CHAPITRE V

L’intervention turque. — Sa légitimité. — Réoccupation d’Andrinople et d’une partie de la Thrace. — Réfugiés Grecs devant la marche turque. — Négociations turco-bulgares. — Le traité de Constantinople.

 

Ainsi que nous l’avons vu précédemment 36 , au moment où la Bulgarie était obligée de concentrer toutes ses forces contre les alliés roumains, serbes et grecs, un nouvel adversaire surgissait devant elle : la Turquie.

Obligée par l’Europe de conclure la paix à Londres, elle avait suivi d’un œil attentif les dissentiments qui commencèrent à se manifester entre les alliés au commencement de 1913, lors des discussions qui s’élevaient plus âpres au sujet de l’attribution des territoires conquis. Une influence la dominait d’ailleurs encore, influence qui se manifestait par un incident passé inaperçu, lors de l’assassinat de Nazim Pacha 37 , l’influence allemande. L’Allemagne, nous l’avons déjà maintes fois remarqué, n’avait qu’un but comme l’Autriche-Hongrie : dissoudre le bloc balkanique et, cela fait, empêcher sa reconstitution. En outre, l’Empire ottoman désespéré, agonisant après les désastres de 1912, eùt désiré un rapprochement franco-turc qui lui assurerait un appui financier considérable et une instruction militaire indéniablement supérieure à celle préconisée par la maréchal Von der Goltz. Voilà justement ce qu’il fallait empêcher à tout prix ; la diplomatie austro-prussienne se mit à l’œuvre avec une ténacité digne d’éloges. Elle fut aidée dans sa tâche par le grand vizir Mahmoud Chefket Pacha, le chef célèbre du parti jeune-turc, l’auteur principal du coup d’État de 1909.

Facilitant au Gouvernement ottoman les moyens de réorganiser son armée, l’entretenant habilement dans l’espoir de reconquérir quelques parcelles des provinces perdues, elle eut l’adresse de ne pas manifester ouvertement son désir de soutenir la Turquie et d’aller à l’encontre de l’influence française 38 , afin de permettre aux hommes d’État de Constantinople de nous demander un nouvel emprunt sans effrayer l’opinion publique. En même temps, les cabinets de Berlin et de Vienne poursuivaient l’exécution de leur plan et se jouaient avec maëstria des peuples balkaniques ; ayant réussi à persuader à la Grèce que l’Allemagne la soutiendrait au cas où la guerre éclaterait entre Bulgares et Hellènes, et à la Roumanie (sans peine d’ailleurs) que le moment était venu de prendre part à la crise orientale, ils ne se firent pas faute de soutenir les belliqueuses intentions d’Enver Bey et d’une partie des troupes turques. Celles-ci qui, dès le mois de février, avaient déjà repris courage et ne ressemblaient plus aux vaincus de Kumanovo, de Kirk-Kilissé et de Lüle-Bourgas, ainsi que l’écrivait M. Georges Rémond 39 , correspondant de l’Illustration, commençaient au mois de juin à exprimer des idées de revanche, désirs fermes et réfléchis ; et lorsque le 30 juin la rupture fut définitive entre les anciens alliés balkaniques, on se prépara fiévreusement à l’action, dans les camps ottomans de Tchataldja.

Vinrent les premières défaites bulgares ; l’ambassadeur d’Allemagne n’hésita pas. L’armée turque, sous le commandement d’Izzet Pacha, s’avança lentement vers le nord, refoulant devant elle les quelques escadrons bulgares qui se replièrent sur la division d’Andrinople. Nous savons le reste. Bientôt ce fut à Andrinople même que fut replanté l’étendard musulman, et durant le mois d’août, malgré sa déclaration du 19 juillet aux puissances, déclaration dans laquelle la Turquie affirmait ses bonnes intentions, ses désirs d’humanité et sa volonté de ne pas franchir la Maritza, elle laissa ses troupes prendre possession de nombreux villages situés, comme Kirdjali 40 , au nord des Rhodopes, à peu de distance de l’ancienne frontière bulgare. A Constantinople, les puissances avaient pourtant tenté une démarche dite « collective », bien que l’accord ne fût que très peu solide et tout à fait relatif, le mercredi 4 août, pour demander à la Porte l’évacuation d’Andrinople, au nom des stipulations des traités de Londres. Mais le grand vizir 41 qui n’avait nullement l’intention, pas plus que les hommes politiques ottomans, de respecter le traité du 30 mai, perdu pour eux dans les brumes de la Tamise, répondit aux ambassadeurs « qu’il s’était efforcé de se conformer aux résolutions du traité de Londres, mais que les excès des Bulgares l’ont contraint à agir avec le souci de sauver la population musulmane survivante et que, d’ailleurs, la Turquie s’était bornée à réoccuper l’étendue du territoire musulman nécessaire pour assurer la sécurité de Constantinople, comme l’indiquait sa présente note aux puissances ».

La Sublime-Porte, assurée du soutien secret des monarchies germaniques, était absolument tranquille sur l’issue des délibérations multiples dont son refus faisait l’objet à Londres, à Saint-Pétersbourg et à Paris, et craignait plutôt le zèle intempestif d’Enver Bey et de ses amis ; aussi préférait-elle résister à l’Europe et, suivant ses immuables principes, tergiverser et... attendre.

