ORLEBAR, puis ALICE
Orlebar va à la table et arrange la mèche de la lampe. Il prend deux chaises et les places de chaque côté de la table. En faisant ce dernier mouvement, il s'arrête, comme s'il avait entendu un bruit au dehors. Mais il semble se rassurer et continue sa besogne. Il s'assoit sur une des chaises, en réfléchissant, tire de sa poche un cigare, et, en continuant à méditer, le tient un moment à la main sans l'allumer. Puis il va frotter une allumette sur sa boîte… mais se ravise. À ce moment, la porte s'ouvre, Orlebar se lève, et reste stupéfait en voyant entrer Alice Brent.
ORLEBAR. – Vous ? … Qu'est-ce que vous venez faire ici ?
ALICE, sans répondre à la question. – C'est donc vrai ?
ORLEBAR. – Comment avez-vous trouvé le chemin de cette maison ?
ALICE. – Je vous ai suivi dans un cab.
ORLEBAR. – Et vous avez averti la police peut-être ?
ALICE. – Non ! j'avais peur de voir arriver celui que vous attendez. Je le guettais.
ORLEBAR. – Pour le prévenir ?
ALICE. – Pour le prévenir ? Oui !…
ORLEBAR. – Alors, vous avez bien fait de monter.
ALICE. – Je suis montée pour avoir la certitude de…
ORLEBAR. – De quoi ?
ALICE. – Qu'il ne va pas se passer autre chose que ce que je sais…
ORLEBAR. – Vous savez donc qu'il va se passer quelque chose ?… Ainsi, nous continuons à avoir des espions dans la maison !
ALICE. – Je sais que votre projet est de duper, de voler l'homme qui va venir ! S'avançant vers lui. Mais je demande maintenant si vous ne méditez pas autre chose ?
ORLEBAR. – Et que pourriez-vous faire, si c'était vrai, ma belle ?
ALICE. – Vous acheter ! Des hommes comme vous sont toujours à vendre !
ORLEBAR. – Ça dépend du prix. Quel est le vôtre ?
ALICE. – Le paquet de lettres que vous convoitez, le vrai ! Toutes les preuves, tous les documents que vous avez voulu m'arracher, je vous les donne !
ORLEBAR. – Vous les avez sur vous ?
ALICE. – Non, mais en quelques minutes, je peux me les procurer,
ORLEBAR, avec un léger désappointement. – Ah ?… Il va à la table. Et c'est pour M. Sherlock Holmes que vous consentez à un tel sacrifice. Vous le croyez donc votre ami ?
ALICE. – Je n'ai pas pensé à cela. Je ne pense qu'à le sauver, car je devine que vous avez un autre projet.
ORLEBAR, jouant la naïveté. – Un autre projet ?… Lequel ?… Vous voyez bien que je suis seul ici… M. Sherlock Holmes et moi, nous allons tranquillement causer affaires… Quel mauvais dessein aurais-je contre lui ?
ALICE. – Où sont allés les hommes qui étaient avec vous tout à l'heure !
ORLEBAR. – Quels hommes ?
ALICE. – Trois individus de mauvaise mine que j'ai vu entrer par la porte de la rue.
ORLEBAR, négligemment. – Ah ! Je sais de qui vous parlez !… ils sont montés par un autre escalier… Ce sont des locataires qui allaient dans le bâtiment du fond de la cour… Tenez ! Vous pouvez les voir par cette fenêtre !
Elle se dirige rapidement vers la fenêtre. Elle a un mouvement d'hésitation envoyant Orlebar marcher de son côté, mais elle le surmonte vite et jette un regard par la croisée. La saleté des carreaux l'empêche de voir au dehors.
ALICE, se retournant et montrant la porte. – Je voudrais jeter un coup d'œil dans ce corridor, si vous le permettez…
ORLEBAR, d'un ton menaçant. – Ah ! voilà ! c'est que… justement… je ne permets pas !
ALICE. – Vous ne comptez pas me garder ici malgré moi ?
ORLEBAR. – Non ! Non ! Soyez tranquille, je ne vous garderai pas… ici !
ALICE. – Où sont ces hommes ?… car je ne crois pas à votre explication !
ORLEBAR. – Puisque vous tenez à les voir, on va vous faire ce plaisir-là. Il va à la porte et siffle doucement.