LES TRÉLIORS.

Parmi les petites cités qui, à l’origine appréciable des peuples, habitaient les rives du Saguir, on remarquait à peine la ville de Trélée. D’une faible puissance d’abord, elle dut l’ascendant qu’elle exerça sur les destinées des peuples septentrionaux de Star à l’idée mère, à l’idée civilisatrice qui groupa sous une même foi et sous un même culte d’innombrables tribus se traînant jusqu’alors dans l’abjecte barbarie d’une vie employée à satisfaire de grossiers appétits.

Cependant, entre tous les peuples des mêmes régions, les Tréliors étaient déjà renommés par la vivacité de leur caractère, le délié de leur intelligence, et encore plus estimés pour le beau sang et la noblesse de leur race. Ces qualités remues ne devaient pas manquer de faire naître plus tard chez eux l’enthousiasme pour les grâces de l’esprit et du corps ; mais à l’époque dont nous parlons, avec ces dispositions physiques et intellectuelles, les Tréliors, comme les peuples dispersés autour d’eux, étaient encore d’une sauvagerie inculte.

Au milieu de leur ville bâtie de huttes, ils célébraient ordinairement leurs fêtes nationales par des festins publics, sortes de hideuses saturnales qui réunissaient pêle-mêle tous les âges. Mais un jour, dans l’enceinte même du festin, parut subitement, comme pour prendre part au banquet, une jeune fille ornée d’attraits divins, une femme d’une beauté inconnue à leurs yeux et telle qu’ils n’eussent même osé jusqu’alors en concevoir d’aussi parfaite, d’aussi éblouissante.

À cette apparition, les Tréliors abandonnent les viandes fumantes et les amphores où ils puisaient l’ivresse et l’abrutissement ; ils se pressent respectueux autour de la jeune femme. C’est un envoyé du ciel descendu chez eux. Leur admiration se traduit en présents. Un palais lui est donné pour demeure. Puis, l’enthousiasme grandissant, l’imagination des jeunes gens s’échauffe, leur verve s’allume en faveur de la belle Starilla, et la poésie prend naissance.

On ne pouvait s’en tenir là. Un culte est institué en faveur de la princesse de beauté, son palais devient un temple, et ses serviteurs en sont les prêtres naturels. Enfin, depuis ce jour, la religion des Tréliors est fondée, et par elle s’accomplit dans les mœurs et les lois de ce peuple une heureuse et aimable transformation.

Starilla, disent les mythologues tréliors, ne fit que passer à Trélée ; mais il resta d’elle le souvenir et la foi. Et ce souvenir fut vivant, et cette foi fut ardente, car les discours et les chants des poètes ses apôtres firent tressaillir la moitié du monde barbare aux descriptions de ses charmes pudibonds, Facta est lux ! car ces peuples émerveillés, se débarrassant des langes de la barbarie, s’essaient pour la première fois à vivre de la vie intellectuelle.

À la suite de cet apostolat qui passionna les nations en les régénérant, Trélée se trouva être la ville de la beauté, la ville des arts, la ville sainte, et, comme telle, la capitale des peuples unis du même amour.

Le gouvernement des Tréliors fut en toute conformité avec leurs mœurs et leurs goûts. Tous les cinq ans, les délégués des peuples fédérés à l’empire se réunissaient à Trélée, puis, là, choisissaient comme exécutrice des lois consenties par eux la plus belle des jeunes filles venues pour y disputer le pouvoir. Ces lois étaient acceptées et obéies chez les Tréliors avec respect et avec bonheur, car elles semblaient être l’émanation et le désir de leur belle souveraine.

Un art tout à fait en harmonie avec les coutumes des Tréliors prit naissance dans les temples de Starilla. Il avait pour but l’embellissement de l’homme, et se composaient des procédés qui pouvaient produire ou compléter la beauté humaine. Cet art, en un mot, était une sorte de calliplastie. Les prêtres de Starilla le cultivèrent très-anciennement, et furent les premiers calliplastes.

Les Tréliors cherchaient la beauté des formes physiques, comme d’autres peuples aimaient le luxe des vêtements. L’art d’embellir était devenu chez eux d’une pratique si générale et d’une simplicité si grande, que presque tout le monde était gracieux et bien fait, et que les difformités du corps étaient devenues la chose la plus rare.

Le monde starien doit encore aux Tréliors d’avoir soumis et accoutumé au travail domestique l’espèce des repleux. Ceux-ci, restés sauvages au fond des bois ou dans des déserts incultes, avaient fui jusqu’alors la trace de l’homme. Ils vivaient par familles, se nourrissant de pêche, de chasse et de fruits. Lorsque l’homme les eut réduit en domesticité, il tenta leur éducation, et ayant observé que les individus d’une même famille avaient entre eux un certain langage composé de quelques mots ou de quelques sons, il ne douta pas que cette faculté ne pût être étendue, et il leur communiqua la parole, et il leur enseigna son langage. L’homme vit alors cette espèce sauvage devenir de plus en plus perfectible et docile à ses leçons. En un mot, la race humaine, jusqu’alors seule instruite et intelligente, tira de l’état de nature, de l’état de bestialité une autre race intelligente aussi, quoique inférieure, et qui vécut côte à côte avec elle, ayant, comme la race humaine, ses mœurs et ses goûts, ses relations sociales et ses aptitudes ; mais qui garda pourtant avec elle la distance, je ne dirai pas de l’animal à l’homme, mais de l’esclave au maître.

La domination des Tréliors, plutôt morale que matérielle, s’étendit à l’est et à l’ouest jusqu’aux limites des empires savelce et ponarbarte. Ces empires, plus anciennement fondés que celui des Tréliors, comprenaient des peuples gardiens fidèles de leurs coutumes et de leurs croyances, et sur lesquels l’aurore civilisatrice, partie de Trélée, ne pouvait plus avoir d’action.

Nous arrivons à la période où commencèrent, entre ces trois empires, les relations internationales. Le commerce et la navigation prirent alors le plus grand développement. Ce fut à cette époque que des navires montés par des Tréliors découvrirent l’île de Tastot, qui, bientôt explorée par d’autres navigateurs, fit connaître à l’homme un autre homme un peu différent de lui : c’étaient les Nemsèdes ou Longévites.

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