XIII

Le soleil était près de se coucher quand ils aperçurent Cana après une journée de marche fatigante.

De bonne heure ce matin-là, Justus, animé d’un grand zèle, avait expédié en vitesse le déjeuner. Les ânes et leur gardien avaient été avertis qu’on ne tolérerait pas de bêtises. Quoique le soleil fût brûlant, le guide avait conduit d’un bon pas la petite caravane et Marcellus avait poussé un soupir de soulagement lorsque à midi, Justus, désignant un petit groupe d’oliviers, avait proposé :

– Nous pourrions nous reposer un moment et manger.

– À la bonne heure ! dit Marcellus tout essoufflé. Ce Cana est-il si intéressant que nous devions nous éreinter pour y arriver aujourd’hui ?

– Je m’excuse de t’avoir fait marcher si vite, dit Justus. Je ne t’ai pas expliqué la raison de ma hâte parce que je voulais te faire une surprise. À Cana vit une jeune fille infirme qui chante tous les soirs en plein air.

– Vraiment ! murmura Marcellus très las. J’espère que cela en vaudra la peine.

Justus commençait à déballer les provisions.

– Les habitants de Cana soupent de bonne heure, puis ils s’assemblent, jeunes et vieux, autour d’une fontaine où cette jeune fille chante les cantiques que notre peuple aime. Ses parents, ou ses voisins, l’amènent sur un lit de camp, et les gens l’écoutent jusqu’à la nuit.

– C’est extraordinaire ! fit Marcellus en massant ses muscles douloureux. Tu dis qu’elle est infirme ? Je serai sûrement heureux de la voir, mais si nous continuons à cette allure, j’en serai ce soir au même point qu’elle.

Justus sourit de cette plaisanterie, rompit le pain, en donna une moitié à Marcellus et s’assit sur l’herbe.

– Miriam est une ravissante jeune fille, dit-il en mâchant son pain avec appétit. Elle doit avoir vingt-deux ans. Il y a environ sept ans, elle a été frappée de paralysie. Dans n’importe quelle circonstance une maladie pareille est un grand malheur, mais pour Miriam c’était une catastrophe car elle excellait dans les jeux et dirigeait l’entraînement des enfants. Et voilà qu’elle ne pouvait plus marcher. Elle s’est rendue encore plus malheureuse en se révoltant contre son sort et en passant les journées à se lamenter, si bien que ses parents étaient désespérés.

– Tu la connais bien, je vois, dit Marcellus médiocrement intéressé.

– Pas à ce moment-là, mais j’ai eu l’occasion, depuis, d’entendre raconter son histoire. Durant trois longues années elle est restée couchée dans son lit, inconsolable et maussade, si aigrie par sa maladie qu’elle repoussait toutes les avances de ceux qui cherchaient à la distraire.

– Et maintenant, elle chante ? Qu’est-il arrivé ?

– Maintenant elle chante, fit Justus qui ajouta après un moment de réflexion: J’ignore les détails de ce qui est arrivé et je ne crois pas que personne les connaisse. Miriam refuse d’en parler ; ses parents font comme s’ils ne savaient rien. Quand on les questionne, ils répondent : « Demandez à Miriam. »

– Il n’est probablement rien arrivé de spécial, dit Marcellus qui commençait à prendre de l’intérêt. Pourquoi les parents auraient-ils refusé d’expliquer la cause du changement survenu chez leur fille ?

– Je ne sais pas, dit Justus en secouant la tête. Une de ses amies, qu’elle n’avait pas vue depuis deux ans, devait se marier. On avait instamment prié Miriam d’assister au mariage, mais elle n’avait pas voulu y aller ; au lieu de cela, elle est restée toute la journée à pleurer amèrement. Pourtant, ce même soir, lorsque ses parents revinrent de la fête, elle était heureuse ; elle chantait !

– Étonnant ! s’exclama Marcellus. A-t-elle réellement une belle voix ?

– Tu en jugeras par toi-même, dit Justus. Et tu pourras la voir demain chez elle. Naomi, sa mère, tisse de belles étoffes. Je t’y mènerai, car tu trouveras peut-être chez elle quelque chose d’intéressant. Si tu es reposé, nous nous remettrons en route.

*

* *

Ils dressèrent leur tente en bordure de la petite ville de Cana et, après avoir sommairement soupé, ils se dirigèrent vers le centre de la bourgade, rattrapant un flot de gens qui allaient dans la même direction. Déjà une cinquantaine de personnes étaient assises autour d’un bassin circulaire dans lequel bouillonnait une source naturelle.

