A quoi bon apprendre par cœur les propriétés théoriques du sulfure de baryum ? Qui se rappelle tout ce fatras ?
Il ne faut charger sa mémoire que d’un minimum nécessaire. D’une part, ce qu’il faut savoir dans la vie de relation, pour ne pas paraître ignorant, pour ne pas se nuire par le monde. D’autre part, les connaissances générales qui nous permettront de comprendre une science lorsque nous voudrons ensuite l’approfondir, par goût ou par nécessité.
Ce bagage indispensable, qu’on emporte partout avec soi, dans sa tête, c’est ce que nous appelions la Valise.
Les lourdes malles, les chapelières, tout le confort, le luxe et le superflu, ne font que suivre. Avec la valise, on n’est déplacé nulle part.
Il faut faire de la géographie à « coups de serpe ». Débiter dans le bloc terrestre de gros morceaux dont on saura la place et l’aspect. On étoilera la carte d’Europe de ses grandes villes. Et il suffira de connaître la figure et les noms de cette constellation.
En histoire, il suffit de pouvoir placer les événements dans leur siècle, afin de ne pas commettre une hérésie sensible.
En arithmétique, les quatre règles. Déjà, la racine carrée est un luxe. En géométrie, la notion et le calcul des surfaces et des solides simples.
En chimie, on ne s’embarrassera donc pas de ces réactions, descriptions de chaque corps, qu’on ânonne pour les examens.
On apprendra les généralités, sels, bases, acides, en en signalant le caractère transitoire, en les présentant comme des lois approchées, qui satisfont actuellement l’esprit.
Puis, quelques propriétés, utiles ou curieuses, de certains corps usuels.
En physique, les lois générales, illustrées autant que possible des exemples de la vie, du logis, de la science amusante.
En mythologie, en histoire générale, y compris l’histoire sainte, il faut un bagage mondain : savoir la signification des noms, des légendes qui prêtent aux allusions. Plus tard, si on s’y intéresse, il sera toujours temps de fouiller une époque.
On n’oubliera pas d’emporter dans la valise la liste des locutions vicieuses — comme : « s’en rappeler » — afin de les éviter. Car il y a des gens qui vous jugent sévèrement sur ces fautes légères et l’on se déprécie démesurément à les employer.
La liste également des locutions étrangères, de langues mortes ou vivantes, qui courent dans la conversation et dont l’ignorance est gênante.
Il faudra connaître aussi, afin de ne pas se trouver en état d’infériorité, les types sortis des pièces et des romans et qui continuent de vivre dans la mémoire contemporaine : Giboyer, Mme Marneffe. De même les artistes qui ont créé un genre, au théâtre, et dont le nom est devenu synonyme de ce genre même : une Dugazon.
Comme hommes illustres — noms et œuvres — on fera un triage, en retenant ceux auxquels on fait fréquemment allusion dans la causerie et ceux qui sont dignes de mémoire.
Nous avions composé cinq cents cartes. Au recto, un nom. Au verso, le siècle, la profession, l’œuvre. Et une petite anecdote caractéristique, autant que possible. Le jeu consistait, lisant le recto, à connaître l’invisible verso. Cela s’appelait le Panthéon.
Dans un chapitre spécialement consacré aux principales lacunes de l’instruction officielle, on trouvera l’indication de quelques connaissances utiles à emporter dans « la Valise ».