IV

» J’ai omis de dire quelque chose sur la famille de mon mari.

» Dans le temps où nous nous promenions ensemble, il m’apprit qu’il était orphelin, qu’il avait un oncle et une tante au Canada et un frère établi en Écosse.

» Avant que nous fussions mariés, il me communiqua une lettre de son frère.

» Celui-ci exprimait son chagrin de ne pouvoir venir en Angleterre pour assister à notre mariage et nous souhaiter joie, bonheur, et santé.

» Le bon Mr Bapchild, auquel j’écrivis en secret ce qui était arrivé, me répondit pour me conseiller d’attendre un peu et de voir ce que ferait mon mari par la suite.

» Je n’eus pas à attendre longtemps.

» Il était pris de boisson le lendemain et le jour suivant.

» En apprenant cela, Mr Bapchild me demanda de lui envoyer la lettre du frère de mon mari.

» Il me rappela quelques-unes des histoires racontées sur mon mari et auxquelles j’avais refusé de croire avant mon mariage, et ajouta qu’il serait peut-être bon de prendre des informations.

» En voici le résultat.

» Le frère de mon mari était à cette époque placé secrètement et sur sa demande entre les mains d’un médecin qui s’était chargé de le faire rompre avec ses habitudes d’ivrognerie.

» “La passion des liqueurs fortes, écrivait le docteur, est dans la famille. Ils restent sobres pendant des mois, ne prennent rien de plus fort que du thé. Puis l’accès s’empare d’eux et ils boivent, boivent comme des fous et deviennent de malheureux abandonnés.”

» Voilà le mari que je m’étais donné.

» J’avais offensé mes parents, je me les étais aliénés pour lui.

» Triste perspective pour une femme !

» Avant une année, l’argent déposé à la banque était dissipé et mon mari était sans emploi.

» Il trouvait facilement de l’ouvrage, étant ouvrier de premier ordre quand il était sobre, mais il se faisait congédier dès que sa passion pour la boisson le reprenait.

» J’étais désespérée de quitter notre petite maison si bien tenue et de vendre mon joli mobilier, et je lui proposai de chercher de l’emploi, pendant le jour, comme cuisinière et de laisser aller les choses pendant qu’il cherchait à retrouver de l’ouvrage.

» Il était sobre et repentant à ce moment-là, il accepta ma proposition : bien plus, il prit l’engagement de devenir un nouvel homme.

» Tout alla donc assez bien pendant quelque temps.

» Nous n’avions à penser qu’à nous.

» Je n’avais pas d’enfant et peu de chance d’en avoir jamais.

» Différente de beaucoup de femmes, je regardais cela comme une chose heureuse.

» Dans ma situation, dès que je la connus, devenir mère n’eût été qu’une aggravation de ma cruelle destinée.

» Le genre d’emploi que je cherchais ne pouvait se trouver en un jour.

» Le bon Mr Bapchild me donna un certificat, et notre propriétaire, un digne homme appartenant, j’ai le regret de le dire, à l’Église romaine, parla pour moi à l’intendant d’un club.

» Néanmoins, il fallut du temps pour persuader les gens que j’étais une aussi parfaite cuisinière que je le prétendais.

» Près d’une quinzaine avait passé avant que j’eusse rien obtenu.

» Enfin j’étais placée.

» Je revenais à la maison, joyeuse, autant que la joie a jamais été dans ma nature, pour annoncer ce qui était arrivé.

» Je trouvai des commissionnaires en train d’emporter le mobilier que j’avais payé de mon argent, pour le vendre aux enchères publiques.

» Je leur demandai comment ils osaient y toucher sans ma permission.

» Ils me répondirent, assez poliment, je l’avoue, qu’ils agissaient d’après les ordres de mon mari, et continuèrent sous mes yeux à charger leur charrette.

» Je montai au premier étage et je trouvai mon mari sur le palier.

» Il était encore pris de boisson.

» Inutile de dire ce qui se passa entre nous.

» Je mentionnerai seulement que ce fut la première fois qu’il leva la main sur moi et me frappa.

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