XXVII QUELLE VIE ON MENAIT ALORS À LA BASTILLE EN ATTENDANT LA MORT.

Gaston était prêt à remercier le lieutenant de police, mais il se retint. En le remerciant, il eût paru avoir peur. Il reprit donc son habit et son chapeau, rajusta ses manchettes, et rentra à la Bastille par le même chemin.

– Ils n’ont pas voulu avoir de procès-verbal de torture envers un jeune gentilhomme, dit Gaston en lui-même, ils se contenteront de me juger et de me condamner à mort.

Mais, au moins, la menace de la question avait eu un avantage : l’idée de la mort paraissait maintenant simple et douce au chevalier, débarrassée des supplices préliminaires dont M. le lieutenant de police avait pris la peine de lui faire une si exacte description.

Il y a plus : rentré dans sa chambre, il retrouva avec bonheur tout ce qui lui semblait horrible une heure auparavant. Le cachot était gai, la vue délicieuse ; les plus tristes sentences écrites sur les murailles étaient des madrigaux, comparées aux menaces matérielles qu’offraient les parois de la chambre de la question, et il n’y eut pas jusqu’aux geôliers qui parurent à Gaston des gentilshommes de bonne mine en comparaison des bourreaux.

Il y avait une heure à peine qu’il se reposait dans la contemplation de ces objets, que la comparaison lui faisait paraître joyeux, lorsque le major de la Bastille vint le chercher, suivi d’un porte-clefs.

– Je comprends, dit Gaston, l’invitation du gouverneur est sans doute un mot d’ordre que l’on donne, en pareil cas, pour ôter au prisonnier l’angoisse du supplice. Je vais traverser quelque chambre à oubliettes, y tomber et mourir. Que la volonté de Dieu soit faite !

Alors Gaston se leva d’un pas ferme, salua d’un sourire triste la chambre qu’il quittait, suivit le major, et, arrivé aux dernières grilles, s’étonna de n’être pas encore précipité. Plus de dix fois, il avait prononcé, pendant le trajet, le nom d’Hélène, pour mourir en le prononçant ; mais aucun accident n’avait suivi cette poétique et amoureuse invocation, et le prisonnier, après avoir tranquillement franchi le pont-levis, entra dans la cour du Gouvernement, puis dans le corps de logis même du gouverneur.

M. Delaunay vint au-devant de lui.

– Me donnez-vous votre parole d’honneur, chevalier, dit-il à Gaston, de ne point penser à vous échapper d’ici tout le temps que vous serez chez moi ?… Bien entendu, ajouta-t-il en souriant, qu’une fois que vous serez reconduit à votre chambre, cette parole n’existe plus, et que c’est à moi alors à prendre mes précautions pour m’assurer la continuation de votre compagnie.

– Je vous donne ma parole, monsieur, dit Gaston, mais dans la mesure que vous demandez.

– C’est bien ; entrez, monsieur, on vous attend.

Et le gouverneur conduisit Gaston dans un salon très-bien meublé, quoiqu’à la mode de Louis XIV, qui commençait déjà à vieillir. Gaston fut tout ébloui de voir la société nombreuse et parfumée qui s’y trouvait.

– Monsieur le chevalier Gaston de Chanlay, que j’ai l’honneur de vous présenter, messieurs, dit le gouverneur.

Puis, nommant, à son tour, chacune des personnes qui se trouvaient là :

– Monsieur le duc de Richelieu.

– Monsieur le comte de Laval.

– Monsieur le chevalier Dumesnil.

– Monsieur de Malezieux.

– Ah ! dit Gaston souriant et saluant, toute la conspiration de Cellamare.

– Moins M. et madame du Maine et le prince de Cellamare, dit l’abbé Brigaud en saluant à son tour.

– Ah ! monsieur, dit Gaston d’un ton de reproche, vous oubliez le brave chevalier d’Harmental et la savante mademoiselle de Launay.

– D’Harmental est retenu au lit par sa blessure, dit Brigaud.

– Quant à mademoiselle de Launay, dit le chevalier Dumesnil rougissant de plaisir en voyant entrer sa maîtresse, la voici, monsieur ; elle nous fait l’honneur de dîner avec nous.

