WATSON, BRIBB
BRIBB, parlant d'une voix très enrouée, presque inintelligible. – Bonsoir, docteur.
WATSON. – Bonsoir, monsieur. Veuillez vous asseoir. Il désigne le 'fauteuil d'opération.
BRIBB, reculant craintivement et de la même voix enrouée. – Merci, je ne suis pas fatigué. Il s'avance doucement et s'assoit sur une chaise près du bureau.
WATSON. – Qu'est-ce qui vous amène ? D'où souffrez-vous ?
BRIBB. – D'ici, docteur ! Il montre sa gorge. J'ai peur d'avoir pincé un mauvais mal de gorge
WATSON. – Nous allons voir ça.
BRIBB, geignant. – Aïe, aïe, aïe ! Il m'est impossible de rien avaler. J’ai essayé, tout à l'heure, d'un verre de gin, pour cautériser. Eh bien, monsieur, c'est malheureux, il n'a pas pu passer.
Watson se lève, prend quelques instruments et ajuste sur sa tête son réflecteur. Il tient de la main gauche une lampe, et de la droite son abaisse-langue, qu'il trempe dans un verre d'eau avant de s'en servir.
WATSON. – Ayez la complaisance d'ouvrir la bouche aussi grande que vous pourrez.
Bribb ouvre une bouche énorme.
BRIBB. – Comme ça, est-ce assez ?
WATSON, s'apprêtant à placer son instrument sur la langue du patient. – Oui, c'est bien.
Devant l'instrument qu'on veut lui introduire dans la bouche, Bribb a un mouvement de défiance.
BRIBB. – Eh là !…
WATSON. – N'ayez pas peur… Dites… « Ah ! »
BRIBB, d'une voix enrouée. – Ah ! Il place son mouchoir en tampon sur sa bouche comme si l'effort qu'il vient de faire lui causait une vive douleur. Avec frayeur. C'est blanc, n'est-ce pas ?
WATSON. – Non.
BRIBB, avec plus de terreur encore. – Ah ! … c'est rouge alors ?
WATSON. – Non plus.
BRIBB. – Ah ! bah !… De quelle couleur est-ce donc ?
WATSON. – Mais d'une couleur tout à fait normale…
BRIBB. – Diable, c'est plus grave !…
WATSON, surpris. – Pourquoi ?
BRIBB. – Si le mal ne se déclare pas, il sera plus difficile à guérir ! …
WATSON, avec une pointe d'incrédulité dans le ton. – Voyons… d'où soufrez-vous exactement ?
BRIBB, montrant avec son doigt. – D'ici, docteur. Mettant son doigt dans sa bouche. Tenez, là, là, à gauche.
WATSON. – C'est singulier, je ne vois rien…
BRIBB. – Vous ne voyez rien, mais moi, je sens, et je vous supplie de me faire une ordonnance qui me délivre de ma torture.
WATSON. – Ce n'est rien de sérieux… Il est même singulier que votre voix soit affectée à ce point. Enfin, je vais vous préparer un gargarisme… Cela ne peut pas vous faire de mal ! … Asseyez-vous là !
BRIBB. – C'est ça, docteur, un gargarisme, un fort gargarisme…
Watson entre dans sa bibliothèque.
Bribb le guette du coin de l'œil. Quand il est certain d'être bien seul Bribb, tout en ne perdant pas de vue la porte, remonte vers celle du vestibule par laquelle il est entré et l'ouvre doucement. Il remonte ensuite vers la porte gauche qu'il ouvre. À ce moment Watson rentre dans son cabinet, un papier à la main, et voit le jeu de scène de Bribb.
WATSON. – Qu'est-ce que vous regardez là ?
BRIBB. – Rien du tout, docteur !… J'ai senti tout à l'heure un courant d'air qui m'arrivait justement dans la gorge… Alors, j'ai ouvert la porte pour voir d'où il venait…
Watson va à son bureau et, sans mot dire, sonne. John entre.
WATSON. – John, reconduisez monsieur et regardez-le bien… Je n'y suis jamais pour lui, quand il se présentera.
BRIBB. – Mais, docteur, vous ne comprenez pas.
WATSON. – Au contraire, je comprends à merveille.
BRIBB. – Un courant d'air peut-être très mauvais pour ma gorge, dans l'état où elle est…
WATSON, très sec. – Bonsoir, monsieur.
JOHN. – Par ici, s'il vous plaît !
BRIBB. – Vous ne me donnez même pas mon ordonnance…
WATSON. – C'est inutile.
BRIBB, que John a pris par le bras. – En voilà une façon de soigner ses malades… Si vous comptez sur moi pour vous envoyer des clients !
À ce moment, on entend un grand bruit venant de la rue, suivi d'un murmure confus de voix.
WATSON. – Qu'est-ce que c'est que cela, John ?
JOHN. – Je n'en sais rien, monsieur. On dirait un accident.
BRIBB. – J'espère que ce n'est rien de grave… Mon mal me rend si sensible…
À ce moment, la sonnette de la rue retentit violemment et on entend des coups de marteau répétés sur la porte.
JOHN. – On sonne et on frappe en même temps. Ce doit être un blessé pour lequel on réclame vos soins.
WATSON. – Blessé ou non, je ne reçois personne. Regardant sa montre. Je n'ai plus le temps. Il range rapidement ses papiers.
UNE VOIX, au dehors. – Il faut que vous le receviez !
UNE AUTRE VOIX. – Où voulez-vous que nous le portions ?
JOHN, au dehors. – Puisque le docteur ne veut voir personne.
UNE VOIX. – Vous ne pouvez pas laisser ce vieillard blessé dans la rue !…
UNE AUTRE VOIX. – Vous avez une lanterne de médecin à votre porte ! Vous êtes obligé de le recevoir…
JOHN, revenant. – Il n'y a pas moyen de faire entendre raison à tout ce monde, monsieur ! … Ils amènent un vieux prêtre italien, qui a été renversé par une voiture.
BRIBB. – Ah ! le pauvre homme !
On entend le bruit des voix qui se rapprochent.
WATSON, après une hésitation. – Eh bien, faites-le rentrer.
JOHN. – Bien, monsieur. Il sort.
WATSON, désignant la porte de gauche. – Monsieur, ayez la complaisance de passer par ici… la première porte à droite donne sur l'antichambre.
BRIBB. – Mais si je pouvais être de quelque utilité…
WATSON. – Vos nerfs sont trop sensibles, et je vous…
Il est interrompu par l'entrée d'un vieil abbé, cheveux blancs, habillé d'une soutane et d'une douillette, et soutenu d'un côté par John, de l'autre par le cocher du cab. Il boite comme si sa jambe était grièvement endommagée. Ses habits sont couverts de boue, son chapeau écrasé. Bribb s'est retiré sur la droite, derrière le bureau, et examine anxieusement le survenant.