– Cette eau est chaude, dit Justus, en cherchant un endroit où s’asseoir. Les sources d’eau chaude abondent dans cette région.

– Ont-elles des vertus curatives ? demanda Marcellus.

– On vient de loin pour s’y baigner.

– Oh ! alors Cana voit beaucoup d’étrangers ?

– Il n’y en a pas beaucoup ici. Ils vont plutôt à Tibériade sur le lac de Génésareth. C’est une grande ville qui possède de luxueuses installations. Ce ne sont que les riches qui se baignent dans les eaux médicinales.

– Et pourquoi cela ? demanda Marcellus. Les pauvres doutent-ils de la vertu de ces eaux ?

Justus éclata d’un rire spontané et contagieux qui éveilla des échos autour d’eux, car plusieurs avaient reconnu le géant à la voix douce, leur voisin de Séphoris. Marcellus découvrait chez son compagnon un sens de l’humour insoupçonné jusqu’à ce jour ; Justus s’était toujours montré si sérieux, si posé !

– Les pauvres n’ont pas les maladies que ces eaux sont censées guérir, expliqua-t-il. Ce ne sont que les hommes habitués à une nourriture riche et à des vins fins qui recherchent les eaux curatives. Les Galiléens ne souffrent pas de maux provenant d’un excès d’abondance.

C’était d’une ironie délicieuse parce qu’elle était exempte d’amertume. Marcellus apprécia la qualité du rire de leurs voisins, qui les écoutaient avec candeur, et se sentit à l’aise parmi tous ces inconnus.

– C’est une idée qui ne m’était pas venue, Justus, répliqua-t-il, mais tu as raison. Cela me rappelle, maintenant, que j’ai dû entendre parler de cette ville de Tibériade sur le lac de Génésareth.

– Que l’on appelle aussi la mer de Galilée.

La foule autour d’eux devint attentive.

– C’est un grand lac ? demanda Marcellus étonné.

– Assez grand pour avoir des tempêtes. Il y a quelquefois des ouragans terribles.

– Est-ce qu’on y pêche ?

Justus fit oui d’un air indifférent et un homme, d’âge moyen, assis devant eux, tourna la tête comme s’il désirait dire quelque chose. Marcellus croisa son regard et leva les sourcils pour l’encourager à parler.

– C’est une des maladies que le pauvre peuple peut se payer, la pêche ! fit l’homme.

Tout le monde rit gaîment à cette saillie.

– Y trouve-t-on beaucoup de poissons ? demanda Marcellus.

– Oui, dit Justus, mais ils ont tous été attrapés il y a longtemps de cela.

Ceci sembla une bonne plaisanterie et la gaîté s’accrut dans le cercle de leurs auditeurs. Marcellus sentit que leur attitude était bienveillante à son égard ; peut-être parce qu’il était en compagnie d’un homme que tout le monde paraissait connaître ; et puis, Marcellus se débrouillait fort bien avec son araméen.

Tous les yeux se tournaient maintenant vers la source où l’on apportait un lit. Une jeune fille y était assise, soutenue par des coussins. Dans ses gracieux bras nus elle tenait une petite harpe.

Le sculpteur en Marcellus s’éveilla instantanément. Le visage ovale et finement modelé était d’une pâleur qui trahissait les peines endurées ; mais les larges yeux aux longs cils ne portaient aucune trace de douleur. Des cheveux abondants, partagés par le milieu, encadraient un front intelligent. Les lèvres pleines exprimaient presque la gaîté.

Deux hommes suivaient portant des chevalets de bois, et le lit fut disposé de manière à ce que tout le monde pût le voir. Un profond silence tomba sur la foule. Marcellus, très impressionné par cette scène extraordinaire, se surprit à souhaiter que la jeune fille ne commençât pas à chanter. Le tableau était parfait, ce serait dommage d’y ajouter quoi que ce fût.

Miriam caressa doucement les cordes de son instrument de ses doigts blancs et effilés. Son visage se transfigurait. Elle semblait avoir quitté ce monde et être partie pour une contrée enchantée. Les yeux lumineux regardaient en haut, dilatés par une vision lointaine. À nouveau elle toucha légèrement les cordes de la harpe.