La Bulgarie, réduite le 12 août par la paix de Bucarest, à la moitié de ses possessions occidentales de Macédoine et de Thrace, et amputée par la généreuse Roumanie d’une partie de son ancien territoire au nord-est, s’adressait aux puissances qui l’avaient laissé démobiliser après la signature du traité, pour recouvrer Andrinople et la région comprise entre l’Istrandja Dagh et la ligne Enos-Midia. La France et la Russie pensèrent à boycotter financièrement la Turquie et M. Sazonof fit à Turkam Pacha, ministre de Turquie à Saint-Pétersbourg, d’énergiques représentations, espérant que le Quai d’Orsay agirait de même vis-à-vis de la Porte en lui refusant tout concours. Mais, d’une part, plusieurs banques françaises trouvaient à Constantinople un fort intérêt des sommes qu’elles prêtaient, et, en outre, les milieux diplomatiques viennois laissaient entendre que la Turquie se montrerait conciliante et ne chercherait pas à garder Andrinople ; on crut qu’il était inutile de prendre des mesures sévères à l’égard de l’Empire ottoman. Or, en Bulgarie, commençait à se manifester avec violence un courant anti-russe, comme le montrait la lettre du 14 août publiée dans la Croix du 25 et que nous reproduisions plus haut 42  ; voulut-on démentir par une action plus énergique les dires de ceux qui accusaient la Russie d’hypocrisie envers « le jeune frère slave », ou n’était-ce qu’une menace vide et vaine ? Je ne saurais l’expliquer. Bref, l’ambassadeur du tsar à Rome ayant été interrogé au sujet de la crise orientale par le Giornale d’Italia, déclarait que le conflit turco-bulgare n’était pas le plus important, mais que « si la Turquie déclarait la guerre à la Bulgarie, la Russie la déclarerait à son tour à la Turquie ». Du côté de la Triple Entente, il est évident que l’accord n’était pas fait et la Porte pouvait continuer ses opérations en toute sécurité  ; elle le pouvait d’autant mieux que, journellement, elle recevait de la Triplice des témoignages d’estime et d’intérêt et des promesses de secours 43 .

Ici, l’Allemagne démasqua lentement ses batteries.

Suivant le Tanine (de Constantinople), le consul allemand de Dedé-Agatch aurait demandé à la Turquie l’envoi d’un navire de guerre devant cette ville, parce que, disait-il, elle ne pouvait rester sans administration en l’absence des troupes grecques. Cette nouvelle ne fut pas, je crois, confirmée, mais elle établissait, en tous cas, par l’inspiration du journal seulement, que les agents de Berlin étaient avec la Porte en rapports plus intimes qu’on ne l’avait supposé, et que l’opinion publique considérait ce fait comme très normal.

En même temps, une mission turque chargée de gagner le plus de chancelleries possibles à la cause musulmane et de demander partout le maintien d’Andrinople au pouvoir du Sultan, parcourut l’Europe et..., par hasard sans doute, tint à donner à son passage à Berlin un caractère plus officiel et plus important qu’à son passage dans les autres capitales. Reçue par le baron de Stumm au ministère des Affaires étrangères (berlinois), elle lui remit un memorandum. Voici, d’après les Turcs eux-mêmes, ce qu’ils ont dit au fonctionnaire allemand :

 

Le mémoire que nous avons remis aux Affaires étrangères rappelle que la Thrace avait été soumise à la Turquie depuis quatre cents ans, que les peuples et les religions y ont vécu côte à côte en bonne harmonie sous la loi turque. Notre mémoire énumère les atrocités commises par les Bulgares pendant ces huit derniers mois. Il exprime l’espoir que l’Europe civilisée empêchera une lutte dans laquelle la Thrace verserait jusqu’à la dernière goutte de son sang.

Le Grec Orphinades, le Grec Gallias et le Turc Hamdullah-Ubi-Bey ont ajouté quelques mots. Ils ont dit qu’ils sont résolus à mourir plutôt que de devenir les sujets des Bulgares ; ils ont exprimé l’espoir que l’Allemagne n’abandonnerait pas la Turquie à cette heure difficile. Le Grec Orphinades ajoute : « Au nom des Grecs, je puis déclarer à Votre Excellence que pas un d’entre nous ne désire retomber sous la domination bulgare. Nous sommes venus ici supplier qu’on nous laisse vivre paisiblement sous le régime turc, car retomber sous le joug bulgare équivaut pour nous à un massacre certain. Dans ce cas, nous enverrions à l’étranger nos femmes, nos vieillards, nos enfants, et nous combattrions le fusil à la main, jusqu’à la mort. Nous vous demandons en particulier d’envoyer sur les lieux une commission internationale. Des choses atroces, abominables, lui seront révélées. D’ailleurs, il y a parmi nous déjà des témoins des atrocités bulgares. Je leur laisse la parole ; ils vous raconteront les crimes commis... »

M. de Stumm a répondu par une allocution extrêmement chaleureuse, et voici la substance de son discours aux délégués d’Andrinople :

« En Allemagne, nous avons toujours été les amis de la Turquie. Nous avons toujours été aux côtés de votre pays à l’heure décisive. Nous ne vous abandonnerons pas en ce moment 44 . »

 

Il est probable, dit l’Echo de Paris du 23 août, que M. de Stumm s’est exprimé plus diplomatiquement, car, en flattant les Turcs d’une façon aussi précise, il risquait fort d’offenser la Russie. Qui sait ? Peut-être était-il absolument certain de ne blesser nullement l’Empire moscovite dont la politique semble hésiter aujourd’hui.

