NEMSÈDES OU LONGÉVITES.

Les Tréliors trouvèrent ces hommes au nombre de quelques centaines, vivant par petits groupes disséminés dans la vaste étendue de l’île de Tastot. Les Nemsèdes avaient la taille d’un tiers plus élevée que celle des plus grands parmi les Tréliors ; leurs cheveux étaient d’un bleu foncé, et leurs yeux d’un vert tendre ; leur démarche grave, et leur physionomie bienveillante et douce. Ils étaient tous du même sexe, ou plutôt n’avaient pas de sexe.

Ces hommes, qui se connaissaient tous pour avoir vécu longtemps ensemble, avaient fini par se diviser en petites troupes composées d’amis unis par la plus grande intimité. Ils étaient âgés, disaient-ils, de plus de mille ans. Aucun d’eux ne se connaissait ni père ni mère. Ils se rappelaient seulement être nés à peu près tous ensemble dans le même temps au sein de forêts plantées d’arbres dont les fruits en tombant laissaient écouler un lait qui fut leur première nourriture. Ils avaient encore remarqué que dans leur enfance la nature avait une force d’expansion et de vie infiniment plus grande qu’aujourd’hui ; qu’alors les plus hauts arbres poussaient en une année de plus de deux cents coudées. Il naissait du limon du sol, échauffé par un air électrique et un feu souterrain, une multitude d’animaux qui n’avaient pas encore paru sur la terre et qui disparaissaient ensuite tout à coup, parce qu’ils manquaient de quelques-unes des conditions d’organisation nécessaires à la vie ou à la reproduction. Des débris de ces animaux et du détritus des plantes, d’autres êtres sortaient, grouillaient, et la matière prenait des formes exubérantes. Des feux follets scintillaient par toutes les fissures de cet humus en fermentation. Enfin, peu à peu, ces créations incomplètes cessèrent, et la terre prit l’aspect qu’elle présente aujourd’hui.

Malgré leur âge, les Nemsèdes ne se sentaient avoir perdu ni de leur force ni de leur jeunesse. Ceux d’entre eux qui étaient morts avaient été tués par accident.

Ces hommes, qui, doués d’une raison supérieure, avaient tant vécu et tant réfléchi, furent considérés bientôt avec respect et admiration par tous les Stariens. On décida le plus grand nombre à quitter l’île de Tastot pour venir donner aux peuples de Star les leçons de l’expérience et de la sagesse. Au milieu des autres hommes, les Longévites, incapables de passions physiques, se passionnèrent presque tous pour un art ou pour une science. Chacun d’eux poursuivit sans désemparer sa science ou son art préféré à travers les Siècles, et leur influence, qui fut grande sur les progrès du monde starien, l’eût été davantage encore sans les maux qui décimèrent plus tard les peuples de cette planète.

Parmi les groupes ou familles que les Tréliors découvrirent successivement dans les forêts ou sur les montagnes, ils remarquèrent surtout une réunion de trois de ces Longévites perdus au centre de l’île, sur le bord d’un lac cerné de toutes parts par des montagnes et sans communication avec le reste de l’île. Ces trois amis, révérés même parmi leurs semblables, se nommaient Cosmaël, Séelevelt et Mundaltor.

On remarqua qu’en suivant les autres hommes sur les continents et en s’établissant dans les divers pays, les Nemsèdes de chaque groupe ne se quittèrent jamais. Peu de ces hommes étranges restèrent à Tastot ; une trentaine de familles, formant un total de trois à quatre cents individus, se dispersèrent dans tous les coins du monde.

Les trois amis, Cosmaël, Séelevelt et Mundaltor parcoururent presque toute la terre, observant et s’instruisant de tout ce que les générations stariennes avaient amassé dans les sciences, dans les arts et dans les lettres. Cosmaël choisit l’étude des sciences physiques et naturelles, Mundaltor cultiva les beaux-arts, et Séelevelt s’adonna tout entier à la philosophie et aux lettres. Ces trois hommes, unis d’âme et de sentiment et se communiquant à chaque instant leurs observations et leurs pensées, embrassaient ainsi l’ensemble des connaissances humaines. Ils vécurent donc pendant plusieurs siècles, s’occupant sans relâche de l’objet aimé de leur étude ; et spectateurs attentifs de la marche de l’esprit et des mœurs dans les sociétés stariennes, ils recueillaient, après une génération disparue, le suc de l’expérience qu’elle laissait pour héritage.

Nous pourrions donc avec les trois principaux des Longévites vous faire assister aux débats internationaux des trois empires qui composèrent l’ancien monde starien. Mais nous passerons ici sur l’histoire politique de huit siècles qui, malgré quelques turpitudes, raconte le plus souvent les douceurs d’une paix féconde en bien-être, en productions de l’esprit et en un grand nombre d’actions généreuses.

Share on Twitter Share on Facebook