La voix était un contralto étonnamment profond et sonore. Le premier son, d’abord à peine perceptible, s’enfla graduellement jusqu’à résonner comme les vibrations d’une cloche. Marcellus sentit sa gorge se serrer et une bouffée d’émotion lui brouilla la vue. Maintenant le chant prenait des ailes.

« J’avais mis en l’Éternel mon espérance – Et il s’est incliné vers moi, il a écouté mes cris. »

Tout autour de Marcellus, les têtes se penchaient ; des sanglots étouffés s’entendaient ici ou là. Quant à lui, il fixait sur la jeune fille en extase des yeux où scintillait une larme.

« Et il a mis dans ma bouche un cantique nouveau ! » lançait Miriam d’une voix triomphante.

Justus tourna lentement la tête vers Marcellus ; ses traits étaient contractés et ses yeux troubles. Marcellus lui toucha la manche et lui fit un signe de tête ému, puis leurs yeux se reportèrent sur la jeune fille.

« Alors je dis : Voici, je viens – Avec le rouleau du livre écrit pour moi – Je veux faire ta volonté, mon Dieu ! Et ta loi est au fond de mon cœur. »

Le chant était terminé et la foule compacte poussa un profond soupir. Certains se tournèrent vers leurs proches, leur sourirent et secouèrent la tête, incapables d’exprimer leur émotion.

La nuit tombait. Les hommes emportèrent Miriam ; la foule s’écoula silencieusement. Marcellus apprécia le fait que Justus, marchant à côté de lui, ne chercha pas à savoir quelle impression lui avait faite cette soirée extraordinaire.

*

* *

La maison de Ruben et de Naomi, à l’extrémité nord du village, était plus confortable que la plupart des autres logements de Cana. Dans la spacieuse cour, de nombreux arbres fruitiers fleurissaient et des deux côtés s’étendaient des vignes apparemment prospères.

– Allons d’abord parler à Miriam, dit Justus en ouvrant le portail. Je la vois dans le verger.

Miriam était seule. Elle portait une ample robe blanche à manches flottantes ; aucun bijou, excepté une mince chaîne d’argent avec un pendentif taillé dans un coquillage. Sa tête bouclée se penchait, attentive, sur une broderie. À leur approche, elle leva les yeux, reconnut Justus et l’accueillit avec un sourire de bienvenue.

– Pas besoin de me donner d’explication, Barsabbas Justus, dit-elle quand, après avoir présenté Marcellus, il ajouta que le jeune homme s’intéressait aux étoffes tissées en Galilée. Tout le monde à Cana est au courant. Nous nous réjouissons de ta visite, dit-elle en souriant à Marcellus ; on ne vient pas souvent nous acheter notre marchandise.

Sa voix grave avait un son particulier que Marcellus ne pouvait définir ; elle était sincère et naturelle comme son sourire.

– Naomi est à la maison ? demanda Justus.

– Oui, elle t’attend avec père.

Justus se dirigea vers la demeure ; comme Marcellus hésitait Miriam l’aida à se décider en lui désignant un siège.

– Je t’ai entendu chanter, dit-il. C’était absolument…

Il s’interrompit, ne trouvant pas le mot approprié.

– Comment cela se fait-il que tu parles l’araméen ? interrompit-elle gentiment.

– Je ne le sais pas encore très bien, dit Marcellus. Toutefois, ajouta-t-il avec plus d’assurance, même tes compatriotes auraient de la peine à qualifier ton chant. Il m’a profondément ému.

– Je suis heureuse de t’entendre dire cela.

Miriam mit son ouvrage de côté et le regarda de ses yeux candides.

– Je me demandais ce que tu en pensais, poursuivit-elle. Je t’ai vu là-bas avec Justus. Je n’ai jamais chanté pour un Romain. Cela ne m’aurait pas surprise si tu en avais souri, mais j’en aurais eu de la peine.

– Nous avons une bien mauvaise réputation dans ces provinces, dit Marcellus en soupirant.

– Évidemment, dit Miriam. Les seuls Romains que nous voyions à Cana sont les légionnaires, quand ils descendent la rue d’un air hautain et méprisant comme pour dire…

Elle s’arrêta et ajouta sur un ton d’excuse :

– Il vaut peut-être mieux que je ne le dise pas.

– Oh ! je sais parfaitement ce que nous avons l’air de dire quand nous paradons.

Il avança les lèvres avec une arrogance exagérée et parodia :

– Nous voilà, vos seigneurs et vos maîtres !