Et la Bulgarie, impuissante en face des armées ottomanes rénovées, continuait à demander à l’Europe de faire exécuter les conventions de Londres par la Turquie infidèle à ses engagements.

Mais, comme nous venons de le voir, les chancelleries jouaient double rôle. Paris songeait à ses trois milliards. Londres semblait se désintéresser du débat. Rome soutenait ouvertement le Sultan. Bref, alors qu’à Sofia on croyait encore à une intervention énergique sur Constantinople, ce fut sur les vainqueurs de Lüle-Bourgas qu’elle se produisit, du fait de l’Autriche et de la Russie réunies 45 . La Bulgarie comprit que tout espoir était perdu et consentit à négocier directement avec la Porte le Ier septembre.

La Jeune-Turquie, dont les partisans ne s’entendaient pas encore si bien qu’on le disait partout et n’entretenait pas 46 , par son principe même, l’admirable discipline dont parlent nos grands turcophiles, se montrait, dès l’annonce officielle de l’ouverture des pourparlers, d’une intransigeance qui n’avait d’égale que la folie de ses passions politiques. Un de ses principaux organes, le Jeune Turc, écrivait :

 

En envoyant à Constantinople des délégués chargés de discuter les conditions de paix, les Bulgares ont reconnu, ce qui nous intéresse par dessus tout, la caducité du traité de Londres. Le traité de Londres peut, jusqu’à un certain point et pour certaines questions seulement, servir de guide, d’aide-mémoire si l’on veut, mais il ne peut être question d’invoquer ses clauses ou de leur donner entre les Bulgares et nous un caractère impératif.

Mais de ce qu’une discussion générale ne pourra pas se produire sur la question de la possession de la Thrace, il ne s’ensuit pas nécessairement que des négociations ne seront pas entamées par les Bulgares en vue d’une petite rectification de la frontière vers le nord, rectification destinée à sauvegarder l’amour-propre bulgare, et qui pourrait avoir comme compensation le retour définitif à la Turquie de quelques points situés sur la rive droite de la Maritza.

Il est évident que, présentée de cette manière, la demande d’une rectification de frontière pourrait éventuellement être prise en considération par le gouvernement impérial à condition que les points qu’on nous offrirait représentassent une compensation équitable et eussent pour nous un intérêt soit politique, soit stratégique, suffisant pour justifier l’échange que les Bulgares voudraient proposer.

 

Et un peu plus loin il ajoute :

 

Des négociations vont commencer : il importe qu’elles ne durent pas longtemps ; les tergiversations, à l’heure actuelle, n’ont plus de raison d’être.

La patience, si grande soit-elle, a cependant des bornes.

 

L’intervention turque était certes, compréhensible, et nous aurions vu, en 1871, nos adversaires cernés après nos défaites que, je pense, nous nous serions empressés de marcher sur le Rhin. Mais jamais nous n’aurions pu atteindre le degré de ridicule intransigeance, d’inconscience même des porte-paroles du parti jeune-turc ! Dire que le traité de Londres était jusqu’à un certain point caduc n’avait rien que de très normal. Mais, n’admettre aucune discussion au sujet d’Andrinople ou de Kirk-Kilissé  ; prétendre qu’éventuellement la Porte pourrait envisager une rectification de la frontière nord contre des compensations en Thrace et enfin déclarer que l’heure des tergiversations était passée, constituait de la part des « journalistes  » ottomans une erreur qui aurait pu coûter fort cher à leur patrie pour peu que certaines puissances aient changé l’orientation première de leur politique après avoir sérieusement examiné ce que je ne suis pas le premier à découvrir.

Avant l’ouverture des négociations, un incident dont le fond fut d’ailleurs démenti accusa encore plus nettement la marche de la diplomatie allemande dont nous suivons pas à pas les opérations.

On publia dans la presse européenne, et notamment dans le Temps du 7 septembre, une interview du général Savof, au cours de laquelle il aurait déclaré  :

1° Que le parti militaire serbe était responsable de la rupture serbo-bulgare ;

2° Qu’il croyait aux sentiments conciliateurs de M. Vénizelos, mais que le roi Constantin était « jeune ».

3° Que la Bulgarie voulait Cavalla et la guerre de revanche contre les Grecs. Il fit en outre un vif éloge de la mission du général Eydoux. Or, l’impression produite par cette interview, en Allemagne, fut déplorable. Les journaux berlinois la commentèrent âprement (avec la politesse et la délicatesse que l’on sait) et manifestèrent visiblement leur mécontentement. Que pouvait-il en effet arriver de plus désagréable à l’Empire germanique que le relèvement de la Bulgarie, l’éloge de la France et l’échec de la Grèce où il voyait déjà une sphère d’influence qui se développait de jour en jour !

L’interview fut démenti et tout s’apaisa, mais la colère d’outre-Rhin n’en avait pas moins éclaté auparavant, nous éclairant ainsi de plus en plus sur les intentions de nos pacifiques voisins...

La première séance des pourparlers eut lieu le 7 au ministère des Affaires étrangères de Constantinople.

