Scène VII

Cléandre, Phylis, Lysis

Cléandre
Il me faut bien passer, puisque la place est prise.

Phylis
Venez ; cette raison est de mauvaise mise.

D’un million d’amants je puis flatter les vœux,

Et n’aurais pas l’esprit d’en entretenir deux ?

Sortez de cette erreur, et souffrant ce partage,

Ne faites pas ici l’entendu davantage.

Cléandre
Le moyen que je sois insensible à ce point ?

Phylis
Quoi ! pour l’entretenir, ne vous aimé-je point ?

Cléandre
Encor que votre ardeur à la mienne réponde,

Je ne veux plus d’un bien commun à tout le monde.

Phylis
Si vous nommez ma flamme un bien commun à tous,

Je n’aime, pour le moins, personne plus que vous ;

Cela vous doit suffire.

Cléandre
Oui bien, à des volages

Qui peuvent en un jour adorer cent visages ;

Mais ceux dont un objet possède tous les soins,

Se donnant tous entiers, n’en méritent pas moins.

Phylis
De vrai, si vous valiez beaucoup plus que les autres,

Je devrais dédaigner leurs vœux auprès des vôtres ;

Mais mille aussi bien faits ne sont pas mieux traités,

Et ne murmurent point contre mes volontés.

Est-ce à moi, s’il vous plaît, de vivre à votre mode ?

Votre amour, en ce cas, serait fort incommode :

Loin de la recevoir, vous me feriez la loi.

Qui m’aime de la sorte, il s’aime, et non pas moi.

Lysis , à Cléandre.
Persiste en ton humeur, je te prie, et conseille

À tous nos concurrents d’en prendre une pareille.

Cléandre
Tu seras bientôt seul, s’ils veulent m’imiter.

Quoi donc ! c’est tout de bon que tu me veux quitter ?

Tu ne dis mot, rêveur, et pour toute réplique,

Tu tournes tes regards du côté d’Angélique :

Est-elle donc l’objet de tes légèretés ?

Veux-tu faire d’un coup deux infidélités,

Et que dans mon offense Alidor s’intéresse ?

Cléandre, c’est assez de trahir ta maîtresse ;

Dans ta nouvelle flamme épargne tes amis,

Et ne l’adresse point en lieu qui soit promis.

Cléandre
De la part d’Alidor je vais voir cette belle ;

Laisse-m’en avec lui démêler la querelle,

Et ne t’informe point de mes intentions.

Phylis
Puisqu’il me faut résoudre en mes afflictions,

Et que pour te garder j’ai trop peu de mérite,

Du moins, avant l’adieu, demeurons quitte à quitte ;

Que ce que j’ai du tien je te le rende ici :

Tu m’as offert des vœux, que je t’en offre aussi,

Et faisons entre nous toutes choses égales.

Lysis
Et moi, durant ce temps, je garderai les balles ?

Phylis
Je te donne congé d’une heure, si tu veux.

Lysis
Je l’accepte, au hasard de le prendre pour deux.

Phylis
Pour deux, pour quatre, soit ; ne crains pas qu’il m’ennuie.

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