Cela les fit rire tous deux et Miriam reprit son ouvrage. Penchée sur son travail, elle demanda :

– Y a-t-il beaucoup de Romains comme toi, Marcellus Gallio ?

– Des milliers ! Je ne puis pas me vanter d’être une exception.

– C’est la première fois que je parle à un Romain, dit Miriam. J’ai cru qu’ils étaient tous les mêmes. Ils semblent tous pareils.

– Dans leurs uniformes, oui ; mais sous leurs casques et leurs boucliers ce sont des êtres ordinaires qui n’éprouvent aucun plaisir à parcourir les rues des villes étrangères. Ils aimeraient beaucoup mieux être chez eux à cultiver leurs jardins et à s’occuper de leurs chèvres.

– Voilà qui me fait plaisir, dit Miriam. Il est si désagréable de ne pas aimer les gens, et si difficile de ne pas éprouver du ressentiment contre les Romains. Maintenant je penserai que la plupart d’entre eux désireraient être dans leurs jardins avec leurs chèvres, et je souhaiterai, dit-elle avec un sourire malicieux, que leurs désirs s’accomplissent. Et toi, as-tu aussi un jardin ?

– Oui, nous avons un jardin.

– Est-ce ton père qui le cultive en ton absence ?

– Ma foi, pas personnellement, répondit Marcellus après un moment d’hésitation.

Elle le regarda de sous ses longs cils.

– J’aurais dû me douter que vous avez un jardinier, dit-elle ; et des servantes aussi, je suppose.

– Oui, acquiesça Marcellus.

– Sont-ce des esclaves ? demanda Miriam d’un ton qu’elle espérait ne pas être offensant.

– Oui, avoua-t-il mal à son aise, mais je puis t’assurer que nous ne les maltraitons pas.

– J’en suis persuadée, dit-elle d’une voix douce. Tu es incapable d’être cruel envers qui que ce soit. Combien d’esclaves avez-vous ?

– je ne les ai jamais comptés. Une douzaine peut-être. Non, davantage, je crois. Sans doute une vingtaine.

– Ce doit être étrange de posséder d’autres êtres humains, dit Miriam, pensive. Est-ce qu’on les enferme en dehors des heures de travail ?

– Jamais de la vie !

Marcellus fit un geste pour chasser une supposition pareille et ajouta :

– Ils sont libres d’aller où ils veulent.

– Vraiment ! s’exclama Miriam. Et ils ne se sauvent jamais ?

– Rarement. Ils ne sauraient pas où aller.

– C’est terrible, dit Miriam avec un soupir. Ne seraient-ils pas mieux enchaînés ? Ils pourraient au moins s’échapper parfois, tandis que de cette façon, le monde entier est leur prison.

– Je n’y avais encore jamais pensé, dit Marcellus. Mais il me semble que le monde est une prison pour nous tous. Qui donc est libre ? En quoi consiste la liberté ?

– La liberté consiste dans la vérité, répondit vivement Miriam. La vérité rend tout le monde libre ! Si ce n’était pas ainsi, qu’adviendrait-il de moi, Marcellus Gallio ? Mon pays est soumis à un maître étranger ; paralysée comme je le suis, il semble que j’aie bien peu de liberté ; mais mon esprit est libre !

– Tu as de la chance, dit Marcellus. Je donnerais beaucoup pour éprouver une liberté qui ne dépende pas de conditions extérieures. Comment es-tu arrivée à cette philosophie ? Est-ce par ta maladie ?

Elle secoua résolument la tête.

– Non, non ! La maladie avait fait de moi une misérable esclave. Je n’ai pas gagné ma liberté. C’est un don.

Marcellus resta silencieux quand elle se tut. Peut-être donnerait-elle une explication. Brusquement le visage de la jeune fille s’éclaira et elle se tourna vers lui avec une tout autre expression.

– Je te prie de pardonner ma curiosité, dit-elle. Je suis assise ici toute la journée sans qu’il arrive rien de nouveau. C’est vivifiant de converser avec quelqu’un du dehors. Parle-moi de ta famille ? As-tu une sœur ?

– Oui, elle s’appelle Lucia. Elle est beaucoup plus jeune que moi.

– Plus jeune que moi aussi ?

– De six ans plus jeune, dit Marcellus, souriant de voir son air étonné.

– Qui t’a dit mon âge ?

– Justus.