Le général Savof ayant dit aux délégués turcs que les propositions bulgares n’étaient pas prêtes, Mahmoud Pacha exposa les desiderata de son gouvernement qui voulait la Maritza comme frontière et désirait garder Dimotika. La question fut écartée provisoirement. Mais on comprend aisément la surprise des plénipotentiaires bulgares lorsque, sur la demande du général Savof concernant la frontière nord, Mahmoud Pacha lui répondit : « Naturellement l’ancienne frontière, de Mustapha-Pacha à la mer Noire. »

Cependant on voulut, de part et d’autre, se montrer conciliants et on convint de tenir des séances privées supplémentaires, en dehors des séances officielles. L’impression était optimiste. Je n’insisterai pas sur le détail des journées qui furent consacrées aux nombreuses discussions entre les deux partis ; je me contenterai seulement d’en marquer les points importants en relevant autant que possible les questions touchant à la situation internationale et particulièrement à la France et en suivant l’Allemagne dans sa campagne orientale actuelle.

Les habitants de Gumuldjina ayant rédigé une pétition demandant l’attribution de leur ville à la Turquie, celle-ci, qui n’était peut-être pas étrangère à cette manifestation spontanée, s’en servit pour appuyer ses arguments près des délégués bulgares. et, en cédant sur ce point, pour pouvoir montrer son esprit de conciliation. Les Ottomans, sur le conseil d’En Haut (du nord-ouest) tentèrent d’abord de garder le port de Dédé-Agatch, qui gênerait particulièrement l’Allemagne et l’Autriche, s’il était bulgare, en favorisant la France. Voyant qu’ils ne pouvaient réussir, ils demandèrent autour d’Andrinople une zone de territoire qui irait jusqu’à Ortakeuï, à l’ouest de la Maritza, en donnant comme raison à leurs prétentions la protection d’Andrinople. C’était la suite du plan austro-allemand opposé à nos intérêts ; en effet, après l’enlèvement de Cavalla donné à la Grèce, la seule issue bulgare sur la mer Égée est Dédé-Agatch, et la seule voie possible entre la Bulgarie intérieure et Dédé-Agatch est le chemin de fer existant sur la rive droite de la Maritza. Il est facile de s’en convaincre par un coup d’œil sur une carte de la région. Il n’existe à l’est de Cavalla qu’une vallée aisément utilisable pour une voie ferrée, c’est celle de la Maritza. Or, par Dédé-Agatch, c’est Marseille à quatre ou cinq jours de distance, et c’est par là le commerce français entrant en Bulgarie, où nos articles fort appréciés, mais trop peu connus, auront toujours la préférence. Voilà pourquoi il était important pour nous de voir la Bulgarie en possession d’un port sur l’Égée et d’un accès à ce port, et pourquoi en même temps il était intéressant pour les puissances germaniques d’opposer à la réalisation de ce projet toutes les barrières qu’elles pourraient trouver. La Turquie refusait donc énergiquement d’abandonner Ortakeuy et Dimotika, et les envoyés du roi Ferdinand continuaient à demander au moins une de ces villes avec une insistance bien naturelle. Le 12 septembre, le général Savof se rendit chez les ambassadeurs de Russie et d’Autriche, espérant que ceux-ci conseilleraient à la Porte une plus grande modération.

Le lendemain, les deux diplomates se rendirent au palais du grand visir, dans ce but sans doute, mais, hasard curieux, le 14 septembre, les Turcs se montrèrent au contraire plus irritables et les milieux ottomans bien informés, accusant les Bulgares d’adopter une attitude manquant de franchise, manifestèrent un recul très net sur les concessions des jours précédents. Le Tanine publiait même un article particulièrement violent, dans lequel il s’exprimait en ces termes : « La Bulgarie veut se jouer de nous. Puisqu’il en est ainsi, la Turquie n’a plus qu’une parole à prononcer :
« Messieurs, vous accepterez notre projet ou nous
« irons à Sofia pour en obtenir la réalisation. »

Afin de se donner encore un plus beau rôle vis-à-vis de l’Europe « humanitaire », la Turquie publiait un télégramme signé des notables principaux de Dimotika, et rédigé avec le même enthousiasme, la même spontanéité désintéressée que la protestation des habitants de Gumuldjina.

Cet admirable témoignage, qui venait si à propos, était signé en majorité par des individus évidemment impartiaux du fait même de leur race, vis-à-vis des Bulgares... des Grecs ! Passons... Je ne me trouvais pas à Constantinople, je n’ai donc pu me rendre compte par moi-même de la plus ou moins grande véracité des allégations ottomanes au sujet de l’attitude des négociateurs bulgares et de l’exagération de leurs demandes. Mais le Temps a publié, le 10 septembre, un interview de la plus haute importance de M. D. Stanciof, l’éminent ministre de Bulgarie à Paris. Le voici dans son texte complet :

 

INTERVIEW DE M. DIMITRI STANCIOF,
MINISTRE DE BULGARIE A PARIS

 

La presse trouve les demandes de la Bulgarie légitimes et modestes, et l’on a ajouté que leur acceptation serait, pour l’avenir, une profonde garantie de sécurité et de paix. Il faut donc espérer qu’elles seront adoptées.

