INTRODUCTION.

ORIGINE.

I.

Va !

Car déjà

De l’Himalaya

Les plus hauts sommets sont là

Devant nous. Et l’Inde ;… la voilà

Sous nos pieds !… Montons par là.

Tiens ! au ciel, Brahma

S’éleva

Là !

II.

Et l’indien montrait, dans un groupe de cimes,

Par-dessus tous les monts, le front des blocs sublimes.

Devant eux tout Mogol fléchissant le genou

Croit adorer les pas du Jupiter indou ;

Car les traditions du Thibet et du Scinde

Enseignent que Brahma, suivant à travers l’Inde

Du long Himalaya la rampe de granit,

Sur ces rochers parfois s’élançait au Zénith,

III.

Sans différer nous prenons la route

Que de la main mon guide indiquait.

La course d’un jour devait sans aucun doute

Nous mener au pied du mont qu’il me marquait

Comme le but de notre voyage.

Nous franchîmes donc pendant quelques instants

Plusieurs ravins d’un périlleux passage ;

Puis le jour baissant, nous gagnâmes à temps

Un frais plateau diapré de verdure

Où nous devions passer la nuit.

Lorsque j’eus pris quelque nourriture,

Je m’endormis du sommeil qui suit

Ordinairement l’extrême lassitude,

En dépit du bruit qui parfois m’effraya,

Car les cris du vent dans cette solitude

Étaient répétés sur tout l’Himalaya.

IV.

Quand je me réveillai, le soleil déjà de sa clarté

Illuminait l’Asie au loin. Un jour pur et limpide

Prolongeait le regard jusqu’à l’horizon agrandi.

Car de ce tertre riant au front des cimes adossé

L’Inde se déroulait, et devant mes yeux se retraçaient,

Des sommets du mont géant aux limbes de l’espace,

Les étages divers des riches climats que je sortais

D’explorer. C’étaient d’abord dans l’infini lointain

Des forêts d’où jaillissaient des touffes de palmiers ;

Puis, des champs sinueux, où les villages, par essaims

Groupés, nous semblaient faire à cette heure miroiter

Les minarets si capricieux des pagodes indoues.

Au contraire, à l’Occident, au pied de la montagne

Un sol abrupt, ainsi qu’un vaste abîme se creusant,

Entr’ouvrait l’écrin où brille la perle de l’Asie :

Mes yeux découvraient Cachemire au sein de sa vallée.

L’effroi vint vraiment m’assaillir quand je mesurai

Dans ce moment les profondeurs immenses, le grand vide

Accumulé sous mes pieds dans une marche de deux mois

Qui vit escalader les versants méridionaux

Du long Himalaya. Puis, un instant je regardai,

Enfin, ces plateaux comme un vaste escalier monstre

Disposés sur ces monts en pyramide sculptés,

Qui faisaient surgir au ciel une suite de degrés

Taillés par Brahma, presque à la mesure de ses pas.

V.

Mais bientôt la voix de mon guide,

Qui murmurait contre l’inaction

Où j’étais resté, me décide

À terminer la longue ascension,

Dont nous avions fixé le terme.

Nous nous mettons pleins d’ardeur en chemin,

Gravissant tous deux d’un pas ferme

Le plan rugueux des pentes du terrain.

Un froid vif glaçait l’atmosphère,

Et cependant un radieux soleil

Sur nos fronts perpendiculaire

Planait aux cieux dans un azur vermeil.

Par des sentiers impraticables

Rampant, grimpant, nous parvînmes bientôt

Devant des glaciers formidables,

Triple rempart, qui défendait l’assaut

Du mont où Brahma se dérobe

Aux yeux mortels ; de ce mont redouté,

Le point culminant de ce globe,

Par un Dieu seul jusqu’alors fréquenté.

VI.

Quand je me vis si haut perdu dans ce désert,

Aux célestes confins du monde et du chaos,

J’eus voulu reculer. La sainteté sauvage

De ces altiers sommets glaçait tout mon courage.

