II

De toutes les routes qui rayonnent autour de Saint-Cergues, madame Dax ne souffrait que la route d’Arzier, parce que c’était la seule, à son dire, qu’on pût suivre un quart d’heure durant sans suer et souffler « comme un alpiniste ». Quant aux sentiers qui vont sous bois, il n’en fallait même pas parler, à cause des serpents, « qui pullulaient à coup sûr dans toutes ces herbes ». C’est pourquoi les promenades d’après-midi, qu’on faisait en famille, ne manquaient ni de soleil, ni de poussière, ni de monotonie. Madame Dax elle-même, qui les ordonnait, en bâillait à se décrocher la mâchoire. Mais c’était pour la santé de Bernard.

Ce soir-là, on rentrait. Bernard, à vingt pas en avant, s’efforçait, dans l’attente de rencontres féminines, d’avoir l’air d’un monsieur qui se promène seul. Alice, silencieuse et suivant une pensée secrète, marchait à côté de sa mère.

– C’est agréable de sortir avec toi, – déclara tout à coup madame Dax, hargneuse. – Tu n’as pas dit un mot depuis une heure.

Mademoiselle Dax, coupée de sa songerie, cessa de regarder les sapins noirs qui frangeaient l’horizon des collines.

– Quelle scie ! – Madame Dax monologuait volontiers, et ne réclamait l’avis de sa fille que pour la forme ; – quelle scie !… quarante-cinq jours encore de cette vie à ne rien faire !… Dieu sait comment va la maison, pendant que je suis ici !

Mademoiselle Dax ébaucha un geste d’ignorance.

– Voyons, – continuait madame Dax, – le 30 septembre, est-ce un vendredi ? Alice !…

– Oui…

– Tu dis oui, et tu n’en sais rien, naturellement ! Ah ! ton mari aura du plaisir avec toi, je lui en souhaite !… Un vendredi. Alors, nous pourrions partir le 29 pour ne pas voyager le mauvais jour, ça serait vingt-quatre heures de gagnées, et une leçon de tolérance pour ton père…

Le facteur venant du village traversait la route. Voyant Bernard, il s’arrêta pour fouiller dans sa boîte.

– Est-ce que c’est lundi ? – demanda madame Dax en hâtant le pas.

Régulier en effusions sentimentales comme en affaires, M. Dax écrivait à sa femme une fois par semaine, à date fixe.

C’était bien lundi. Bernard apportait la lettre. Madame Dax chercha des yeux une place convenable pour la lecture. Une banquette de pierre bordait un bout du chemin. Madame Dax s’assit, et tira l’épingle de son chapeau pour couper l’enveloppe. Alice et Bernard, debout devant elle, écoutèrent. C’était le cérémonial réglé.

« Ma chère amie,

« Rien de nouveau à Lyon. J’imagine que vous avez moins chaud que nous. J’espérais trouver deux jours pour aller vous voir cette semaine, mais je prévois que ce sera impossible. Les affaires se multiplient. Je ne m’en plains pas, d’ailleurs, tout au contraire. Je travaille et vous vous reposez : à chacun selon ses forces.

« À propos, vous seriez aimable de faire pour moi une corvée mondaine qui ne vous coûtera guère. Il s’agit d’une visite à quelqu’un qui doit demeurer tout près de votre hôtel. Vous m’avez entendu parler quelquefois de M. Terrien, un négociant de Marseille ? Il fait avec nous de grosses affaires ; c’est un homme sérieux que j’estime. Je l’ai vu hier, il passait à Lyon. Sa femme, m’a-t-il dit, est à Saint-Cergues. Je crois d’ailleurs qu’ils vivent à peu près séparés, ne s’accordant pas. Ils n’en sont pas moins des gens fort honorables, la femme aussi bien que le mari. Vous pouvez donc, sans inconvénient, voir cette dame. Allez-y, je vous prie. Terrien sera sensible à cette politesse, et je vous serai, moi, obligé.

« Au revoir, ma chère amie, embrassez pour moi les enfants, et prenez garde à la santé de Bernard. Barrier, que je vois journellement, se rappelle à votre bon souvenir et vous présente ses respects, ainsi qu’à sa fiancée.

« Votre mari dévoué,

« DAX. »

– C’est tout ? – fit mademoiselle Dax.

– Naturellement oui, c’est tout. Qu’est-ce qu’il te faut de plus ?

Madame Dax repliait la lettre, la réintégrait dans l’enveloppe, et enfouissait le tout dans son réticule.

– Ainsi, encore une corvée ! Bonté divine !… Alice, nous irons demain, à trois heures.

– Oh ! moi aussi ?

– Naturellement, toi. Est-ce que tu te figures que je vais aller seule chez cette dame que je ne connais pas ? Si tu avais un peu de cœur, ma fille, ça t’aurait paru tout simple d’accompagner ta mère, et de prendre ta part des ennuis qu’elle a… Mais non !… Ah ! ton mari aura du plaisir avec toi !

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