Pour le tracé de la frontière, trois points principaux nous occupent :

1° Nous demanderions le cours de la Maritza, qui reste notre seul et vrai chemin vers la mer Égée, et, de plus, sur la rive gauche, une légère bordure qui puisse garantir cette voie de communication essentielle à notre développement économique. Notre intention était de rendre le fleuve navigable. La réalisation de ce projet serait pour les Bulgares une lourde charge dont les Ottomans de Thrace auraient, aussi bien que nous, le bénéfice ;

2° A Andrinople même, la ligne de la Maritza devrait aussi rester frontière, si on ne veut nous accorder, à l’ouest d’Andrinople, une zone assez étendue, marquée, disait le Temps du 4 septembre, par une ligne qui descendrait de Moustapha-Pacha à un point de la Maritza situé au sud de Dimotika, après avoir passé à une quarantaine de kilomètres de la ville. Ce tracé serait pour nous une ruine irréparable. Par le fait de notre accès à la mer Egée, toute la Bulgarie centrale devient tributaire de cette mer. Or, l’attribution à la Grèce du port de Cavalla et de la Mesta inférieure nous a réduits au seul port de Dédé-Agatch. Et le port de Dédé-Agatch n’est ouvert à la Bulgarie que par la vallée de la Maritza. Sur tout autre point, le chemin de fer aurait à traverser un massif formé d’un enchevêtrement de montagnes de plus de 1.000 mètres d’altitude. On ne peut nous imposer la construction d’une pareille voie, qui serait excessivement coûteuse et sans rapport d’exploitation. Il faudrait donc, si on ne veut pas fermer à la Bulgarie toute communication avec l’extérieur, lui laisser la possibilité d’arriver à la mer Égée par le seul chemin qui lui reste.

Pour réclamer la zone de l’Arda inférieur, à l’ouest d’Andrinople, la Turquie invoque la défense d’Andrinople.

On pourrait répondre :

a) Les vrais travaux de défense se trouvent tous, ou à peu près, sur la rive gauche ;

b) Si la Turquie insiste tant pour la sauvegarde d’une seule ville, la Bulgarie a bien plus de raisons de réclamer la jouissance de la rive droite de cette vallée, dont l’occupation par les Turcs compromettrait toute sa vie économique en lui fermant la mer ;

c) Avant même la chute d’Andrinople, la Bulgarie avait envisagé sans crainte cette disposition, en offrant elle-même de fixer la frontière, suivant la ligne de la Maritza et de la Toundja, et en laissant aux Bulgares la gare de Karagatch ;

d) Cette station et le village de ce nom, très éloignés de la ville, peuvent en être détachés sans inconvénient pour la Turquie qui peut, sans beaucoup de frais, construire un tronçon de voie ferrée sur Andrinople, soit de Baba-Eski, soit mieux de Parlokeui, en suivant le cours du ruisseau Soziou Malach, par la vallée d’un des affluents de la rivière Ergéné. Cette voie, en plein territoire turc, plus directe et mieux protégée que celle de la Maritza, serait infiniment supérieure à cette dernière au point de vue des intérêts turcs ;

3° D’Andrinople à la mer Noire, la Bulgarie demanderait le maintien des dispositions générales du traité de San Stéphano. La ligne frontière gagnerait Midia, après une forte inflexion au sud, du côté de Baba Eski. Cette ancienne frontière de San Stefano, tracée au peuple bulgare par les Russes, alors que la Bulgarie n’existait pas encore, cette frontière ethnographique qui enfermait presque toute la Macédoine, eût mérité d’attirer un peu plus l’attention des diplomates pendant la répartition précipitée des terres balkaniques.

On y eût trouvé une base pleine de garanties pour la paix de l’avenir. Il n’en fut pas ainsi, et on peut exprimer une deuxième fois en ce moment le regret formulé par le baron d’Avril dans son ouvrage sur : Les Négociations relatives au traité de Berlin. « Si la grande Bulgarie n’avait pas été instituée à la Conférence de Constantinople, il fallait l’inventer quand on a voté à Berlin l’article 14 du traité. »

A Bucarest, après le partage de la Macédoine, on prétendait qu’il restait aux Bulgares la Thrace. De cette Thrace, aujourd’hui reprise, nous devons au moins garder la partie la plus bulgare, celle qui avait été attribuée à la Bulgarie, la première fois qu’on avait tracé des frontières à notre nation.

 

 

Examinons rapidement la thèse bulgare ainsi exprimée. Au point de vue de la vallée de la Maritza, nous avons déjà vu plus haut quelle était à juste titre son importance et celle de Dédé-Agatch pour la Bulgarie. Il serait extrêmement difficile, et en effet très coûteux, de construire une ligne de chemin de fer traversant les Rhodopes et reliant l’intérieur du pays à la mer, le projet n’aurait de chances de réussir que du côté de Cavalla.

Dans la réponse faite à la Turquie au sujet de la zone de l’Arda supérieur, il est vrai que sur la rive gauche se trouvent la plupart des travaux de défense de la ville, et ce qui est à remarquer surtout, c’est qu’en effet les Turcs, avant la chute d’Andrinople, avaient offert d’eux-mêmes une frontière suivant la Maritza et la Toundja. Mais la frontière, tracée suivant la proposition de M. Stanciof, n’aurait laissé à la Turquie, au nord, qu’une sorte de promontoire à la pointe duquel Andrinople ottomane eût été assez isolée. La possession de Dimotika, qu’elle fortifiera vraisemblablement, lui permettra de dégager Andrinople bulgare, de couper les communications d’« Odrin » avec Constantinople.