– Veuillez me présenter, monsieur, dit Gaston ; entre prisonniers on ne fait pas grandes façons. Je compte donc sur votre obligeance.

Et le chevalier Dumesnil, prenant Gaston par la main, le présenta à mademoiselle de Launay.

Cependant, quelque empire que Gaston eût sur lui-même, il ne pouvait empêcher sa physionomie mobile d’exprimer un certain étonnement.

– Ah ! chevalier, dit le gouverneur, je vous y prends ; vous avez cru, comme les trois quarts des Parisiens, que je dévorais mes prisonniers, n’est-ce pas ?

– Non, monsieur, répondit Gaston en souriant ; mais j’ai cru, un instant, je l’avoue, que l’honneur que je vais avoir de dîner avec vous était remis à un autre jour.

– Comment cela ?

– Est-ce votre habitude, pour donner de l’appétit à vos prisonniers, monsieur, répliqua Gaston, de leur faire faire, avant le repas, la promenade que j’ai…

– Ah ! c’est juste, monsieur ! s’écria mademoiselle de Launay ; n’est-ce pas vous, tantôt, que l’on conduisait à la torture ?

– Moi-même, mademoiselle, répondit Gaston, et croyez qu’il n’aurait fallu rien moins qu’un empêchement aussi grand pour me retenir loin d’une si gracieuse compagnie.

– Ah ! chevalier, dit le gouverneur, de ces sortes de choses il ne faut pas m’en vouloir : elles ne sont pas dans ma juridiction. Dieu merci ! je suis un militaire et non un juge. Ne confondons pas les armes avec la toge, comme dit Cicéron. Mon affaire, à moi, est de vous garder, de vous empêcher de vous enfuir, et de vous rendre le séjour de la Bastille le plus agréable possible, pour que vous vous y fassiez remettre et que vous reveniez de nouveau me désennuyer avec votre société. L’affaire de maître d’Argenson est de vous faire torturer, de vous faire décapiter, de vous faire pendre, de vous faire rouer, de vous faire écarteler, s’il peut : restons chacun dans notre spécialité. – Mademoiselle de Launay, voilà qui nous annonce que nous sommes servis, dit le gouverneur, voyant qu’on ouvrait la porte à deux battants. Voulez-vous prendre mon bras ? – Pardon, chevalier Dumesnil, vous me regardez comme un tyran, j’en suis sûr ; mais je suis le maître de la maison, et j’use de mes priviléges. – À table, messieurs ! à table !

– Oh ! l’horrible chose que la prison ! dit en relevant délicatement ses manchettes le duc de Richelieu, placé entre mademoiselle de Launay et le comte de Laval : esclavage, fers, verrous, lourdes chaînes !

– Vous passerai-je de ce potage aux écrevisses ? dit le gouverneur.

– Oui, monsieur, volontiers, dit le duc ; votre cuisinier le fait à merveille, et je suis, en vérité, fâché que le mien n’ait pas conspiré avec moi : il aurait profité de son séjour à la Bastille pour prendre des leçons du vôtre.

– Monsieur le comte de Laval, continua le gouverneur, vous avez du vin de Champagne près de vous : n’oubliez pas votre voisine, je vous prie.

Laval se versa, d’un air sombre, un verre de vin de Champagne, et l’avala jusqu’à la dernière goutte.

– Je le tire directement d’Aï, dit le gouverneur.

– Vous me donnerez l’adresse de votre fournisseur, n’est-ce pas, monsieur Delaunay ? dit Richelieu ; car si le régent ne me fait pas couper mes quatre têtes, je ne veux plus boire que de celui là… Que voulez-vous ? je m’y suis acoquiné pendant les trois séjours que j’ai faits chez vous, et je suis un animal d’habitude.

– En effet, dit le gouverneur, prenez exemple sur le duc de Richelieu, monsieur ; voilà un de mes fidèles ; aussi il a sa chambre ici, qu’on ne donne à personne en son absence, à moins qu’il n’y ait tout à fait encombrement.

– Ce tyran de régent pourra bien nous forcer de garder chacun la nôtre, dit Brigaud.

– Monsieur l’abbé, découpez donc ces perdreaux, dit le gouverneur ; j’ai toujours remarqué que les hommes d’Eglise excellaient dans ce genre d’exercice.

