SHERLOCK HOLMES, WATSON
HOLMES. – Comme vous vous en doutez par ce petit incident, Watson, les gredins que je poursuis me serrent de près. Vous voyez quel expédient je suis forcé de recourir pour entrer chez vous sans être reconnu d'eux ! Il se débarrasse de sa soutane et apparaît habillé de ses vêtements ordinaires. C'est qu'il y a déjà pas mal de gibier au tableau !… Quatre hier soir dans cette Chambre du Sommeil… Cinq cet après-midi, auxquels il faut ajouter votre malade de tout à l'heure…
WATSON. – Ainsi, vous pensez que cet homme…
HOLMES. – … Est un espion dépêché ici pour indiquer par quelque signal si je me trouve chez vous… Par malheur, Moriarty nous échappe encore !
WATSON. – Où pensez-vous qu'il se cache ?
HOLMES. – Dans l'endroit où on est toujours le plus en sûreté, au milieu de la rue, guettant l'occasion de supprimer la personnalité gênante.
WATSON, tirant sa montre. – Au fait, vous savez que vous avez à peine cinq minutes…
HOLMES. – Pour quoi faire ?
WATSON. – Avez-vous oublié votre rendez-vous avec le comte Stahlberg et te baron d'Altenheim ?
HOLMES. – C'est ici qu'ils vont venir, si vous le permettez.
WATSON, surpris. – Assurément !… Mais pourquoi pas chez vous ?
HOLMES. – La police, en ce moment, ne les laisserait pas traverser la foule qui entoure ma maison.
WATSON. – La foule ?
HOLMES. – La foule toujours friande du spectacle d'un incendie, de la manœuvre des échelles et de l'intrépidité de nos pompiers.
WATSON. – Que dites-vous ?
HOLMES. – La vérité, mon cher Watson, ces gaillards-là pour me rabattre sur votre demeure, ont mis le feu à ma maison.
WATSON. – Le feu ! … Mais alors vos collections, vos dessins… tout est perdu ?
HOLMES. – Tout est perdu… Au fond, j'en suis presque heureux. J'étais fatigué de tout cela. Je suis las de tout ce qui m'entoure… Mon métier même ne m'intéresse plus, et la dernière aventure de ma carrière va se dérouler ici tout à l'heure.
WATSON, le regardant avec stupeur. – Avouez-le, Holmes… C'est à cause de cette jeune fille, miss Brent, que vous en êtes là !
HOLMES, se tournant vers le docteur. – Watson, elle s'est fiée à moi malgré le danger que je courais… Ils étaient quatre à me traquer… Ils l'ont appelée, lui promettant la vie sauve si elle venait à eux. Elle a refusé… Je lui ai dit : « Ne me quittez pas… » Elle a obéi. Elle s'est blottie contre moi, sa main crispée dans la mienne. Dans un moment elle sera ici, n'est-ce pas ?… Eh bien, je l'espère et je le redoute en même temps.
WATSON. – Mon cher Holmes, j'ai peur que votre désir de gagner la confiance de cette jeune fille ne vous ait entraîné plus loin peut-être qu'il n'aurait fallu.
HOLMES, songeur. – Plus loin… oui, c'est possible.
WATSON. – Mais si vous l'aimez ! … Si elle vous aime ! …
HOLMES, avec violence. – Taisez-vous, Watson, ne prononcez pas ce mot ! Ne me tentez pas… Non ! Si par hasard elle était tentée de m'aimer, ce que je ne veux pas croire, je dois la guérir… Et je la guérirai.
WATSON. – Viendra-t-elle seule ?
HOLMES. – Thérèse l'accompagne… À leur arrivée, faites que miss Brent attende dans ce salon là à côté… C'est possible, n'est-ce pas ?
WATSON. – Certainement.
HOLMES. – Je désire que la porte reste entr'ouverte, de façon à ce qu'elle entende la… comédie que je vais jouer tout à l'heure à ces messieurs.
WATSON. – Comment ?
HOLMES. – J'en suis honteux, Watson… Ah ! si je n'avais pas donné ma parole à ces hommes !…
WATSON. – On a sonné.
HOLMES. – Ce doit être elle… Je monte dans votre chambre mettre un peu de correction dans ma tenue… À tout à l'heure. Il sort par la gauche.