Quant au traité de Berlin, on connaît ses erreurs ! Voici maintenant l’article du traité de San Stefano dont se réclame M. Stanciof dans son exposé si clair et si modéré de la situation et des desiderata bulgares. Il me semble instructif, en tous cas, de le comparer avec le traité de paix que nous verrons plus loin !

 

Extrait de l’article 6 du traité de San Stefano 47 .

 

La frontière se dirigera, par l’embouchure du Vardar et parle Galliko, vers les villages de Barga et de Sarai-Keuï  : de là, par le milieu du lac Bechikguel, à l’embouchure des rivières Strouma et Kara-Sou et par la côte maritime jusqu’au Buru-Guel ; plus loin, partant dans la direction nord-ouest vers le mont Tchultepé, par la chaîne du Rhodope jusqu’au mont Krouschow, par les Balkans noirs, parles monts Eschekkoulatchi, Tchépelion, Karakolar et Ischiklar, jusqu’à la rivière Arda.

De là, la ligne frontière sera tracée dans la direction de la ville de Tchirmen et, laissant la ville d’Andrinople au midi, par les villages de Sugutlion, Kara Hamza, Arnaoutkeuï, Akardji et Emdjé jusqu’à la rivière Tékédéressi, jusqu’à Lüle-Bourgas et, de là, par la rivière Sourjak-Deré, jusqu’au village de Serguen, la ligne frontière ira directement par les hauteurs vers Hakim-Taliassi où elle aboutira à la mer Noire.

 

Des nouvelles circulèrent en Europe dès le 16 septembre annonçant l’accord turco-bulgare sur la délimitation des frontières, et enfin 48 , le 19, le correspondant particulier du Temps lui télégraphiait que l’accord était officiel entre le général Savof et Talaat Bey. Dimotika et Kirk-Kilissé restaient à la Turquie. Les Bulgares avaient tenté pourtant de conserver la première de ces villes en offrant à la Turquie de construire un chemin de fer allant d’Andrinople à Eski-Baba, mais le grand vizir et Izzet Pacha furent irréductibles et les Bulgares n’insistèrent pas, faisant ainsi preuve d’une réelle modération.

Les jours suivants, on discuta les questions secondaires relatives aux muftis, aux vakoufs et à l’indigénat.

L’Empire ottoman aurait bien voulu obtenir encore plus que ce qui lui fut reconnu, tant pour son prestige que pour se conformer aux désirs allemands, mais au milieu de septembre un courant favorable à la Bulgarie s’était manifesté en France et, vu le côté particulièrement bienveillant de cette dernière en sa faveur, la Sublime-Porte comprit que le moment était venu de terminer les pourparlers.

Le 29 septembre, le traité turco-bulgare fut signé à Constantinople. En voici les dispositions :

 

Préambule.

 

S. M. l’Empereur des Ottomans et S. M. le Roi des Bulgares, animés du désir de régler à l’amiable et sur une base durable l’état de choses créé par les événements qui se sont produits depuis la conclusion du traité de Londres, et de rétablir des relations d’amitié et de bon voisinage si nécessaires pour le bien-être de leurs peuples, ont résolu de conclure le présent traité et ont choisi respectivement à cet effet pour plénipotentiaires (suivent les noms des plénipotentiaires bulgares et ottomans), lesquels, après s’être communiqué leurs pleins pouvoirs trouvés en bonne et due forme, sont convenus de ce qui suit :

 

Tracé de la frontière.

Elle partira de la mer Noire au nord de l’embouchure du fleuve Rezavaya, passera immédiatement au nord de la ville de San Stefano, rejoindra l’ancienne frontière près de Desletligak, la suivra jusqu’à Soudjak, passera ensuite à 2 kil. à l’est d’Ortakeuï, touchera la Maritza à Mandra et suivra le cours de ce fleuve jusqu’au delta dont elle suivra la branche droite jusqu’à la mer Egée.

 

Remise des territoires.

 

Dix jours après la signature du présent traité par les plénipotentiaires sus-mentionnés, les armées des deux parties contractantes, qui en ce moment occuperaient des territoires revenant à l’autre partie, s’empresseront de les évacuer et, dans l’espace des quinze jours suivants, de les remettre, conformément aux règles et aux usages, aux autorités de l’autre partie. Il va sans dire que les deux États s’empresseront de démobiliser leurs armées dans l’espace de trois semaines à partir de la date du présent traité.

 

Amnistie et échange de prisonniers.

 

Une amnistie pleine et entière est accordée par les hautes parties contractantes à toutes les personnes qui ont pris part aux hostilités ou qui se sont compromises dans les événements politiques antérieurs au présent traité.

Les habitants des territoires cédés jouiront de la même amnistie.

Le bénéfice de cette amnistie cessera à l’expiration d’un délai de deux semaines fixé par les autorités légalement constituées lors de la réoccupation des territoires revenant à la Bulgarie et dûment porté à la connaissance des populations. Les prisonniers de guerre et otages seront échangés dans un délai d’un mois à partir de la signature du présent traité ou plus tôt si faire se peut. L’échange aura lieu par les soins de commissaires spéciaux nommés de part et d’autre.