– Vous me faites honneur, monsieur, dit Brigaud en plaçant devant lui le plat d’argent où étaient les volatiles indiqués, qu’il se mit à désarticuler immédiatement avec une adresse qui prouvait que M. Delaunay était un bon observateur.

– Monsieur le gouverneur, dit le comte de Laval d’une voix farouche à M. Delaunay, pourriez-vous me dire si c’est par votre ordre qu’on est venu me réveiller à deux heures du matin, et m’expliquer ce que veut dire cette persécution !

– Ce n’est pas ma faute, monsieur le comte, mais celle de ces messieurs et de ces dames, qui ne veulent pas absolument demeurer tranquilles, malgré les avis que je leur donne tous les jours.

– Nous ! s’écrièrent tous les convives.

– Mais sans doute, vous ! reprit le gouverneur ; vous faites, dans vos chambres, mille infractions aux règlements. On me fait, à tout moment, des rapports de communications, de correspondances, de billets.

Richelieu éclata de rire. Mademoiselle de Launay et le chevalier Dumesnil rougirent jusqu’au blanc des yeux.

– Mais nous parlerons de tout cela au dessert, continua le gouverneur. Monsieur le comte de Laval, je vous offre cette santé… Vous ne buvez pas, monsieur de Chanlay ?

– Non, monsieur, j’écoute.

– Dites que vous rêvez. On ne me trompe pas ainsi, moi.

– Et à quoi ? demanda Malezieux.

– À quoi voulez-vous que rêve un garçon de vingt-cinq ans ? On voit bien que vous vous faites vieux, monsieur le poëte. À sa maîtresse, pardieu !

– N’est-ce pas, monsieur de Chanlay, continua Richelieu, qu’il vaut mieux avoir la tête séparée du corps que le corps séparé de l’âme ?

– Ah ! bravo ! bravo ! s’écria Malezieux ; joli, charmant, monsieur le duc ! j’en ferai un distique pour madame du Maine :

« Il vaut mieux séparer, n’est-il pas vrai, madame,

La tête de son corps que le corps de son âme ? »

– Que dites-vous de la pensée, depuis qu’elle est en vers, monsieur le duc ? dit Malezieux.

– Qu’elle vaut un peu moins que lorsqu’elle était en prose, monsieur le poëte, dit le duc.

– À propos, interrompit Laval, a-t-on des nouvelles de la cour, et sait-on comment va le roi ?

– Messieurs, messieurs, s’écria le gouverneur, pas de politique, je vous en prie. Parlons beaux-arts, poésie, littérature, dessin, guerre, et même Bastille, si vous voulez ; je préfère encore cela.

– Ah ! oui, parlons Bastille, dit Richelieu. Qu’avez-vous fait de Pompadour, monsieur le gouverneur ?

– Monsieur le duc, j’ai eu le grand regret qu’il m’ait forcé de le mettre au cachot.

– Au cachot ? demanda Gaston. Qu’avait donc fait le marquis ?

– Il avait battu son guichetier.

– Depuis quand un gentilhomme ne peut-il donc plus battre ses gens ? demanda Richelieu.

– Les guichetiers sont les gens du roi, monsieur le duc, répondit en souriant le gouverneur.

– Dites du régent, monsieur, répondit Richelieu.

– La distinction est subtile.

– Mais elle n’en est que plus juste.

– Vous passerai-je de ce chambertin, monsieur de Laval ? dit le gouverneur.

– Oui, monsieur, si vous voulez boire avec moi à la santé du roi.

– Je ne demande pas mieux, si vous voulez me faire raison, à votre tour, en buvant à la santé du régent.

– Monsieur le gouverneur, dit Laval, je n’ai plus soif.

– Je le crois bien, dit le gouverneur, vous venez de boire un plein verre de chambertin de la cave même de Son Altesse.

– Comment ! de Son Altesse ? Ce chambertin vient du régent ?

– Il m’a fait l’honneur de me l’envoyer hier, sachant que parfois vous m’accordiez le plaisir de votre compagnie.

– En ce cas, s’écria Brigaud en jetant le contenu de son verre sur le parquet, poison que ce chambertin ! venenum furens. Passez-moi de votre vin d’Aï, monsieur Delaunay.

