» Tous mes parents me tournèrent le dos ; aucun d’eux n’assista à mon mariage.
» Mon frère Reuben, en particulier, qui menait tous les autres, déclara que toutes relations étaient rompues avec moi à partir de ce jour.
» Mr Bapchild en fut fort ému : il versa des larmes et dit qu’il prierait pour moi.
» Je fus mariée à Londres par un pasteur qui m’était étranger, et nous nous établîmes dans cette ville avec un bel avenir devant nous.
» J’avais une petite fortune personnelle : ma part de l’argent laissé pour moi et pour mes sœurs par notre tante Hester, dont je porte le nom.
» Cette part consistait en une somme de 300 livres.
» Près de 100 livres furent employées à l’acquisition du mobilier et de la petite maison dans laquelle nous allions vivre.
» Le reste, je le remis à mon mari pour le déposer à la banque jusqu’au moment où il en aurait besoin pour s’établir à son compte.
» Pendant trois mois, plus ou moins, tout alla assez bien, sauf sur un point.
» Mon mari ne faisait aucune démarche pour s’établir et entrer dans les affaires.
» Une ou deux fois il se fâcha parce que je lui disais que nous avions tort de dépenser l’argent déposé à la banque et dont nous pourrions avoir besoin plus tard au lieu de chercher à en gagner d’autre.
» Le bon Mr Bapchild, se trouvant en ce moment à Londres, resta un dimanche et vint dîner avec nous dans l’intervalle des services.
» Il avait essayé de faire la paix avec mes parents, mais il n’avait pas réussi.
» Sur ma demande, il parla à mon mari de la nécessité de faire quelque chose ; mon mari prit mal ses avis.
» Pour la première fois, je le vis s’emporter sérieusement.
» Le bon Mr Bapchild ne dit plus rien. Il paraissait alarmé de ce qui était arrivé et nous quitta de bonne heure.
» Peu de temps après, mon mari sortit.
» Je tins le thé prêt pour lui ; il ne revint pas.
» Je préparai son souper, il ne revint pas davantage.
» Il était plus de minuit quand je le revis.
» Je fus surprise de l’état dans lequel il se trouvait en rentrant à la maison : il n’avait ni la même voix ni le même visage.
» Il semblait ne pas me connaître ; il divaguait et il tomba comme une masse inerte sur le lit.
» Je courus chercher un médecin.
» Le docteur le souleva pour l’exposer à la lumière, le regarda, flaira son haleine et le reposa dans le lit.
» Qu’a-t-il, monsieur ? dis-je.
» Ne le savez-vous pas ?
» Non, monsieur.
» Quelle sorte de femme êtes-vous, pour ne pas reconnaître un homme ivre ?
» Sur ces mots, il partit et me laissa près du lit toute tremblante de la tête aux pieds.
» Voici comment je découvris, pour la première fois, que j’étais la femme d’un ivrogne.