LES LIVRES STARIENS.

La déclivité des sentiers était encore obstruée par des monticules de neige, ou entrecoupée de petites roches dressées en écueils. Porteur du fardeau dont je m’étais chargé aux sommets supérieurs de la montagne, je descendis deux jours encore, avant de retrouver la caverne où les guides indiens ont coutume de faire déposer aux voyageurs qui montent la portion des provisions de bouche dont le poids les surchargerait. J’y arrivai mourant de fatigue et de faim ; car je ne possédais plus dans ma gibecière que quelques croûtes de pain desséché que j’étais obligé de faire ramollir dans de l’eau de neige.

Je me reposai un demi-jour ; et l’esprit encore tout rempli des scènes qui l’avaient épouvanté naguère, j’ouvris le pupitre dont j’étais devenu le possesseur. Il était d’un bois précieux, recouvert d’une enveloppe de métal ciselé. J’en tirai quelques-uns des livres et des manuscrits qu’il contenait. Ce n’était ni du persan, ni du thibétain, ni de l’indou, ni même du chinois ou du sanscrit. L’alignement horizontal et la liaison cursive des caractères les rapprochaient plus tôt de ceux qu’emploient les nations européennes. Le papier, surtout, était tel que jamais je n’en avais vu d’un tissu aussi serré et aussi compacte.

Je me crus sur la trace de quelque grand mystère historique ou d’un secret diplomatique important.

Mon retour s’effectua au milieu de phases et d’événements divers. Je n’ai rien à en rapporter ici.

Revenu à mes études, je me retrouvais toujours en face de cette bibliothèque écrite en une langue inconnue, même aux archéologues et aux linguistes les plus exercés.

Je cherchai, je cherchai. Car grand était l’attrait qui me poussait à deviner la signification de ces lignes dont mes regards ne pouvaient se détacher.

J’eus le courage de recommencer méthodiquement, patiemment, pour cet idiome étrange, les travaux d’un Champollion.

Après six mois de recherches, j’avais trouvé l’alphabet, et je pus enfin assembler, articuler les mots. Dès ce moment je ne me donnai ni cesse, ni relâche avant d’être parvenu à déchiffrer le sens de quelques passages des manuscrits, et surtout des livres qui me paraissaient contenir une histoire, une science ignorée.

Quand deux années d’efforts, d’attention et d’études m’eurent initié au mécanisme de ce langage et ouvert les secrets de la traduction, pendant quelques jours, il se passa en mon âme un tumulte de doutes, d’angoisses et d’hésitations infinies.

À mesure que je pénétrais le sens de ces ouvrages, un suprême vertige me tenait haletant.

Jugez-en :

Je cherchais avidement quelques passages de ces livres que je pusse rapporter au courant de mes connaissances, et en expliquant, en traduisant toujours, je ne trouvais rien ni des hommes, ni des choses de ce monde. Il n’y était question ni de sciences, ni de mœurs, ni de faits semblables aux sciences, mœurs et faits de cette terre ; mais je débrouillais, en étudiant, une histoire, des sciences, un monde auquel le nôtre paraissait inconnu.

Alors, je me rappelai les circonstances au milieu desquelles j’avais fait la découverte de ces livres dans les solitudes de l’Himalaya : ce pupitre teint du sang de l’Indien écrasé par la chute de l’Aérolithe : cette pierre céleste qui, en se brisant, avait laissé paraître une cavité intérieure, dont la moitié au moins devait appartenir à un autre quartier de roc perdu dans les neiges de la montagne. Ah ! je n’en pouvais douter ; le coffre que j’avais rencontré à quelques pas du Bolide était renfermé dans ses flancs. Mon ambitieux délire m’avait fait espérer un trésor dans cette boîte de métal ; et elle contenait tout un autre univers.

Je voulus vite apprendre à quel être intelligent avaient appartenu ces livres, dans le globe de l’espace dont l’Aérolithe avait été sans doute une parcelle détachée, et, surtout, à quelles mains je devais ces manuscrits, que j’avais reconnus déjà en grande partie être extraits de la correspondance de deux amis, de deux sages.

Or, voici ce que m’apprit la lecture attentive de ces papiers : Ce pupitre avait appartenu à un magistrat suprême d’une grande nation de l’un de ces mondes que la voûte étoilée nous montre la nuit semés dans le grand vide, dans l’immensité des cieux.

Loin du tumulte et des passions de ses semblables, il s’était choisi une retraite dans une habitation creusée dans le roc d’une montagne tourmentée quelquefois par des secousses volcaniques. Là, dans un réduit taillé à même le porphyre, il plaçait habituellement le pupitre dépositaire de ses livres les plus chéris, et surtout de ses pensées manuscrites les plus intimes. J’inférai de ces détails et de ces circonstances qu’un cratère avait pu s’ouvrir sur la partie de la montagne où était construite l’habitation du sage, et que, dans une effroyable éruption, ses bouches de feu avaient lancé à une distance infinie les dalles qui avaient formé de ce côté la croûte extérieure du volcan.

Qui pourrait dire combien de temps ces pierres ballottées entre les mondes sont restées errantes, jusqu’à ce que une attraction puissante ou un souffle divin vint les précipiter, sur une planète obscure comme la nôtre, mais peut-être aussi dans le sein d’un soleil éclatant de lumière ?

Ce ne fut que lorsque j’eus consulté la partie astronomique et cosmographique de mes documents transtellaires, que je crus devoir assigner la place occupée par le monde qu’il m’était donné d’étudier. Au milieu de cet océan de soleils visibles et observables, la disposition et la pluralité des globes lumineux dans un même tourbillon ou système planétaire, me fit penser qu’il devait se trouver dans l’étoile désignée dans les catalogues sous le nom de « psi » de la constellation de Cassiopée : ce groupe bizarre d’étoiles, dont les cinq plus grandes marquent les angles d’un zigzag presque régulier.

J’ai laissé à ce monde le nom de Star, qui est à peu près l’énoncé du mot Terre dans le langage que j’ai sous les yeux.

Il m’a fallu rassembler dans ce livre la substance des livres stariens que j’ai traduits ; peut-être trouvera-t-on que je l’ai fait avec moins de méthode que de fantaisie.

FIN DE L’INTRODUCTION.

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