J’ai dit ce que je pense du lycée. L’idéal serait l’instruction par les parents, au moins jusqu’à la quinzième année. J’entends déjà leurs cris : « Ils n’ont pas le temps ». Ce n’est pas mon avis. Que chacun fasse son examen de conscience. Une demi-heure par jour suffirait largement. Qui ne perd pas une demi-heure ? Les femmes, en courses, en visites, en thés. Les hommes, au café, au jeu, ou chez leurs maîtresses. On peut toujours trouver une demi-heure.
Une autre objection se dresse, assez comique. Un jour, je disais à un de mes confrères, un écrivain très réputé, que j’avais entrepris l’instruction de mon fils. Il m’interrompit, ingénument :
— Mais alors, vous avez dû tout rapprendre ?
Le mot est à double fond. Creusez-le. Vous y trouverez tout le procès de l’instruction actuelle. Car enfin, si nous devons tout rapprendre pour instruire nos enfants, c’est donc que nous avons tout oublié. C’est donc que nos années de lycée ne nous ont servi à rien ?
La preuve qu’on pourrait consacrer beaucoup moins de temps à l’instruction, c’est la somme énorme de connaissances que l’enfant encaisse dans ses toutes premières années. Songez qu’à sa cinquième année, il a tout appris, le nom de tout, la notion de tout, ce que le monde a mis des milliers d’années à savoir.
Pour diminuer le rôle de la mémoire, il faudrait que l’usage soit généralisé des précis, des vademecum, des lexiques, de ce qu’on appelle justement des aide-mémoire. Et qu’il n’y eût pas diminution à s’en servir.
Mais il y aurait diminution. Supposez un médecin qui tirerait un petit carnet de sa poche pour ordonner exactement des dosages. Il serait perdu. Et pourtant…
Dans le train, fin septembre, une mère, rentrant de vacances avec sa fillette aux joues claires et rebondies, aux jambes brunies, la santé sous la peau, disait avec une admirable et niaise résignation à ceux qui la complimentaient sur cette belle apparence : « Oui, mais elle aura perdu ses belles couleurs en janvier ». Et cependant elle la ramenait à Paris, pour le « Cours ».
Je suis persuadé que la plupart des enfants pourraient s’instruire avec le seul concours des livres — surtout si ces livres étaient conçus dans ce dessein. Malheureusement ces précis sont rares.
C’est une étrange illusion de la part des parents — d’autant plus inexplicable que les pères ont passé par le lycée et savent ce qu’il en est — que cette foi dans le pouvoir de la classe et de l’étude. Le professeur parle pour trente élèves. Il ne peut pas s’occuper de chacun d’eux. Écoute qui veut, comprend qui peut.
Mais, dira-t-on, l’élève de lycée est obligé de prendre des notes, de faire des devoirs, d’apprendre des leçons. Tandis qu’un enfant n’aura jamais la sagesse et la raison d’étudier seul dans les livres.
Double erreur. Nous savons bien que presque tout s’oublie, de ce qui fut appris sous le fouet de l’amour-propre ou la crainte de la punition. Et j’affirme aussi qu’un enfant s’instruira par le livre, le jour où, son goût se dessinant, il trouvera dans ses lectures des connaissances qui l’intéresseront, qu’il saura nécessaires à son futur métier. C’est une question de moment.
Pour les parents qui ne voudraient pas tirer leur science de leur propre fonds, les cours par correspondance seront un guide excellent. Certains manuels d’instruction au logis sont déjà conçus dans un esprit lucide et pratique.
Et, je le répète, je crois beaucoup à l’enseignement par le livre, pour celui qui s’intéresse à ce qu’il apprend. On peut approfondir, creuser un sujet, revenir en arrière, méditer, mûrir. On n’est pas talonné. Tandis qu’un professeur qui parle à trente élèves ne peut pas s’occuper de chacun d’eux. Il va, il va. Il sème. Tant pis si sa parole ne germe pas.