Les frais d’entretien des dits prisonniers de guerre et otages seront à la charge du gouvernement au pouvoir duquel ils se trouvent ; toutefois la solde des officiers payée par le gouvernement sera remboursée par l’État dont ils relèvent.

 

Relations économiques.

 

En vue de favoriser les relations économiques entre les deux pays, les hautes parties contractantes s’engagent à remettre en vigueur aussitôt après la signature du présent traité la convention pour le commerce et la navigation, conclue le 6/19 février 1911, et à accorder à leurs produits industriels, agricoles et autres, toutes les facilités douanières compatibles avec leurs engagements existant à l’égard des tierces puissances. La déclaration consulaire du 18 novembre (1er décembre 1909) sera remise également en vigueur pendant le même délai.

Toutefois, chacune des hautes parties contractantes pourra créer des consulats généraux, consulats et vice-consulats de carrière dans toutes les localités où des agents de tierces puissances sont admises.

 

Question des nationalités.

 

Un délai de quatre ans est accordé aux habitants des pays qui restent à la Bulgarie pour émigrer ou opter pour la nationalité bulgare. Durant ces quatre ans, les habitants ne seront pas assujettis au service militaire.

 

Garanties industrielles.

 

Les communautés bulgares auront les mêmes droits dont jouissent actuellement les autres communautés chrétiennes dans l’Empire ottoman. Les Bulgares, sujets ottomans, conserveront leurs biens meubles et immeubles et ne seront aucunement inquiétés dans l’exercice de leurs droits.

Ceux qui ont quitté leurs foyers lors des derniers événements pourront y retourner dans un délai de deux ans au plus tard.

Les sujets de chacun des États contractants pourront séjourner et circuler librement comme par le passé sur le territoire de l’autre État contractant.

 

Régime des biens.

 

Les biens particuliers de S. M. Impériale le Sultan, ainsi que ceux des membres de la dynastie impériale seront maintenus et respectés. Ils pourront les vendre ou les affermer par l’intermédiaire de fondés de pouvoirs. Il en sera de même pour les biens du domaine privé qui appartiendraient à l’État.

Les biens et les dîmes vakoufs dans les territoires cédés, tels qu’ils résultent actuellement des lois ottomanes, seront respectés. Ils seront gérés par qui de droit. Leur régime ne pourrait être modifié que par une indemnisation de l’Empire ottoman sur les revenus vakoufs dans les territoires cédés à titre de droits divers. Les vakoufs bâtis ou non bâtis seront respectés.

 

Reprise des relations diplomatiques.

 

Les relations diplomatiques ainsi que les communications postales, télégraphiques et par chemin de fer reprendront entre les hautes parties contractantes immédiatement après la signature du présent traité.

La convention relative aux muftis formant l’annexe du présent traité sera applicable dans tous les territoires bulgares.

 

Les droits antérieurs.

 

Les droits acquis antérieurement à l’annexion des territoires et des titres officiels émanant des autorités compétentes seront respectés et inviolables jusqu’à la preuve légale du contraire.

Le gouvernement impérial ottoman déclare qu’il n’a pas consenti, depuis l’occupation par les forces bulgares des territoires cédés, à des cessions de droit à des particuliers en vue de restreindre les droits souverains de l’État bulgare.

 

Questions musulmanes.

 

Les mosquées ainsi que les fondations religieuses de bienfaisance musulmanes, avec leurs dépendances, biens meubles, et autres, continueront à appartenir aux communautés musulmanes dans les territoires cédés. Celles qui auraient été désaffectées depuis l’ouverture des hostilités seront rendues à leur destination primitive.

Les deux parties contractantes s’engagent à donner à leurs autorités provinciales des ordres afin de faire respecter les cimetières et particulièrement les tombeaux des soldats morts au champ d’honneur. Les autorités n’empêcheront pas les parents et amis d’enlever les ossements des victimes tombées en terre étrangère.

 

Voies ferrées.

 

La Bulgarie est subrogée aux droits, charges et obligations du gouvernement impérial ottoman à l’égard de la Compagnie des chemins de fer orientaux pour la partie de la ligne à elle concédée et située sur les territoires cédés. Le gouvernement bulgare s’engage à rendre sans retard le matériel roulant et les autres objets appartenant à ladite Compagnie et saisis par lui.

 

Le traité de Londres.

 

Les dispositions du traité de Londres sont maintenues en ce qui concerne le gouvernement impérial ottoman et le royaume de Bulgarie, pour autant qu’elles ne sont pas abrogées ou modifiées par les stipulations qui précèdent.

 

Ratifications

 

Le présent traité entrera en vigueur immédiatement après sa signature. Les ratifications en seront échangées dans la quinzaine à dater de ce jour. En foi de quoi les plénipotentiaires l’ont signé.

 

ANNEXES.

 

Les annexes du traité comprennent :

1° Un procès-verbal signé le 9/22 septembre et ainsi conçu :

Ayant en vue les difficultés que les autorités royales bulgares, lors de leur installation dans les territoires de la Thrace occidentale revenant à la Bulgarie, pourront rencontrer du fait de l’effervescence qui s’est manifestée parmi la population de ces régions, et désirant faciliter dans l’intérêt même de ces habitants aussi bien que dans celui des deux États, la tâche du gouvernement de Bulgarie en ce qui concerne la prompte pacification de ces contrées et prévenir ainsi une nouvelle effusion de sang, le gouvernement impérial ottoman, sur la demande du gouvernement bulgare, se déclare prêt à faire comprendre à ces populations les nécessités résultant du nouvel état de choses et à leur prodiguer ses bons conseils afin qu’elles se soumettent à l’autorité du gouvernement royal de Bulgarie.

