» Douée d’une nature énergique, j’étais résolue à ne pas souffrir pareille chose.
» Je courus aussitôt au bureau de police.
» Mon argent avait non seulement payé le mobilier, mais il avait subvenu aux charges de la maison, et servi à payer les impôts demandés par la reine et par le Parlement.
» Je me rendis donc auprès du magistrat pour voir ce que la reine et le Parlement, en retour de l’acquittement de ces impôts, pourraient faire pour moi.
» Le mobilier était-il en votre nom ? dit-il, quand je lui eus exposé ce qui était arrivé.
» Je ne compris pas ce qu’il voulait dire.
» Il se tourna vers une personne qui était assise auprès de lui.
» – C’est un cas cruel, fit-il. Les pauvres gens de cette condition ne savent même pas ce que c’est que les stipulations d’un contrat de mariage et, le sauraient-ils, combien peu seraient en état de payer les honoraires de l’homme de loi !
» Sur ces mots, il se retourna vers moi.
» – Votre cas est un cas ordinaire, dit-il. Dans l’état présent de la législation, je ne puis rien faire pour vous.
» Il m’était impossible de croire pareille chose, ordinaire ou non, je lui soumis de nouveau mon affaire.
» J’ai acheté le mobilier de mes deniers, monsieur, dis-je. Il est à moi, je l’ai acquis honnêtement ; je puis le prouver par des factures acquittées. On me l’enlève de force, pour le vendre contre ma volonté. Ne me dites pas que c’est la loi. Nous sommes en pays chrétien. Cela ne peut pas être.
» – Ma bonne créature, dit-il, vous êtes en puissance de mari. La loi ne permet pas à une femme mariée de dire que rien lui appartient, si elle n’a pas, avec l’aide d’un homme de loi, passé un contrat à cet effet avec son mari, avant de l’épouser. Vous n’avez pas fait de contrat. Votre mari a le droit de vendre le mobilier si cela lui convient. J’en suis affligé pour vous, mais je ne puis le lui défendre.
» J’étais opiniâtre dans mes idées.
» – Veuillez me répondre à ceci, monsieur, m’écriai-je. Il m’a été dit par des gens plus savants que moi que nous devions acquitter les impôts pour soutenir la reine et le Parlement, et qu’en retour, la reine et le Parlement faisaient des lois pour nous protéger. J’ai payé mes impôts. Pourquoi n’existe-t-il pas de loi qui me protège ?
» – Je ne puis pas entrer dans cet ordre d’idées, répondit-il. Je dois appliquer la loi telle que je la trouve et vous devez la subir. Je vois une marque sur ce côté de votre visage : votre mari vous aurait-il battue ? S’il vous a frappée, appelez-le ici. Je puis le punir pour ce fait.
» – Comment vous pouvez le punir ? dis-je.
» – Je puis le condamner à une amende, ou l’envoyer en prison.
» – L’amende, il peut la payer avec le produit de la vente de mes meubles ; quant à la prison, pendant qu’il sera renfermé, que deviendrai-je avec mon argent dissipé par lui et dépouillée de tout ce que je possédais ? Lorsqu’il sortira de prison, que deviendrai-je encore avec un mari que j’aurai fait punir et qui saura que c’est moi qui ai obtenu cette punition ? Le mal est assez grand tel qu’il est. Il n’y a pas que mon visage qui soit meurtri. Je vous souhaite le bonjour.