– Portez cette bouteille à M. l’abbé, dit le gouverneur.

– Oh ! oh ! dit Malezieux, l’abbé jette son vin sans vouloir le boire ! L’abbé, je ne vous croyais pas si fanatique de la bonne cause.

– Je vous approuve, l’abbé, dit Richelieu, si le vin est contre vos principes ; seulement vous avez eu tort de le jeter : car, je le reconnais pour en avoir bu, il vient effectivement des caves du régent, et vous n’en trouverez pas de pareil ailleurs qu’au Palais-Royal. En avez-vous beaucoup, monsieur le gouverneur ?

– Six bouteilles seulement.

– Voyez, l’abbé, quel sacrilège vous avez commis. Que diable ! il fallait le passer à votre voisin, ou le remettre dans la bouteille… c’était sa place, et non sur le parquet : vinum in amphoram, disait mon pédagogue.

– Monsieur le duc, dit Brigaud, je me permettrai de vous dire une chose : c’est que vous ne savez pas si bien le latin que l’espagnol.

– Pas mal, l’abbé, dit Richelieu ; mais il y a encore une langue que je sais moins bien que tout cela, et que je voudrais apprendre : c’est le français.

– Bah ! dit Malezieux, ce serait bien long et bien ennuyeux, monsieur le duc ; et vous aurez plus court, croyez-moi, de vous faire recevoir de l’Académie.

– Et vous, monsieur le chevalier, dit Richelieu à Chanlay, parlez-vous aussi l’espagnol ?

– Le bruit court que je suis ici, monsieur le duc, répondit Gaston, pour avoir fait abus de cette langue.

– Monsieur, dit le gouverneur, je vous en préviens, si nous retombons dans la politique, je serai forcé de quitter le dîner, quoique nous ne soyons qu’à l’entremets ; ce serait fâcheux, car vous seriez trop poli, je le crois, pour rester à table quand je n’y serai plus.

– Alors, dit Richelieu, dites à mademoiselle de Launay de nous parler mathématiques : cela n’effarouchera personne.

Mademoiselle de Launay tressaillit comme quelqu’un que l’on réveille en sursaut : placée vis-à-vis du chevalier Dumesnil, elle s’était laissée aller avec lui à une simple conversation de regards, qui n’avait rien d’inquiétant pour le gouverneur, mais qui, en échange, rendait très-malheureux le lieutenant de la Bastille, Maison-Rouge, lequel était fort amoureux de mademoiselle de Launay et faisait tout ce qu’il pouvait pour plaire à sa prisonnière, chose à laquelle malheureusement, comme on l’a vu, le chevalier Dumesnil était parvenu avant lui.

Grâce à l’allocution du gouverneur, le reste du repas fut fort décent à l’endroit de Son Altesse Royale et de son ministre. Les prisonniers, pour qui ces réunions tolérées, au reste, par le régent, étaient une grande distraction, prirent sur eux de parler d’autre chose, et Gaston put dire qu’un des dîners les plus charmants et les plus spirituels qu’il eût jamais faits de sa vie était ce dîner qu’il venait de faire à la Bastille.

D’ailleurs, sa curiosité était vivement excitée. Il était là en face de personnages dont les noms étaient doublement célèbres par leurs aïeux ou leurs talents ; célèbres par la récente illustration que venait de leur donner la conspiration de Cellamare. Au reste, chose rare, tous ces personnages, hommes à la mode, grands seigneurs, poëtes ou gens d’esprit, lui parurent à la hauteur de leur réputation.

Lorsque le dîner fut fini, le gouverneur fit reconduire un à un chaque prisonnier, qui le remercia de sa courtoisie, sans s’apercevoir que, malgré la parole donnée, les deux chambres contiguës à la salle à manger étaient pleines de gardes, et que, pendant le repas, les convives étaient si étroitement gardés, qu’il leur eût été impossible de se faire passer le moindre billet.

