reprit la parole.

– Il faut que cela soit fait cette nuit, dit-il. Ses amis peuvent intervenir. Votre servante reviendrait. Il faut que tout soit fini cette nuit.

Hester inclina lentement la tête.

– Combien de temps dois-je vous laisser seule à la maison ?

Elle montra trois doigts de sa main.

– Voulez-vous dire qu’il vous faut trois heures ?

Elle inclina la tête.

– Tout sera-t-il fait dans ce temps ?

Elle fit un nouveau signe affirmatif.

Jusqu’alors elle n’avait pas un seul instant levé les yeux sur lui. Sa façon de l’écouter quand il parlait, ses moindres mouvements, tout en elle exprimait la même soumission passive et la même horreur.

Il avait jusqu’à présent supporté cela en silence ; au moment de quitter la chambre, la contrainte qu’il s’imposait lui échappa.

– Pourquoi diable ne me regardez-vous pas ? demanda-t-il.

Elle laissa passer cette question sans le moindre signe qu’elle l’eût entendue.

Il la répéta avec colère.

Elle écrivit sur son ardoise et la lui tendit, toujours sans lever les yeux sur son visage.

– Mais je n’ignore pas que vous pouvez parler. Je sais tout. De quelle nécessité est-il de faire la bête avec moi ?

Elle persista à tenir son ardoise devant lui. Il y lut ces mots :

« Je suis toujours muette et aveugle pour vous. Souffrez qu’il en soit ainsi. »

– Que je souffre qu’il en soit ainsi ! répéta-t-il. Il est bien tard pour montrer des scrupules, après ce que vous avez fait. Voulez-vous, oui ou non, rentrer en possession de votre confession ?

À cette allusion, elle releva la tête ; ses joues livides se colorèrent légèrement.

Le seul intérêt qui restait à cette femme dans la vie était celui de recouvrer le manuscrit dérobé.

Un appel fait à cet intérêt était le seul auquel son intelligence engourdie pût répondre.

– Rappelez-vous notre marché, continua Geoffrey. Je me le rappellerai, moi, pour ce qui me concerne. Vous savez en quoi il consiste. J’ai lu votre confession, mais je n’y ai pas trouvé tout ce dont j’avais besoin… Vous êtes muette, vous ne pouvez me le dire. Il faut que vous fassiez à ce mur ce que vous avez fait à celui de l’autre maison. Vous ne courez aucun risque. Pas une âme ne peut vous voir. La maison vous appartient. Quand je reviendrai, que je trouve ce mur comme était l’autre mur, à l’aube du jour, quand vous attendiez, le torchon mouillé à la main, que l’horloge sonnât le premier coup de l’heure. Que je trouve cela, et demain votre confession vous sera rendue.

L’énergie, éteinte chez cette femme, se réveilla.

Elle saisit son ardoise, écrivit dessus rapidement et la tint avec ses deux mains devant les yeux de Geoffrey : il y lut ces mots :

« Je ne veux pas attendre ; je veux l’avoir ce soir. »

– Pensez-vous que j’aie gardé votre confession sur moi ? dit Geoffrey. Je ne l’ai même pas gardée à la maison.

Elle chancela et leva les yeux sur lui pour la première fois.

– Ne vous alarmez pas, poursuivit-il ; elle est dans un paquet scellé portant mon cachet et confié à la garde de mes banquiers. Je l’ai mise moi-même à la poste. Ne vous attachez pas à une bagatelle, Mrs Dethridge. Si je l’avais gardé sous clef dans la maison, vous auriez forcé la serrure derrière mon dos. Si je l’avais conservée sur moi, j’aurais pu avoir, moi aussi, le torchon mouillé sur la face à l’aube du jour ! Mes banquiers vous rendront la confession comme ils l’ont reçue de moi, sur un ordre signé de ma main. Faites ce que vous avez dit, et vous aurez l’ordre ce soir.

Elle passa son tablier sur son visage et poussa un long soupir de soulagement.

Geoffrey se dirigea vers la porte.

– Je serai de retour à 6 heures du soir, dit-il. Trouverai-je tout fait ?

Elle inclina la tête.

Sa première condition acceptée, il passa à la seconde.

– Quand le moment opportun s’offrira, reprit-il, je monterai à ma chambre. Je tirerai d’abord la sonnette de la salle à manger. Vous monterez avant moi quand vous l’entendrez et vous me montrerez ce que vous avez fait pendant que vous étiez seule à la maison.

Elle fit encore un murmure d’adhésion.

Au même moment la porte de l’allée s’ouvrit et se referma.

Geoffrey descendit à l’instant.

Il était possible qu’Anne eût oublié quelque chose, et il était nécessaire de l’empêcher de remonter à sa chambre.

Ils se rencontrèrent dans l’allée.

– Vous êtes lasse d’attendre au jardin ? demanda-t-il aussitôt.

Elle montra la salle à manger.

– Le postier m’a remis une lettre pour vous à travers le guichet de la porte, répondit-elle ; je l’ai mise ici sur la table.

Il entra.

L’écriture de l’adresse était celle de Mrs Glenarm.

Il la mit dans sa poche sans la lire et revint près d’Anne.

– Dépêchez-vous, dit-il, nous allons manquer le train.

Ils partirent pour leur visite à Holchester House.

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