– Tiens, pourquoi t’en a-t-il parlé ?

– C’est avant d’arriver à Cana, lorsqu’il m’a proposé de t’écouter chanter. Il m’a dit que tu n’as découvert ta voix que le jour où tu t’es mise à chanter. Justus m’a affirmé que c’est venu d’une manière tout à fait inattendue. Veux-tu me l’expliquer, à moins que ce ne soit un secret ?

– C’est un secret, dit-elle à mi-voix.

De la maison, Naomi venait, les bras chargés de robes et de burnous, suivie de Justus et de Ruben.

– Nous allions toujours à Jérusalem en cette saison pour célébrer la pâque, dit-elle en étalant sa marchandise sur le dossier d’une chaise. Cette année, nous n’irons pas. C’est à cause de cela que j’ai tant de choses sous la main.

Marcellus prit des airs de parfait commerçant. Soulevant une tunique brune, il l’examina avec un intérêt professionnel.

– Ceci, dit-il avec sagacité, est typiquement galiléen. Une tunique sans couture. C’est de l’excellent travail. Il faut avoir beaucoup d’expérience pour tisser un vêtement pareil.

L’air reconnaissant de Naomi l’incita à parler plus ouvertement. Il voyait qu’on le prenait pour un connaisseur et voulut montrer tout son savoir, spécialement pour l’édification de Justus.

– Un tisserand de ma connaissance à Athènes, continua-t-il, m’a parlé de ce genre de tunique. Il habitait autrefois la Samarie et connaissait les produits de Galilée.

Il tourna les yeux vers Justus et rencontra un regard interrogateur comme si le brave homme cherchait quelque chose dans sa mémoire. Tout à coup son visage s’éclaira.

– Il y avait un jeune Grec chez Benyosef, dit Justus. Je l’ai entendu dire qu’il avait travaillé chez un tisserand à Athènes, nommé Benjamen, et c’est lui qui lui avait appris l’araméen. Est-ce peut-être le même tisserand ?

– Mais oui ! fit Marcellus en essayant de se montrer heureux de cette coïncidence. Benjamen est très connu à Athènes. C’est aussi un savant. Benjamen insiste toujours pour converser en araméen avec ceux qui savent le parler.

– Il devait aimer ta compagnie, fit Justus. J’ai remarqué que tu emploies beaucoup de termes essentiellement samaritains.

– Vraiment ! dit Marcellus, prenant un tissu et tournant son attention du côté de Naomi. Ceci est de la très belle laine, lui assura-t-il. La teinture en est superbe.

– Nous la faisons avec nos mûres, dit fièrement Naomi.

– Si j’avais su que tu connaissais Benjamen, persista Justus, je t’aurais parlé de ce jeune Grec, Démétrius ; un très gentil garçon. Il est parti subitement, un jour. Il avait eu des ennuis, c’était un fugitif.

Marcellus leva poliment les sourcils, tout en faisant comprendre qu’il avait d’autres affaires à discuter pour le moment.

– Je prendrai ce burnous et cette tunique, dit-il. Et qu’y a-t-il d’autre ?

Il se mit à fouiller dans les vêtements espérant qu’il n’avait pas été trop brusque en coupant court aux commentaires sur Démétrius.

Un moment plus tard, Justus s’éloigna avec Ruben du côté des vignes.

– Pourquoi ne montres-tu pas les jolis bandeaux, maman ? suggéra Miriam.

– Oh ! ils n’en valent pas la peine, dit Naomi.

– Puis-je les voir ? demanda Marcellus.

Naomi s’éloigna et Marcellus continua à examiner les tissus avec un intérêt exagéré.

– Marcellus.

La voix de Miriam avait un ton de confidence. Il la regarda et rencontra son regard interrogateur.

– Pourquoi as-tu menti à Justus ? dit-elle dans un murmure.

– Je lui ai menti ? dit Marcellus en rougissant.

– Au sujet de ce Grec. Tu ne voulais pas parler de lui ; tu le connais probablement. Dis-moi Marcellus, qui es-tu ? Je vois bien que tu n’es pas un marchand : tu ne t’intéresses pas réellement aux ouvrages de ma mère.

Miriam attendit une réponse, mais Marcellus ne s’était pas encore repris.

– Dis-moi, insista-t-elle avec douceur, que fais-tu ici en Galilée, si ce n’est pas un secret ?

– C’est un secret, dit-il.

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