Disons maintenant quelle était cette race humaine de Tassul avec qui les Stariens vont vivre désormais.
Ramzuel et les Longévites ses amis, ignorants du langage et des mœurs de ces peuples, crurent pendant quelque temps que les femmes étaient soigneusement gardées dans l’intérieur des habitations, ou que la coutume leur faisait une loi de ne pas se montrer en public. Mais leur surprise fut grande quand ils découvrirent que les individus avec lesquels ils entretenaient des relations n’avaient point de femmes, mais qu’ils possédaient eux-mêmes les deux sexes, en un mot qu’ils étaient hermaphrodites.
Les Tassuliens, pourvus des organes propres à l’homme et à la femme, ne devaient pas même pour les besoins de la génération contracter un rapprochement avec un individu de leur espèce : seuls, et par leurs facultés propres, ils étaient aptes à engendrer et à donner l’être.
Leur costume était uniformément une sorte de toge amplement drapée sur leurs épaules. Les Tassuliens, robustes et grands pour la plupart, ignoraient le luxe et pratiquaient socialement l’égalité la plus absolue.
Si l’amour des sexes était chose inconnue et impossible à ces peuples, on dit qu’ils trouvaient en eux-mêmes des sources très-vives de félicités naturelles. Qui peut comprendre, d’ailleurs, les douceurs de l’amour solitaire, de l’amour de soi ; amour toujours fidèle, sans jalousie, sans regrets ? Cependant, le sentiment le plus absolu, la passion la plus constante du caractère des Tassuliens est sans contredit la passion de la paternité. L’amour paternel est la vie et le bonheur de cette race. Et comment n’en serait-il pas ainsi ? Exempts des soucis de l’amour conjugal, tous les besoins du cœur trouvent à s’épancher sur leurs enfants. Jamais, comme chez l’homme mâle, un doute rongeur ne vient troubler sa quiétude de père. Mais, de plus, son enfant est engendré de son sang ; il est de sa chair à lui seul ; il a vécu dans ses entrailles et n’a point été porté et allaité par une femme devenue indifférente ou odieuse. Chez une race humaine pourvue des deux sexes, l’enfant, tout entier à la femme, ne tient à son père que par un lien infiniment fragile, que le doute brise quelquefois à ses yeux comme aux yeux du monde. Combien de pères, ayant le besoin de la paternité profond et nécessaire, ont regretté de n’être pas, comme les femmes, liés plus complètement à la procréation d’un individu de leur sang ?
Grande, très-grande est la sollicitude du Tassulien pour ses enfants, et cette sollicitude n’est égalée que par le respect et l’attachement des enfants pour l’unique auteur de leurs jours. La famille, basée sur l’amour paternel et le dévouement filial, est fortement établie chez les Tassuliens. Comme le mariage ne saurait exister, les enfants ne quittent jamais leur père pour suivre un étranger, et le patriarche meurt entouré de sa lignée dont les regrets le suivent même au-delà du tombeau.
Dans cette société, malheur aux stériles, condamnés à passer une vie de solitude sans espérance pour leurs besoins d’aimer. Aussi presque tous les Tassuliens à qui la nature a refusé le don de la paternité recourent de bonne heure au suicide. Une particularité de l’organisation physique de cette race lui en fournit un moyen d’une extrême commodité. Les Tassuliens ont le cœur placé sous l’influence de la volonté, et un effort vigoureux de cette volonté peut en arrêter les battements : la volonté de mourir suffit pour les tuer.
Les nombreux genres d’oiseaux qu’on rencontre à Tassul sont presque tous pourvus des deux sexes. Les animaux mammifères, pour la plupart hermaphrodites, n’y sont qu’en petit nombre.
L’animal le plus commun de ce globe est une sorte de reptile appelé Boule, et qui, comme son nom l’indique, a la forme d’une boule de chair d’un blanc livide, sans apparence de membres ou d’appendices extérieurs. Ce reptile qui vit d’herbe sèche, et qui marche ou plutôt se roule à terre en imprimant des contractions musculaires à sa peau, inspira longtemps du dégoût aux Stariens qui ne pouvaient voir sans effroi cette masse charnue, grosse comme une tête d’homme, avec sa fente buccale surmontée de deux trous au fond desquels brillaient deux yeux toujours fixes, sans mouvements, sans paupières.