II

Mais le totem n’est pas seulement un nom ; c’est un emblème, un véritable blason, dont les analogies avec le blason héraldique ont été souvent remarquées. « Chaque famille, dit Grey en parlant des Australiens, adopte un animal ou un végétal comme son écusson et sa marque, (as their crest and sign) »

Les nobles de l’époque féodale sculptaient, gravaient, figuraient de toutes les manières leurs armoiries sur les murs de leurs châteaux, sur leurs armes, sur les objets de toute sorte qui leur appartenaient : les noirs de l’Australie, les Indiens de l’Amérique du Nord font de même pour leurs totems. Les Indiens qui accompagnaient Samuel Hearne peignaient leurs totems sur leurs boucliers avant d’aller au combat

Là où la société est devenue sédentaire, où la tente est remplacée par la maison, où les arts plastiques sont déjà plus développés, c’est sur le bois, c’est sur les murs qu’est gravé le totem. C’est ce qui arrive, par exemple, chez les Haida, les Tsimshian, les Salish, les Tlinkit. « Un ornement très particulier de la maison chez les Tlinkit, dit Krause, ce sont les armoiries du totem. » Ce sont des formes animales, combinées dans certains cas avec des formes humaines, et sculptées sur des poteaux, qui s’élèvent à côté de la porte d’entrée et qui ont jusqu’à 15 mètres de hauteur ; elles sont généralement peintes avec des couleurs très voyantes

Les exemples qui précèdent sont exclusivement empruntés aux Indiens de l’Amérique du Nord. C’est que ces sculptures, ces gravures, ces figurations permanentes ne sont possibles que là ou la technique des arts plastiques est déjà parvenue à un degré de perfectionnement que les tribus australiennes n’ont pas encore atteint. Par suite, les représentations totémiques du genre de celles qui viennent d’être mentionnées sont plus rares et moins apparentes en Australie qu’en Amérique. Cependant, on en cite des cas. Chez les Warrarnunga, à la fin des cérémonies mortuaires, on enterre les ossements du mort, préalablement desséchés et réduits en poudre ; à côté de l’endroit où ils sont ainsi déposés, une figure représentative du totem est tracée sur le sol

Ces différents faits donnent déjà le sentiment de la place considérable que le totem tient dans la vie sociale des primitifs. Cependant, jusqu’à présent, il nous est apparu comme relativement extérieur à l’homme ; car c’est seulement sur les choses que nous l’avons vu représenté. Mais les images totémiques ne sont pas seulement reproduites sur les murs des maisons, les parois des canots, les armes, les instruments et les tombeaux ; on les retrouve sur le corps même des hommes. Ceux-ci ne mettent pas seulement leur blason sur les objets qu’ils possèdent, ils le portent sur leur personne ; il est empreint dans leur chair, il fait partie d’eux-mêmes et c’est même ce mode de représentation qui est, et de beaucoup, le plus important.

C’est, en effet, une règle très générale que les membres de chaque clan cherchent à se donner l’aspect extérieur de leur totem. Chez les Tlinkit, à certaines fêtes religieuses, le personnage qui est préposé à la direction de la cérémonie porte un vêtement qui représente, en totalité ou en partie, le corps de l’animal dont le clan porte le nom

Mais le plus souvent, c’est sur le corps lui-même qu’est imprimée la marque totémique : il y a là un mode de représentation qui est à la portée même des sociétés les moins avancées. On s’est demandé parfois si le rite si fréquent qui consiste à arracher au jeune homme les deux dents supérieures à l’époque de la puberté n’aurait pas pour objet de reproduire la forme du totem. Le fait n’est pas établi ; mais il est remarquable que, parfois, les indigènes eux-mêmes expliquent ainsi cet usage. Par exemple, chez les Arunta, l’extraction des dents n’est pratiquée que dans le clan de la pluie et de l’eau ; or, suivant la tradition, cette opération aurait pour but de rendre les physionomies semblables à certains nuages noirs, avec des bords clairs, qui passent pour annoncer l’arrivée prochaine de la pluie et qui, pour cette raison, sont considérés comme des choses de la même famille

Mais si les tatouages qui sont réalisés par voie de mutilations ou de scarifications n’ont pas toujours une signification totémique

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