Alors notre voyage

Me semblait un outrage

Aux puissances du ciel que nous venions tenter

Si près de leur séjour… Et moi, courbant le front

Sous tant de majesté, j’allais céder la place,

Quand je vis dans les traits de l’Indien l’audace

Briller. Son œil embrasse

Avidement l’espace

Qui le sépare encor des extrêmes hauteurs

De l’univers connu. Car jamais montagnard

Ne s’était vu si proche

De la lugubre roche

Que l’Indostan, au loin, regarde avec effroi.

D’un tel succès son âme

S’applaudissant, s’enflamme,

S’exalte d’un désir d’immense vanité ;

L’orgueil lui persuade

De tenter l’escalade

Des monts dont les hauteurs plongeaient dans l’inconnu.

« Pauvre idiot qui tremble !

» Reste si bon te semble,

» Dit-il avec dédain. Moi je vais au plus haut

» Des sommets de la terre

» Pénétrer le mystère

» Dont s’entourent les dieux. S’élever, se grandir,
» N’est-ce pas ce qu’envie
» L’homme toute sa vie ?

» Le ciel est là si près !… Oui, je veux, pénétrant
» Aux demeures suprêmes,
» Dérober les problèmes

» Enfermés dans leur sein. Qui sait si, comme Dieu,
» Là ! j’allais tout connaître ;
» Dieu je serais… peut-être !…

» Quelle tentation ! quand le ciel est si près
» Qu’il semble qu’on y touche !…

Et ces mots de sa bouche

À peine étaient sortis, qu’il s’élance inspiré.

D’une main sacrilége

Dans ces rochers de neige

Il se fraie un sentier. Je suivis du regard

Sa sublime démence ;

Et pendant qu’il s’avance,

Il me semblait d’en bas voir luttant, suspendu

Aux flancs de l’Olympe irritée,

Quelque Titan, ou Prométhée.

VII.

Sur le plan presque droit, de tout accident

Lisse,

Qui découpe le mont, son pas ascendant

Glisse.

Il s’élève, il gravit… Et je vis sa main

Prête

Un moment à saisir le front du divin

Faîte !…

Avant qu’il fit un pas, au milieu des airs

Passent

Les plus sinistres bruits ; de rouges éclairs

Chassent

Dans un sillon de flamme un orbe de feu :

Nue

Que le souffle rapide et vengeur d’un Dieu

Rue.

Quelle pierre arrachée au dôme éternel,

Trombe,

Poussais-tu ? ton flanc s’ouvre !… un fragment du ciel

Tombe,

Rompt le Pic de Brahma. Le mont fracassé

Croule,

Et l’Indien, horreur ! du sommet lancé

Roule !

VIII.

Le Bolide en morceaux saute avec le granit,

Et les blocs furibonds, bondissant sur ma tête,

De leurs pesants débris brisent les hauts glaciers.

De vieux nids d’aigles roux roulaient dans les torrents ;

L’avalanche versait ses rochers, et sa neige

Renversant tout, frappant, pendant qu’elle grondait.

Oh ! je ne la vis pas passer à mes côtés,

Car mes yeux se fermaient ; mais je sentis un souffle,

Un jet d’air convulsif siffler à mes oreilles…

 

Puis le bruit descendant, dans les fonds s’éteignit.

IX.

Le lendemain,

En suivant de nouveau, mais tout seul, le chemin

Qui des sommets de ces montagnes

Devait me ramener dans les chaudes campagnes

De l’Inde, qu’inondait un soleil plantureux,

Je rencontrai sur un tertre pierreux,

Au milieu d’un amas de neige grise et blanche

Poussé jusque là par l’avalanche,

Un bloc étrange, terne et d’un sombre métal.

Son arête émoussée au contour inégal

Portait encor sur sa crête sanglante

Les lambeaux écrasés d’une chair pantelante.

Mon cœur navré reconnut tristement,

Dans cette pierre, un lourd fragment

Du fulgurant Aérolithe

Qui frappa l’Indien atteignant la limite

Qu’un Dieu, des champs du ciel le gardien et l’appui,

Traça d’un trait de foudre, entre ce monde et lui.

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