Mais Gaston n’avait pas vu tout cela, et demeurait fort interdit. Ce régime d’une prison dont on ne parlait qu’avec effroi, ce contraste de la scène qui s’était passée, deux heures auparavant, dans la salle de la torture, où l’avait conduit d’Argenson, avec celle qui venait de se passer chez le gouverneur, bouleversait toutes ses idées. Lorsque son tour fut venu de se retirer, il salua M. Delaunay, et, reprenant la conversation où il l’avait laissée le matin, lui demanda s’il ne serait pas possible d’avoir des rasoirs, ces instruments lui paraissant d’une absolue nécessité dans un lieu où l’on voyait si bonne et si élégante compagnie.

– Monsieur le chevalier, dit le gouverneur, vous me voyez au désespoir de vous refuser une chose dont je comprends comme vous la nécessité ; mais il est contre tous les règlements de la maison que les prisonniers se fassent la barbe, s’ils n’en ont la permission de M. le lieutenant de police. Passez dans mon cabinet, vous y trouverez du papier, des plumes et de l’encre. Vous lui écrirez, je lui ferai passer la lettre, et je ne doute pas que vous ne receviez bientôt la réponse que vous désirez.

– Mais, demanda le chevalier, ces messieurs avec lesquels je viens de dîner, si bien vêtus et si bien rasés, sont donc privilégiés ?

– Point du tout : il leur a fallu demander la permission, comme vous allez le faire. M. de Richelieu, que vous avez vu si fraîchement coiffé et rasé, est resté un mois barbu comme un patriarche.

– J’ai peine à concilier cette sévérité dans les petits détails avec la réunion pleine de liberté que je viens de voir.

– Monsieur, dit le gouverneur, moi aussi j’ai mes priviléges, mes priviléges qui ne vont pas jusqu’à vous donner des rasoirs, des plumes et des livres ; mais qui me laissent la liberté d’inviter à ma table ceux de mes prisonniers que je désire favoriser ; en supposant toutefois, ajouta en souriant M. Delaunay, que cette invitation soit une faveur. Il est vrai qu’il m’est enjoint de rendre compte au lieutenant de police des propos qu’ils peuvent tenir contre le gouvernement ; mais, en ne leur permettant pas de parler politique, je suis dispensé, comme vous le voyez, de trahir l’hospitalité de ma table en rendant compte de leur conversation.

– Et l’on ne craint pas, monsieur, demanda Gaston, que cette intimité entre vous et vos pensionnaires n’amène, de votre part, des indulgences qui ne soient pas dans les intentions du gouvernement ?

– Je connais mes devoirs, monsieur, dit le gouverneur, et je me renferme dans leurs plus strictes limites. Tels que vous avez vu mes convives d’aujourd’hui, et sans qu’un seul songe à se plaindre de moi, ils ont déjà passé de leurs chambres au cachot, où l’un d’eux est encore. Les ordres de la cour se suivent et ne se ressemblent pas, monsieur. Je les reçois, je les accomplis, et mes hôtes, qui savent que je n’y suis pour rien, et qu’au contraire je les adoucis autant qu’il est en mon pouvoir, ne m’en tiennent aucunement rancune. J’espère que vous ferez ainsi, monsieur, si, ce que je n’ai aucune raison de prévoir d’ailleurs, quelque ordre m’arrivait qui ne fût pas selon vos désirs.

Gaston sourit avec mélancolie.

– La précaution n’est pas inutile, monsieur, reprit-il ; car je doute qu’on me laisse longtemps jouir du plaisir que j’ai eu aujourd’hui. En tout cas, je vous promets de vous mettre en dehors de tous les tristes événements qui pourraient m’arriver.

– Vous avez sans doute quelque protecteur en cour ? demanda le gouverneur.

– Aucun, répondit Gaston.

– Quelque puissance bienfaisante qui veille sur vous ?

– Je n’en connais pas.

– Alors il faut compter sur le hasard, monsieur.

– Je ne l’ai jamais trouvé bon.

– Raison de plus pour qu’il se lasse de vous être contraire.

– Et puis je suis Breton, ajouta le chevalier, et, en Bretagne, nous ne croyons qu’en Dieu.

– Prenez que c’est cela que j’ai voulu dire, reprit le gouverneur, lorsque je vous ai parlé du hasard.

Gaston fit sa demande, et se retira tout à fait charmé des façons et du caractère de M. Delaunay.

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