LES MÊMES, MORIARTY, ORLEBAR
MORIARTY, entrant. – Ah ! Vous voilà, Bassik ?
BASSIK. – Oui, monsieur. J'étais venu tout examiner selon vos ordres.
MORIARTY. – Fletcher est là aussi ?
FLETCHER. – De ce côté, monsieur.
MORIARTY. – Vous avez vos hommes ?
FLETCHER. – Tous au complet, et bien stylés.
MORIARTY. – Avez-vous pensé à faire une provision de gaz, si par accident la ville arrêtait la distribution.
JARVIS. – Le réservoir est plein, monsieur.
MORIARTY, montrant la porte de droite. – Qu'est-ce que cette porte, Bassik ?
BASSIK. – C'est une armoire où nous serrons quelquefois nos outils. Il ouvre la porte du placard que Fletcher éclaire avec sa lanterne.
MORIARTY. – Elle n'a aucune issue ?
BASSIK. – Aucune ! C'est un placard dans le mur. Il referme la porte.
MORIARTY. – Cette fenêtre !
BASSIK. – Condamnée depuis longtemps.
MORIARTY. – On peut casser les vitres !
BASSIK. – Celui qui s'en aviserait se trouverait en face d'une demi-douzaine de barreaux qu'il aurait du mal à briser.
FLETCHER. – L'homme sera ligoté avant qu'il ait le temps de faire du dégât.
MORIARTY. – Vous êtes sûr qu'il n'y a pas de fentes, pas d'interstices par où l'air puisse passer ?
BASSIK. – Pas un trou d'aiguille, monsieur ! La moindre crevasse est bouchée hermétiquement.
MORIARTY. – Et cette porte ?
BASSIK. – C'est du cœur de chêne, et double en épaisseur.
MORIARTY. – C'est par là que sortent les hommes pour aller ouvrir le gaz ?
BASSIK. – Oui, monsieur.
MORIARTY. – Et il est impossible qu'on puisse les suivre ?
BASSIK. – Impossible ! Vous avez vu les verrous au dehors, et les deux barres transversales pour plus de sûreté.
FITTON, montrant une des énormes poutres verticales qui s'élèvent au milieu du théâtre et supportent le plafond. – Nous attachons d'abord l'homme à cette poutre.
MORIARTY. – Fletcher, faites devant moi la manœuvre des verrous.
FLETCHER, se levant. – Voilà, monsieur. Il sort par la porte du fond, et immédiatement on entend le fracas des verrous et la pose des barres.
BASSIK. – C'est à peu près le même système que dans votre cabinet de travail, mais renforcé.
MORIARTY. – Oui… Il me semble que tout cela manœuvre comme il convient.
Bruit des verrous et des barres qu'on rouvre. Fletcher rentre.
MORIARTY, allant à lui. – Fletcher, vous vous retirerez dans le corridor avec vos hommes, et vous attendrez que M. Orlebar, il le désigne, ait eu avec la personne qui va venir un entretien, dans lequel il doit régler une affaire personnelle… Que ces messieurs se tiennent cachés, et assez loin pour que Sherlock Holmes ne puisse soupçonner leur présence… À Bassik. Qui conduit la voiture, ce soir ?
BASSIK. – Paddy Plum, monsieur. Je lui ai donné l'ordre de faire un tour d'environ une heure pour que son voyageur ne se doute ni de la direction dans laquelle on le conduit, ni de la distance qu'il parcourt. La voiture arrêtera à la petite porte de l'allée, et Plum montrera le chemin à notre homme jusqu'ici.
MORIARTY. – Les volets de bois du fiacre sont solides ?
BASSIK. – Et fermés à clef.
MORIARTY, regardant la lampe. – Qu'est-ce que c'est que cela ?… Une lampe de sûreté…
BASSIK. – C'est à cause des émanations de gaz qui pourraient rester dans la pièce.
MORIARTY. – Je n'en veux à aucun prix ! Si Sherlock Holmes la voit, il se doutera de quelque chose. Reniflant. Je ne sens d'ailleurs aucune odeur, et vos robinets sont bien fermés… Dites à Séraphin de se procurer une lampe ordinaire… Bassik sort, regardant autour de lui. Apportez cette table-là au milieu.
Fletcher et Jarvis apportent la table au milieu du théâtre.
MORIARTY. – Bien ! … Maintenant, Fletcher, et vous autres, les hommes se rapprochent, rappelez-vous une chose : tout coup de feu est interdit ce soir ! Ne brûlez pas une capsule… On pourrait entendre le bruit en bas, dans l'allée… Faites en sorte de vous emparer du revolver que notre adversaire porte toujours sur lui avant qu'il ait idée de s'en servir… Deux d'entre vous attireront son attention sous quelque prétexte; l'autre se glissera par derrière, et subtilisera l’arme dans sa poche. Tout le reste alors deviendra facile… Vous êtes adroit, Fletcher… Chargez-vous de cette délicate opération.
FLETCHER. – Entendu, monsieur !
Rentre Bassik avec une lampe à huile, une de ces lampes bon marché, cristal opale, abat-jour semblable.
MORIARTY, à Bassik. – À la bonne heure !… Maintenant, vous pouvez éteindre votre lampe…
JARVIS. – Nous en aurons besoin tout à l'heure quand nous aurons soufflé l'autre.
BASSIK. – Mais il ne faut pas qu'on la voie…
MORIARTY. – Alors, ne l'éteignez pas ! Couvrez-la seulement avec quelque chose !
FITTON, à Fletcher. – Tiens ! Il prend la lampe et la met dans une grande caisse dont il applique l'ouverture contre le mur, de façon à cacher toute lumière.
MORIARTY. – Appuyez la caisse au mur pour qu'on ne voie pas lumière !
BASSIK. – Monsieur, il serait imprudent de rester ici davantage… La voiture peut être en avance…
MORIARTY. – Monsieur Orlebar ! Orlebar qui est dans le fond, avec Bribb, descend. Vous avez entendu ma recommandation à ces messieurs… Ils attendront pour agir que vous ayez terminé. ORLEBAR. – J'ai compris.
MORIARTY. – C'est pour vous donner le moyen d'obtenir la somme dont nous avons parlé. Mais tout ce qu'on trouvera sur le cadavre, sera partagé selon nos règles ordinaires.
ORLEBAR. – Je m'arrangerai pour sauvegarder mes intérêts auparavant.
MORIARTY. – Quand vous aurez empoché votre argent, vous n'aurez qu'à donner deux coups du petit sifflet qui pend à votre chaîne… Mes hommes comprendront que c'est leur tour d'entrer en scène. Faisant quelques pas vers la porte. Et maintenant, je vous souhaite bonne chance à tous… À propos, Fletcher, avant de quitter M. Sherlock Holmes, ayez soin de lui présenter mes compliments et mes meilleurs vœux pour le petit voyage qu'il va faire. Il sort avec Bassik.