En foi de quoi le présent procès-verbal a été dressé en double exemplaire.

2° Un protocole de même date concernant la restitution des biens saisis depuis l’ouverture des hostilités.

3° Un protocole en date du 11/24 septembre ainsi conçu :

Le tracé de la frontière coupant le fleuve Maritza et le chemin de fer Mustapha-Pacha-Andrinople-Dédé Agatch, desservant les territoires ottomans et bulgares, il a été convenu entre les deux parties contractantes que, pour préserver leurs relations commerciales et autres des moindres entraves, les règlements et les usages qui régissent actuellement les mouvements commerciaux, tant sur le fleuve Maritza que sur ladite ligne ferrée, ainsi que tous les droits, taxes, etc., actuellement en vigueur, seront maintenus dans leur plénitude et que toutes les facilités compatibles avec les dits règlements et usages seront accordées.

Aucune modification ne pourra être apportée sans accord préalable entre les deux États contractants, à l’administration desdits chemin de fer et fleuve.

Les dispositions ci-dessus ne s’appliqueront pour le chemin de fer que jusqu’au jour où les deux parties contractantes auront construit simultanément : la Bulgarie, une ligne de raccordement entre la mer Égée et son territoire et, la Turquie, une ligne aboutissant à ladite mer. Il va sans dire qu’en temps de paix la Bulgarie sera libre, jusqu’à l’achèvement de ladite ligne ferrée qui devra avoir lieu au plus tard dans les dix ans, de faire transporter sur ledit chemin de fer, ainsi que sur le fleuve, des recrues, des troupes, des munitions, des armes, des vivres, etc. L’État ottoman aura toujours le droit de prendre les mesures de surveillance nécessaires.

4° Un protocole relatif aux traités de commerce :

En vue de favoriser les relations économiques entre les deux pays, les hautes parties contractantes s’engagent à remettre en vigueur, aussitôt après la signature du présent traité et pour un délai d’un an à dater de ce jour, la convention relative au commerce et à la navigation conclue le 6/19 février 1911 et à accorder à leurs produits industriels, agricoles et autres, toutes les facilités douanières compatibles avec leurs engagements existants à l’égard des tierces puissances.

5° Un protocole en date du 11/24 septembre complétant le précédent :

Les hautes parties contractantes s’engagent en outre à procéder dans le plus bref délai possible à la nomination de commissions mixtes chargées de négocier un traité de commerce et des conventions consulaires.

6° Enfin des protocoles spéciaux concernant les mariages mixtes et conversions forcées.

 

Arbitrage.

 

Les difficultés qui pourraient s’élever concernant l’exécution du traité seront soumises à l’arbitrage de la cour de la Haye, le roi de Suède, de Norvège ou de Danemark agissant comme surarbitre.

 

On disait à Belgrade que des négociations secrètes avaient eu lieu entre Turquie et Bulgarie et que la première avait proposé à la seconde un accord ainsi compris : la Turquie mettrait sur pied des forces suffisantes pour reconquérir la Macédoine et l’Albanie. De plus, la Thrace tout entière serait cédée à la Bulgarie ainsi que Cavalla, le tout à condition que la Bulgarie renonce à ses prétentions sur la Macédoine. On disait aussi que le général Savof aurait accepté cette proposition, mais que le gouvernement de Sofia la refuserait. Ce ne sont là sans doute que des rumeurs sans grande valeur, mais le fait d’y avoir pensé constitue déjà une indication sur l’opinion générale des milieux serbes. Il est regrettable que la monarchie serbe n’incline pas vers une autre solution que celle vers laquelle elle semble s’orienter, car les intérêts de Belgrade et de Sofia ne sont pas si opposés qu’on le répète à Berlin, et des concessions réciproques devraient unir deux nations qui ne pourront qu’y gagner au lieu de favoriser, comme elles le font actuellement, les desseins de leurs véritables ennemis.

Je n’ajouterai rien à l’exposé que j’ai voulu présenter intégralement du traité de Constantinople ; il me semble malheureux cependant que les Bulgares, cédant Kirk-Kilissé et une assez large région au nord d’Andrinople, n’aient pas obtenu de plus grands avantages sur la Maritza et son delta. Le régime des biens et la question des voies ferrées réglés à l’avantage de la Turquie auraient pu être compensés pour les Bulgares par une indemnité payée pour l’entretien des prisonniers ; mais les annexes du traité montrent un si grand désir de conciliation de part et d’autre, que l’on ne peut reprocher maintenant aux plénipotentiaires leurs concessions, surtout celles que les Bulgares ont dû se résigner à faire afin de ne pas créer de complications nouvelles, dangereuses pour la paix européenne. Enregistrons donc seulement cet instrument diplomatique, en remarquant l’intelligence, la bonne volonté et les excellentes intentions du marquis Garroni, ambassadeur d’Italie, dont l’action favorable à une modération générale et à une juste convention, a secondé les heureux désirs de la majorité des délégués turcs et bulgares et, en gênant peut-être la politique austro-allemande, a servi avec une admirable perspicacité les véritables intérêts de l’Italie.

 

 

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